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Box-office : avec “Le Mal n’existe pas”, Ryusuke Hamaguchi réalise son meilleur démarrage France

12 avril 2024 à 10:29

En réalisant 9 014 entrées lors de son premier jour d’exploitation, Le Mal n’existe pas représente le meilleur démarrage de Ryusuke Hamaguchi en salles françaises. Ses précédents films Drive My Car et Contes du hasard et autres fantaisies avait ainsi attiré respectivement 6 602 et 6 730 spectateur·ices. Un succès qui se retranscrit également en termes de moyenne par copie : la fable écologiste japonaise a attiré 66 spectateur·ices en moyenne par salle, seulement trois de moins que Nous, les Leroy, comédie familiale française sortie le même jour.

D’autres réussites

Grand Prix du Festival de l’Alpe D’Huez 2024 mettant en scène José Garcia et Charlotte Gainsbourg, Nous les Leroy, signé Florent Bernard, réalise ainsi un bon démarrage et enregistre la meilleure moyenne par copie avec 69 spectateur·ices par salle d’après Le Film Français. La comédie se classe ainsi en deuxième position en termes d’entrées écoulées avec un score de 28 756 entrées (46 304 en comptant les avant-premières). Nous, les Leroy devrait largement dépasser la barre des 500 000 entrées d’ici la fin de son exploitation.

Autre succès cette semaine, le nouveau volet de S.O.S. Fantômes qui se positionne en tête du box-office avec 38 168 entrées, auxquelles peuvent s’ajouter les 41 824 billets vendus pour les avant-premières du film. La Menace de glace rehausse ainsi les scores de la saga puisque L’Héritage, précédent opus sorti en 2021, avait seulement attiré 27 147 spectateur·ices lors de son premier jour en salle, avant d’atteindre les 614 969 entrées en fin d’exploitation. Un chiffre que le nouveau volet peut facilement espérer dépasser.

Lancements à deux vitesses

Outre ces démarrages réussis, deux films avec des échelles différentes peinent à trouver leur public. Compte tenu de sa moyenne par copie s’élevant seulement à 20, Rosalie, réalise un démarrage assez décevant. Une déconvenue qui se retranscrit également dans le total d’entrées enregistrées pour son premier jour d’exploitation, avec un score de 7007 (15 001 si l’on prend en compte les avant-premières). Malgré ce faible démarrage, le film de Stéphanie Di Giusto peut toutefois espérer dépasser les 100 000 entrées.

Malheureusement, le dernier documentaire de Sébastien Lifshitz connaît également un faible démarrage. Malgré une moyenne par salle plus élevée que Rosalie (22), Madame Hofmann a attiré seulement 1 892 spectateur·ices (4 169 avant-premières comprises). Un nombre d’entrées assez décevant en comparaison avec ses précédents films : Adolescentes (2019) avait écoulé 2 048 entrées lors de son premier jour, tandis que Les Invisibles avait connu un grand succès lors de sa sortie en 2012, avec 45 311 entrées.

Ryusuke Hamaguchi : “Mes films sont hantés par la menace de la catastrophe”

11 avril 2024 à 12:52

Commençons par le tout début du Mal n’existe pas. La façon dont le titre de votre nouveau film apparaît, avec le surgissement de mots de couleurs différentes, est-elle une référence à Jean-Luc Godard ? 

Ryusuke Hamaguchi – Il y a évidemment une humble référence à Godard. Je l’ai toujours admiré et je dois dire que j’ai été assez atteint par l’annonce de son décès. Ce titre était une façon évidente de me lier à lui. Jamais je ne pourrais faire des films à sa manière, alors ce titre était la meilleure des façons de lui rendre hommage. 

Il est possible tout de même de prolonger le lien avec Godard dans la façon dont vous filez les couleurs bleu et rouge du titre tout au long du film, notamment avec les vêtements de vos personnages. 

Comme vous le savez, ce projet de film est parti d’images que j’ai réalisées pour habiller une performance live de la musicienne Eiko Ishibashi, compositrice de la BO de Drive My Car, et ce n’est qu’après la performance que j’ai décidé d’utiliser ces rushs pour en faire un long-métrage. Dès la préparation du tournage, Godard a fait partie de notre langage commun parce que, pour Eiko, il fait partie des cinéastes musiciens. Godard réalise ses films comme on compose de la musique. Nous nous sommes notamment inspirés de l’utilisation de la ligne musicale de Georges Delerue, ce mélange de notes à la fois entêtantes et dissonantes. Ce projet était le moment parfait pour exprimer mon admiration pour Godard. 

Les thèmes de l’écologie et de la nature semblent à première vue être nouveaux dans votre œuvre, même s’ils sont assez présents dans le cinéma japonais. Et pourtant, à la fin d’Asako I & II, je me souviens qu’il est question de la pollution des eaux d’une rivière. Tandis que, dans Drive My Car, les parents de l’héroïne meurent à cause d’une catastrophe naturelle. 

Oui, je crois que mes films sont hantés par la menace de la catastrophe, notamment naturelle. Et la préservation de la nature a évidemment à voir avec les menaces qui pèsent sur nos existences. Ce sont mes préoccupations de tous les jours et c’est naturel que celles-ci impliquent des constantes dans mes films. Cela dit, concernant l’écologie, quelque chose s’est éveillé en moi après la catastrophe de Fukushima. En 2011, j’avais co-réalisé Nami no koe : Kesennuma, un documentaire en deux parties sur la parole de rescapés de la catastrophe. Récolter ces témoignages m’a imprégné durablement et ressurgit sur ce projet. 

On sent aussi que vous avez énormément expérimenté de procédés de mise en scène sur Le Mal n’existe pas, comme si le caractère hybride du projet vous donnait une plus grande liberté. 

J’avais effectivement envie que ce soit l’occasion de tester des choses que je n’avais jamais faites avant. Comme ce devait à la base être des images sans son, il fallait qu’il y ait plus de mouvements que dans mes images sonorisées. J’ai donc réfléchi à des angles ou des déplacements de caméra originaux. 

Mais comment se fait-il que vous ayez tout de même enregistré le son des dialogues si vous ne saviez pas que vous alliez en faire un film ? 

Si nous n’avions pas eu de preneur de son, je pense que les acteurs auraient fait preuve d’une forme de relâchement que je voulais éviter. C’était en fait une mesure disciplinaire (rires). En fait, j’ai assez vite eu conscience que si je voulais atteindre le niveau d’exigence que je m’étais fixé visuellement, il fallait que ce soit joué aussi bien qu’un tournage plus classique, même si cela ne servirait peut-être à rien. 

Je n’ai pas envie de vous demander d’expliquer la fin qui veut, je pense, volontairement laisser le public dans une forme d’interrogation, mais en revoyant le film une seconde fois, j’ai remarqué à quel point la violence de la fin est en fait déjà présente tout au long du film. La mort plane, notamment à travers ses plans de cadavres d’animaux ou les coups de feu qu’on entend au loin. Pourquoi était-ce important d’achever le film de cette façon ? 

Oui, la performance se terminait de la même façon. Cette fin peut sembler à première vue incohérente. L’idée qu’elle hante le spectateur et qu’il ait éventuellement envie de revoir le film une seconde fois pour mieux comprendre me plaît assez. La brutalité de cette scène est faite pour que le spectateur se questionne à rebours sur tout ce qu’il a vu précédemment, parce qu’on ne peut pas s’empêcher de s’interroger sur ce qui a mené ce personnage à se comporter de telle sorte. Ce mécanisme m’intéressait. L’idée de la scène finale m’est venue assez vite. Ce personnage est capable de faire ce qu’il fait à la fin. Le spectateur le découvre avec surprise, alors qu’en réalité, effectivement, il y a une forme de cohérence à son geste. 

Le mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi, avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ayaka Shibutani (Jap., 2023, 1 h 46), en salle.

“Le mal n’existe pas”, “Madame Hofmann”, “Rosalie”… Voici les sorties de la semaine !

9 avril 2024 à 14:56

Le mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi

Entre l’exercice de style et le film d’intervention politique, Le mal n’existe pas est à la fois une parenthèse engagée et une nouvelle manifestation des obsessions d’un des auteurs les plus talentueux du cinéma contemporain.

La critique de Bruno Deruisseau

Madame Hofmann de Sébastien Lifshitz

Si le cinéaste dépeint, par l’intermédiaire de Sylvie Hofmann, l’hôpital en crise, en manque de tout, de matériel et de soignant·es, c’est moins pour en chroniquer le chaos que pour honorer l’intelligence humaine qui lui fait face.

La critique de Marilou Duponchel

Rosalie de Stéphanie Di Giusto

Si la mise en scène de Stéphanie Di Giusto, fébrile et corsetée, ne parvient pas à rendre compte pleinement du rayonnement de Rosalie […],la cinéaste confirme son attrait pour une réjouissante exploration et réinvention du féminin.

La critique de Marilou Duponchel

Par-delà les montagnes de Mohamed Ben Attia

Sans rêve, la vie n’est pas vivable. Un film tendre, étrange, poétique, qui manque hélas un peu de consistance et de souffle.

La critique de Jean-Baptiste Morain

Quitter la nuit de Delphine Girard

Si le film ne se départ jamais d’un certain académisme, il se trouve en revanche très inspiré quand il s’agit de rendre compte, sans avoir recours au discours, de l’ambiguïté constante et volontaire dans laquelle on voudrait inscrire de force une affaire qui se trouve en réalité d’une clarté limpide. 

La critique de Marilou Duponchel

Sans cœur de Nara Normande et Tião

C’est sur la dissonance entre l’impressionnante beauté cinégénique d’un paysage et la dure réalité économique et sociale d’un pays, entre deux existences opposées que seule l’enfance permet encore de rapprocher, entre la projection vers le futur et la fixité du déterminisme, que Sans Cœur organise les enjeux de son récit à double fond, intime et collectif.

La critique de Marilou Duponchel

La Malédiction : L’Origine d’Arkasha Stevenson

Le film s’avère convenu, empilant sans véritable conviction visions horrifiques ressassées et jumpscares tristement prévisibles. On préférera retenir son versant parabolique, visiblement dans l’air du temps, à l’heure où l’accès à l’avortement a été sévèrement restreint, voire est devenu illégal, dans une vingtaine d’États américains.

La critique de Léo Moser

Avec “Le mal n’existe pas”, Ryusuke Hamaguchi signe une fable écologiste subtile et impressionnante

6 avril 2024 à 10:56

Si le nouveau film de Ryusuke Hamaguchi déroute, au sens le plus littéral du terme et dans des directions multiples, c’est peut-être parce que contrairement aux précédentes œuvres du Japonais, il ne tire pas sa sève d’une matrice narrative (variation sur Vertigo d’Hitchcock dans Asako I & II, 2018, adaptation de Murakami dans Drive My Car, 2021, chroniques rohmériennes dans Contes du hasard et autres fantaisies, 2021) mais s’ancre plutôt dans une thématique sociétale d’actualité : l’écologie.

À la base, Le mal n’existe pas ne devait même pas être une fiction. Les images tournées par Hamaguchi dans un petit village de montagne non loin de Tokyo ont d’abord servi à accompagner un concert de la musicienne Eiko Ishibashi, autrice de la BO de Drive My Car. Ce n’est qu’une fois le tournage terminé que le cinéaste a eu envie d’utiliser ces rushes pour un long métrage qui reprendrait des éléments du montage et les morceaux de la compositrice, en y adjoignant d’autres prises et une narration plus tenue.

Le début du film saisit la symbiose entre les habitant·es du village et la nature qui les environne. Il s’attarde plus particulièrement sur Takumi et sa fille Hana, sur leurs gestes quotidiens : couper du bois, aller chercher de l’eau au ruisseau, nommer les différentes essences d’arbres. Cette harmonie est perturbée par l’arrivée de deux représentant·es d’une entreprise désirant implanter un glamping (contraction de “glamour” et de “camping”, dernier concept en vogue chez les Tokyoïtes) dans leur communauté, sans prendre en compte le fragile écosystème qui serait ainsi bouleversé.

Grand prix du jury à la dernière Mostra de Venise, Le mal n’existe pas a gardé de son origine musicale une dimension contemplative. Ce début pastoral évoque l’ambient, genre musical restituant avec douceur et sur un mode planant une atmosphère organique. Le morceau inaugural, qui reviendra à plusieurs reprises tel une Sonate de Vinteuil, est sublime. Composé de violons d’abord tourmentés puis caressants, il accomplit un trajet inverse au film, qui va quant à lui de la douceur à la dureté.

On l’a dit, ce nouveau long métrage déroute littéralement, dès son ouverture. Il s’éloigne de la route, du bitume et de l’urbanité des précédentes œuvres du cinéaste pour se déployer dans une campagne japonaise préservée, saisie au sortir de l’hiver. Le regard fixé sur la cime des arbres, on y entre en s’enfonçant dans une forêt qu’on ne quittera que pour une seule séquence. Cette observation de la nature se prolonge dans des plans qui sont comme tirés d’un documentaire animalier.

Fable écologiste aux accents militants, Le mal n’existe pas rappelle par moments le cinéma de Kelly Reichardt. L’art minimaliste et cependant infiniment subtil avec lequel Hamaguchi déploie ce puissant conte anticapitaliste et cette façon de regarder les beautés de la nature et de faire avancer le récit par une lente combustion en font aussi une sorte de Miyazaki pour un public adulte, délesté du fantastique mais tout aussi concerné par la façon dont l’humain souille son environnement. S’il est surprenant de voir Hamaguchi endosser ce costume, on se souviendra du dernier plan d’Asako I & II, qui faisait état de la pollution d’une rivière, et qu’il était déjà question d’une catastrophe naturelle (un glissement de terrain ayant coûté la vie à la mère de l’héroïne) dans Drive My Car.

La déroute proposée par Le mal n’existe pas agit aussi à l’intérieur même du film. Son apparente douceur est rompue par une fin aussi surprenante que véhémente. S’il se termine sur un acte d’une brutalité inouïe et qu’on peine d’abord à expliquer, la violence sourd au cœur du récit, et cette polarité entre harmonie et chaos se manifeste dès l’apparition du titre à l’écran. Dans un geste assez godardien, il se révèle sur fond noir : les uns après les autres, dans le désordre et dans des couleurs différentes, les mots “Evil”, “Exist” et “Does” apparaissent successivement en bleu avant que “Not” ne jaillisse en rouge. Ce jeu chromatique est filé tout au long du film : à l’intensité du bleu du ciel et des vêtements des habitant·es du village répond le rouge du sang qu’on verra couler à plusieurs reprises.

Cette violence résonne aussi dans le langage. La scène où les représentant·es exposent à grands coups de novlangue leur projet de glamping est symptomatique de l’extrême brutalité du capitalisme. Autre élément indicateur de la violence à venir, les coups de feu des chasseurs qu’on entend à plusieurs reprises et les cadavres des animaux qu’on croise deux fois. On se rappelle alors que le cinéma de Hamaguchi est hanté par le sentiment d’une catastrophe à venir. Entre l’exercice de style et le film d’intervention politique, Le mal n’existe pas est à la fois une parenthèse engagée et une nouvelle manifestation des obsessions d’un des auteurs les plus talentueux du cinéma contemporain.

Le mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi, avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ayaka Shibutani (Jap., 2023, 1 h 46). En salle le 10 avril.

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