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“Civil War” est-il le blockbuster d’anticipation que l’on attendait ?

16 avril 2024 à 16:04

On a pris ces dernières années l’habitude de voir les plus ambitieuses promesses de visions du futur proche que pouvait nous faire le cinéma américain se commuer systématiquement en un morne tableau post-apo, statique, gris-beige, consistant souvent à regarder une poignée de personnages errer au bord des carcasses de voitures le long d’une autoroute éventrée, se contentant de deux ou trois escarmouches laissant hors-champ la marche du monde et le spectacle pyrotechnique.

Civil War avait toutes les raisons de s’adonner à la même arnaque : il n’en est rien. Le film d’Alex Garland, le plus cher de l’histoire – encore jeune – de la major indé A24, traverse les lignes de front d’une Guerre de Sécession post-trumpiste (ce nom n’y est jamais prononcé) du point de vue de quatre journalistes partis interviewer un président néo-fasciste bientôt déchu. C’est une manière de renouer avec un certain cinéma d’auteur américain années 1970 à la fois réflexif et musclé, marqué notamment par la guerre du Vietnam, que réveille ici une référence appuyée à Apocalypse Now : les reporters remontent lentement un parcours désolé, à forte résonance coppolienne (l’ambiance féroce et joviale du raid de Pittsburgh/le surf en pleine bataille de Robert Duvall ; le sniper du parc d’attractions/le pont de Do Lung…) jusqu’à bien sûr l’issue de la rencontre avec un chef embusqué.

Fracture américaine

C’est aussi l’occasion d’un commentaire sur la presse, qui aurait pu être la faiblesse du film s’il s’était vautré dans les tirades méditatives sur la responsabilité de l’observateur et sa part de voyeurisme. Un terrain réflexif inévitablement patapouf où le film s’égare parfois, mais qu’il a l’élégance de traiter moins par le texte que par la mise en scène : le photojournalisme s’invite dans la représentation, crée des stases soudaines en noir et blanc – le monde devient en temps réel une couverture du New York Times, à moins que le massacre ne soit réduit au rang de shooting de mode.

Le film se plaît à brouiller ses modes d’alignement avec la fracture américaine que nous connaissons (l’alliance sécessionniste est notamment un drôle d’attelage de blue et red states : Californie, Texas, Floride…), par refus de l’hyper lisibilité sans doute, par prudence centriste aussi, et surtout parce que sa grande affaire n’est pas vraiment le commentaire d’une situation politique donnée, mais plutôt l’illustration de principes plus généraux sur la violence, l’amoralité masculine (vraie ligne de partage des personnages, qui peut évoquer Sicario de Villeneuve : les femmes portent tout le fardeau moral de la guerre aux côtés d’hommes fondamentalement inconséquents et épanouis dans le royaume du danger et de la confrontation), les dynamiques de la déshumanisation de l’ennemi, l’attrait irrépressible de la barbarie, et l’état groggy de vertige, de désorientation, d’excitation paradoxale que peut produire un accès d’horreur collective.

C’est à la fois un film parfois aussi bêtement crâneur que ses personnages, mais tout autant tramé d’accès de lucidité crue, et frappant par son ambition de reconstitution – surtout dans son dernier acte. Un calibre de blockbuster politique que l’on n’espérait plus vraiment.

Civil War d’Alex Garland, avec Kirsten Dunst, Wagner Moura (É.-U., R.-U., 2024, 1 h 49). En salle depuis le 17 février.

“Borgo”, “Knit’s Island”, “L’Homme aux mille visages”… Voici les sorties ciné de la semaine !

16 avril 2024 à 15:30

Borgo de Stéphane Demoustier

“Ici, ce sont les détenus qui surveillent les gardiens et non l’inverse”, avouera la directrice du centre à Mélissa (Hafsia Herzi), une jeune surveillante fraîchement arrivée de Paris. Hitchcockien par excellence, ce renversement du voyeur ou de la voyeuse devenu·e objet du regard, et donc potentiellement en danger, va lancer avec force toute la matière de thriller de Borgo.

La critique de Ludovic Béot

L’Homme aux mille visages de Sonia Kronlund

Ni flic, ni juge, ni psy, Sonia Kronlund ne cherche pas à dompter un secret. À sa fenêtre de conteuse, elle en augmente la saveur romanesque. Pour preuve, son entretien avec Machin où, curieuse et joueuse, elle plonge à son tour dans la fiction, abusant l’abuseur en s’inventant un personnage de reporter.

La critique de Gérard Lefort

Knit’s Island, l’île sans fin de Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h

On découvre, fasciné·es, les confins de cet univers étrange, hanté autant par Stalker de Tarkovski que Gerry de Gus Van Sant. Au fil des témoignages, parfois passionnants, s’écrit une réflexion qui interroge notre besoin urgent de fuir la réalité ainsi que celui de recréer du lien social.

La critique de Rose Baldous

Riddle of Fire de Weston Razooli 

Riddle of Fire, une version des Goonies vaporeuse et magique, où l’on suit à la trace une bande de gamin·es prêt·es à tout pour craquer le code parental de leur nouvelle console. Pour l’obtenir, le trio doit réussir à réunir les ingrédients d’une tarte aux myrtilles, trésor prétexte d’une mission qui leur est confiée.

La critique d’Arnaud Hallet

LaRoy de Shane Atkinson

Dans LaRoy, tout part d’un quiproquo : prêt à se suicider, le canon d’un revolver posé sur la tempe, un homme est confondu avec un tueur à gages à qui on a commandité un meurtre. S’engage alors une avalanche de cocasseries dans la ville de LaRoy, patelin fictif de l’Ouest américain devenu un écrin où chaque événement prend des proportions démesurées. Tout est décuplé car tout le monde se connaît et se croise dans ce territoire fermé dont on explore chaque recoin et où circulent bastons, meurtres et folies.

La critique d’Arnaud Hallet

La Machine à écrire et autres sources de tracas de Nicolas Philibert

Philibert s’intéresse à la vie quotidienne, aux “tracas” que sont les objets, les machines, les instruments, les outils, quand ceux-ci tombent en panne et qu’ils bouleversent sans le vouloir la vie de tout un chacun, mais surtout celle souvent très réglée, ritualisée, organisée obsessionnellement, par les personnes souffrant de maladies psychiatriques, pour qu’elles puissent vivre le mieux possible.

La critique de Jean-Baptiste Morain

L’Île de Damien Manivel

​​De la trame minimaliste d’une scène pivot du coming of age, qui saisit les derniers feux de l’adolescence à l’orée de l’âge adulte, Damien Manivel tire une matière profuse où l’hésitation se noue à la grâce. Celles caractéristiques d’une jeunesse pas totalement dégrossie, et celles d’un projet à la forme composite, en apparence inachevé 

La critique d’Alexandre Buyukodabas

Le jour où j’ai rencontré ma mère de Zara Dwinger

Le film colle ainsi assez à l’image de ce qu’un adulte aussi irresponsable et irrévérencieux peut offrir à son enfant : de grands moments épiques, ludiques, comme des déceptions profondes.

La critique d’Arnaud Hallet

Alex Garland sur “Civil War”: “J’ai rompu avec une forme de séduction romantique de la guerre”

16 avril 2024 à 15:06

Civil War oppose une coalition d’États putschistes à un morcellement de milices, sans commandement central, évoquant la prolifération récente de groupuscules trumpistes anti-fédéraux comme les Three Percenters. Cela vous a-t-il inspiré ? Comment décririez-vous le processus conduisant à la guerre civile dépeinte par le film ?

Alex Garland — Je ne crois pas qu’il serait responsable de ma part de dresser des parallèles directs aussi accusatoires. Mais je dirais que ma source d’inspiration principale et le problème que j’identifie comme la clé de ce processus et de ce que nous vivons sont la montée de l’extrémisme. Elle est permise par la chute d’un certain nombre d’institutions protégeant la démocratie, combinée à l’essor de politiques populistes, extrêmement polarisées, et à une perte de confiance dans les médias. C’est un phénomène qui est déjà en cours, que l’on voit arriver en Amérique, en Europe, au Moyen-Orient, en Asie. Il mène à l’extrémisme et à la violence – qu’il soit religieux, de droite ou de gauche.

Mettez-vous un signe égal entre l’extrême droite et l’extrême gauche ?

Non, bien sûr. Ce dont j’essaie de vous parler, c’est de ce qui permet l’extrémisme. Et cette responsabilité est partagée par un ensemble d’acteurs. Dans mon pays, le Royaume-Uni, un gouvernement extrémiste a été conduit au pouvoir. Boris Johnson était clairement un menteur et un corrompu. Mais c’était le travail de l’opposition de le contrer efficacement. Or cette opposition s’est perdue dans ses postures politiques, oubliant de simplement tenir Johnson à distance du pouvoir.

Le statut de la presse est ambigu dans le film, qui célèbre une forme d’héroïsme journalistique en même temps qu’il en fait aussi un des éléments de la débâcle morale…

Quand j’ai dit que je voulais faire un film sur les journalistes, on m’a répondu : “Ne fais pas ça, tout le monde déteste les journalistes.” Cela m’a affecté car les journalistes sont, comme les médecins, des piliers de notre société. Je voulais donc renvoyer à une forme ancienne de journalisme, qui consiste à tenter de rapporter des événements sans biais. Je pense qu’un des fondements du populisme actuel est qu’une partie du journalisme est déterminée par ses biais, plus que par les faits recensés, pour des raisons économiques – des annonceurs, un public cible. Ce n’est évidemment pas sans lien avec le fait que les journalistes qui continuent de faire du bon travail ne sont plus écoutés ou ne sont plus crus. C’est la responsabilité également de forces politiques qui ont franchi le Rubicon du dénigrement de la presse et encouragé cette perte de confiance.

Il y a une réplique qui restera probablement – “une quote me suffira” – et qui en dit tout de même long sur votre sentiment…

C’est une manière de leur faire dire : mon métier est devenu futile. Que vaut mon avertissement si personne ne m’écoute ? Je pense que cette scène a plusieurs dimensions.

La division que dépeint le film n’est pas superposable à celle des États-Unis actuelsDans Civil War, l’alliance sécessionniste rassemble des Blue States progressistes, comme la Californie, et des Red States conservateurs, comme la Floride et le Texas, qui ont en commun d’être dans le top en matière de PIB. La guerre civile est-elle une guerre de classes, opposant riches et pauvres ?
Le président du film est un fasciste. Il exerce son troisième mandat, il tue des civils, il démantèle des agences fédérales qui menacent son pouvoir. Je crois que des États économiquement puissants percevraient ce risque et passeraient outre leurs divergences politiques car l’argent dépasse ces clivages quand il est mis face à un certain degré de menace.

Vous placez la ligne de front non loin de Charlottesville, connue pour avoir été le lieu de violentes manifestations anti-Black Lives Matter en 2017. Est-ce une manière d’en faire la racine du mal ?

Il y a un certain nombre de marqueurs de ce type saupoudrés sur le film, camouflés sous la texture objective du reportage. Je vous invite à rester à l’affût effectivement des lieux traversés ou quant aux chefs d’accusation sur la base desquels sont exécutés certains personnages. Je ne vais pas donner toutes les clés non plus…

Il y a beaucoup de points communs entre votre Civil War et Apocalypse Now, de la structure du récit à certaines citations formelles. Comment imaginez-vous le dialogue entre ces deux films ?

Apocalypse Now est un chef-d’œuvre. Mais je dois aussi dire que j’ai voulu couper avec une forme de séduction romantique de la guerre. Je ne crois pas que le film de Coppola soit fondamentalement pacifiste, il est trop romantique pour cela. Je voulais que mon film évite cette pente, que ce qu’il montre soit laid, dégradant, pathétique – sans quoi il aurait d’emblée échoué.

Civil War d’Alex Garland, avec Kirsten Dunst, Wagner Moura (É.-U., R.-U., 2024, 1 h 49). En salle depuis le 17 février.

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