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Pourquoi “Un p’tit truc en plus” est-il une gigantesque surprise au box-office ?

7 mai 2024 à 10:06

280 000 entrées : le meilleur premier jour pour un film français depuis Bienvenue chez les Ch’tis, nettement devant Intouchables et Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu qui avaient respectivement terminé leurs carrières à 19 et 12 millions de tickets vendus. Il est trop tôt pour dire jusqu’où le bouche-à-oreille mènera le premier film d’Artus, mais il est déjà certain qu’il ira loin, et pas si irréaliste de l’imaginer franchir la barre symbolique des 10 millions, à laquelle la fragmentation des publics (tangible sur cette sortie colossale en région mais très discrète à Paris – une douzaine de spectateur·ices à notre séance) avait donné ces dernières années une réputation de totem d’un ancien âge d’or désormais inatteignable. Le million est déjà atteint au terme de sa première semaine d’exploitation et la pauvreté de l’agenda blockbusters devrait inciter les multiplexes à se ruer dessus.

Pourquoi ? Comment ? Sans star porteuse (Artus n’a jamais excédé de beaucoup le million comme acteur et ses deux comédies de 2023, Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée et 38,5° quai des Orfèvres, ont fait de graves bides) ni superstructure de promotion (pas de grand groupe de distribution pour se ruiner en affichage), le hit ne peut pas non plus s’expliquer par la seule force de son sujet, le handicap – argument tentant mais qui n’a pas par exemple sauvé de la déception commerciale un film relativement voisin comme Hors normes de Nakache et Toledano.

Pied d’égalité

Les succès sont toujours multifactoriels et on ne saurait penser isolément la thématique, son traitement feel good, la netteté du pitch, les faveurs de la météo (pas bientôt fini ce temps de mars ?). Toujours est-il qu’Un p’tit truc en plus, s’il est une éclatante surprise, n’en est pas une si mauvaise. La purge vivrensembliste que l’on craignait, tramée de démonstrations compatissantes sur la valeur humaine des handicapé·es mentaux, leur sagesse et leur attendrissante sincérité ; bref, cet enfer noyé sous des tombereaux de bonnes intentions et de superficielles invitations à “changer de regard sur le handicap” n’est somme toute pas vraiment le film que nous avons vu, et il est plutôt heureux que l’archange du box-office ait mystérieusement déposé son index sur celui-ci plutôt que sur des abominations faussement bienveillantes comme les films de Louis-Julien Petit.

Ce qu’Artus réussit, c’est précisément à bien regarder ses personnages en les envisageant véritablement à égalité avec les valides, c’est-à-dire sans aucune espèce de retenue timorée dans la caricature, mais sans leur refuser pourtant un centimètre de terrain sur le plan de l’écriture, des possibilités de fiction, des facettes déployées par leurs personnages. L’un ne va en réalité pas sans l’autre, les deux se monnayent mutuellement, et le film pourrait ainsi multiplier les outrances, tant qu’il tiendrait cette ligne : ne jamais penser ses personnages de handicapé·es comme les fonctionnalités unidimensionnelles d’un récit gravitant autour de la star. Un détail qui n’en est pas un : très tôt les handicapé·es démasquent l’intrus, seules les éduc’ spé se font berner. C’est un vrai levier de comédie doublé d’une preuve cinglante de respect, posée comme une évidence : bien sûr qu’il n’y a qu’un valide assez con pour croire qu’Artus bavouillant vaguement possède un handicap.

Trouver son clown

Pour le reste, n’exagérons rien : le film n’est pas très drôle, et bâcle outrageusement sa fin en décrétant notamment que la fille tombe dans les bras du héros sans aucune installation préalable : si les handicapé·es sont bien regardé·s, pas sûrs que les femmes le soient autant. Il n’en a pas moins contredit l’adage légendaire de Robert Downey Jr. dans Tonnerre sous les tropiques : never go full retard – ne joue jamais l’attardé pur jus. Artus, ou du moins son personnage (subtile différence qui lui évite tout malaise) y est allé plein pot, et théorise même quelque peu sur la démarche (très drôle scène où il passe subrepticement d’un état de stupéfaction ahurie à la composition de son rôle de faux handicapé, stressant de ne pas “trouver son clown”). N’avoir honte de rien est sans doute, aussi, une clé de son succès.

“L’Esprit Coubertin” : Benjamin Voisin, Emmanuelle Bercot et du rififi aux JO

4 mai 2024 à 06:00

Quelque chose bouge du côté de la comédie française, incarnée par une nouvelle génération certes pas encore assez dotée en star power pour prendre la relève des mastodontes des années 2010 mais tout de même assimilable par le divertissement populaire. Le Dernier des Juifs de Noé Debré ou Bis Repetita d’Émilie Noblet ont récemment confirmé un vent de fraîcheur, apportant dans son sillage des objets plus en phase avec l’époque, empreints de subtilité et rétifs à un certain beaufisme qui avait dominé l’ethos de la comédie de ces deux dernières décennies.

L’Esprit Coubertin en est. Son auteur, Jérémie Sein, a officié comme réalisateur des bientôt quatre saisons de Parlement (créée par Debré, coréalisée par Noblet). Ancien journaliste sportif, ce n’est pas aux arcanes de la politique mais à celles de l’olympisme qu’il a consacré son premier long, centré sur le parcours chaotique d’un champion de tir aux JO de Paris. L’introverti Paul (Benjamin Voisin), véritable malaise ambulant aux manières brusques et autistiques, n’en est pas moins le dernier espoir de médaille d’une délégation française humiliée à domicile – mais à mesure que son épreuve approche, sa concentration se disperse entre querelles de dortoir et montées d’hormones.

Le film est parfaitement réussi dans le ton, et pourtant totalement cryptique quant à ses intentions : il semble limite buller, mener la barque de son récit au petit bonheur la chance, au gré des humeurs aléatoires de personnages assez bien brossés pour donner à l’ensemble un souffle de tableau vivant – mention spéciale à Laura Felpin, parfaite dans un rôle d’intendante du village olympique sans doute écrit pour elle. Le but n’est somme toute pas si éloigné de Parlement : Sein ne s’intéresse certainement ni à la politique européenne ni au sport (on verra d’ailleurs très peu de scènes d’épreuves – le budget ne semble pas y être pour rien), mais passionnément à la ménagerie bureaucratique grouillant autour de l’arène.

Dans quel but ? C’est un peu le mystère, tant le film se plaît à brouiller tout ce qui pourrait ressembler à une trajectoire motivée du héros, être attachant mais veule qui, s’il progresse sans nul doute, pour autant n’apprend rien. Tant sur le plan politique que sur celui des sentiments, Paul est entouré de gens plus matures et structurés que lui et essaie de se hisser à leur niveau, mais la part du mûrissement sincère et celle du strict mimétisme restent chez lui indiscernables. Un épilogue assez génial en donne sans doute la clé : interrogé des années plus tard sur le coup d’éclat de son olympiade, le jeune adulte accrédite mollement les questions toutes faites d’une journaliste qui l’érige en symbole (“C’était politique ? – Ah, bah oui…”).

L’Esprit Coubertin s’affirme à la lumière de cette coda comme une comédie sensible sur la perte collective de sens et la gesticulation des humain·es à l’intérieur de récits creux auxquels ils et elles font semblant de croire : l’exploit, le travail, l’effort, la vertu s’évanouissent instantanément sous son beau regard d’absolue désinvolture.

L’Esprit Coubertin de Jérémie Sein, avec Benjamin Voisin, Emmanuelle Bercot, Rivaldo Pawawi (Fr., 2024, 1 h 18). En salle le 8 mai.

“Jusqu’au bout du monde” : quand Viggo Mortensen se met au western, ça donne quoi ?

29 avril 2024 à 06:00

Étrange projet que ce western sans appartenance, ni classique, ni moderne, ni postmoderne, ni crépusculaire – sapant le genre roi de l’âge d’or hollywoodien de toute sa charge symbolique, donnant presque le sentiment qu’il n’a jamais existé, et que l’on peut désormais filmer un shérif du Nevada de 1860 exactement comme n’importe quel·le autre anonyme de l’histoire humaine, sans plus de résonance que s’il s’agissait d’un éleveur beauceron du XVIe siècle ou d’un courtier en assurances de 2024.

Outre le nombre de postes occupés (réalisateur, acteur principal, scénariste, compositeur), il y a sans doute beaucoup de Viggo Mortensen dans ce personnage d’émigré danois vivant à la semi-marge de la société primitive de l’Ouest : assez habile et craint pour y survivre, incapable cependant d’y conserver d’autre compagnie que celle d’une Québécoise aussi sauvage et étrangère que lui (Vicky Krieps), qui sera son grand amour, puis son épouse éplorée.

Des intentions du personnage, tour à tour cynique et moral, vengeur et las, on perd rapidement le fil : veut-il la liberté pour lui, la justice pour les autres, l’amour, la solitude, un peu tout à la fois ? De celles du film, on ne saurait mieux dire : on passe ces deux heures dans un état certes pas de désolation, mais de franche perplexité, que ne dissipent ni l’épure de la mise en scène ni le rigoureux prosaïsme du récit – impression d’un film pour rien, quasi irréprochable dans son costume de mélo historique néo-académique, mais parfaitement stérile.

Jusqu’au bout du monde de et avec Viggo Mortensen, Vicky Krieps, Solly McLeod (Mex., Can., Dan., 2023, 2 h 09). En salle le 1er mai.

“Challengers” : un “Jules et Jim” du capitalisme sportif qui nous a épuisés

23 avril 2024 à 09:02

On ne saurait retirer à Luca Guadagnino le crédit de la prise de risque et de l’extrême versatilité du style, lui qui aurait pu, après le triomphe (relatif – le film n’a pas véritablement explosé ni au box-office ni en récompenses, mais il a fortement impacté l’imaginaire collectif et révélé une superstar) de Call Me By Your Name, se sédentariser dans le mélodrame impressionniste, l’orfèvrerie des sentiments et des reconstitutions nostalgiques de bon goût. Pourtant, l’Italien s’est depuis essayé au remake horrifique (Suspiria), au road movie de marges white trash (Bones and All), avec certes une sincérité discutable et une tendance paradoxale à lisser les échardes qu’il était pourtant parti cueillir, mais néanmoins un goût certain de l’inconnu.

Le voilà avec ce nouveau film dans un répertoire encore plus inattendu pour lui, à savoir une mixture de thriller érotique très aguicheur et de film de sport aux forts accents fincheriens, soulignés par la contribution bulldozer, presque auto-parodique, du tandem Trent Reznor-Atticus Ross, qui livre une sorte de caricature de la partition electro-lounge de The Social Network. Challengers est centré sur un triangle amoureux formé par trois étoiles du tennis pro, d’abord montantes, bientôt presque toutes déchues : Patrick et Art, inséparables amis du centre de formation, et Tashi, star avant eux, qu’ils rencontrent à l’US Open, courtisent, et dont ils vont faire leur amie, leur amante et leur rivale – tout à la fois. La narration butine aux quatre coins de la chronologie, entre une éphémère complicité à trois, un premier couple laissant un malheureux éconduit, une rupture qui échange les rôles, une blessure grave qui stoppe une carrière, et des retrouvailles tardives dans un petit tournoi de seconde zone, alors que la bonne étoile de la célébrité et de l’argent a cruellement favorisé les uns mais pas les autres. 

Artillerie délirante d’effets

Le film nous laisse totalement lessivés, avec l’impression de sortir à la fois de deux heures de publicités sexualisantes doublées d’une de ces séances d’entraînement cardio à haute intensité dans des clubs pour cadres sup. C’est d’autant plus troublant que ses partis pris formels éprouvants, particulièrement dans les scènes de tennis où Guadagnino déploie une artillerie délirante d’effets (y compris des plans du point de vue de la balle que n’aurait pas renié le Gaspar Noé de la pire époque), mais même dans certaines scènes de simples dialogues, viennent étrangement se mettre au “service” (pardon) d’une trame amoureuse d’une remarquable subtilité. Le pacte amoureux kaléidoscopique reliant les trois pôles du film ne cesse de se renverser dans des configurations très agiles, écrivant la violence des sentiments à la surface des jeux de domination du court, captant impeccablement les forces irrépressibles du désir (bien aidé par la perfection des corps – le film est de ce point de vue extatique) et les contradictions fermes qu’elles opposent aux constructions factices des destins. 

Il y avait un beau, peut-être même un grand film à faire, mais c’est comme si ce Jules et Jim du capitalisme sportif avait été sacrifié sur l’autel d’une vulgarité et d’une boulimie formelle qui, si elles peuvent se justifier par son sujet, n’en sont néanmoins pas passées loin de le rendre irregardable. 

“Civil War” est-il le blockbuster d’anticipation que l’on attendait ?

16 avril 2024 à 16:04

On a pris ces dernières années l’habitude de voir les plus ambitieuses promesses de visions du futur proche que pouvait nous faire le cinéma américain se commuer systématiquement en un morne tableau post-apo, statique, gris-beige, consistant souvent à regarder une poignée de personnages errer au bord des carcasses de voitures le long d’une autoroute éventrée, se contentant de deux ou trois escarmouches laissant hors-champ la marche du monde et le spectacle pyrotechnique.

Civil War avait toutes les raisons de s’adonner à la même arnaque : il n’en est rien. Le film d’Alex Garland, le plus cher de l’histoire – encore jeune – de la major indé A24, traverse les lignes de front d’une Guerre de Sécession post-trumpiste (ce nom n’y est jamais prononcé) du point de vue de quatre journalistes partis interviewer un président néo-fasciste bientôt déchu. C’est une manière de renouer avec un certain cinéma d’auteur américain années 1970 à la fois réflexif et musclé, marqué notamment par la guerre du Vietnam, que réveille ici une référence appuyée à Apocalypse Now : les reporters remontent lentement un parcours désolé, à forte résonance coppolienne (l’ambiance féroce et joviale du raid de Pittsburgh/le surf en pleine bataille de Robert Duvall ; le sniper du parc d’attractions/le pont de Do Lung…) jusqu’à bien sûr l’issue de la rencontre avec un chef embusqué.

Fracture américaine

C’est aussi l’occasion d’un commentaire sur la presse, qui aurait pu être la faiblesse du film s’il s’était vautré dans les tirades méditatives sur la responsabilité de l’observateur et sa part de voyeurisme. Un terrain réflexif inévitablement patapouf où le film s’égare parfois, mais qu’il a l’élégance de traiter moins par le texte que par la mise en scène : le photojournalisme s’invite dans la représentation, crée des stases soudaines en noir et blanc – le monde devient en temps réel une couverture du New York Times, à moins que le massacre ne soit réduit au rang de shooting de mode.

Le film se plaît à brouiller ses modes d’alignement avec la fracture américaine que nous connaissons (l’alliance sécessionniste est notamment un drôle d’attelage de blue et red states : Californie, Texas, Floride…), par refus de l’hyper lisibilité sans doute, par prudence centriste aussi, et surtout parce que sa grande affaire n’est pas vraiment le commentaire d’une situation politique donnée, mais plutôt l’illustration de principes plus généraux sur la violence, l’amoralité masculine (vraie ligne de partage des personnages, qui peut évoquer Sicario de Villeneuve : les femmes portent tout le fardeau moral de la guerre aux côtés d’hommes fondamentalement inconséquents et épanouis dans le royaume du danger et de la confrontation), les dynamiques de la déshumanisation de l’ennemi, l’attrait irrépressible de la barbarie, et l’état groggy de vertige, de désorientation, d’excitation paradoxale que peut produire un accès d’horreur collective.

C’est à la fois un film parfois aussi bêtement crâneur que ses personnages, mais tout autant tramé d’accès de lucidité crue, et frappant par son ambition de reconstitution – surtout dans son dernier acte. Un calibre de blockbuster politique que l’on n’espérait plus vraiment.

Civil War d’Alex Garland, avec Kirsten Dunst, Wagner Moura (É.-U., R.-U., 2024, 1 h 49). En salle depuis le 17 février.

Alex Garland sur “Civil War”: “J’ai rompu avec une forme de séduction romantique de la guerre”

16 avril 2024 à 15:06

Civil War oppose une coalition d’États putschistes à un morcellement de milices, sans commandement central, évoquant la prolifération récente de groupuscules trumpistes anti-fédéraux comme les Three Percenters. Cela vous a-t-il inspiré ? Comment décririez-vous le processus conduisant à la guerre civile dépeinte par le film ?

Alex Garland — Je ne crois pas qu’il serait responsable de ma part de dresser des parallèles directs aussi accusatoires. Mais je dirais que ma source d’inspiration principale et le problème que j’identifie comme la clé de ce processus et de ce que nous vivons sont la montée de l’extrémisme. Elle est permise par la chute d’un certain nombre d’institutions protégeant la démocratie, combinée à l’essor de politiques populistes, extrêmement polarisées, et à une perte de confiance dans les médias. C’est un phénomène qui est déjà en cours, que l’on voit arriver en Amérique, en Europe, au Moyen-Orient, en Asie. Il mène à l’extrémisme et à la violence – qu’il soit religieux, de droite ou de gauche.

Mettez-vous un signe égal entre l’extrême droite et l’extrême gauche ?

Non, bien sûr. Ce dont j’essaie de vous parler, c’est de ce qui permet l’extrémisme. Et cette responsabilité est partagée par un ensemble d’acteurs. Dans mon pays, le Royaume-Uni, un gouvernement extrémiste a été conduit au pouvoir. Boris Johnson était clairement un menteur et un corrompu. Mais c’était le travail de l’opposition de le contrer efficacement. Or cette opposition s’est perdue dans ses postures politiques, oubliant de simplement tenir Johnson à distance du pouvoir.

Le statut de la presse est ambigu dans le film, qui célèbre une forme d’héroïsme journalistique en même temps qu’il en fait aussi un des éléments de la débâcle morale…

Quand j’ai dit que je voulais faire un film sur les journalistes, on m’a répondu : “Ne fais pas ça, tout le monde déteste les journalistes.” Cela m’a affecté car les journalistes sont, comme les médecins, des piliers de notre société. Je voulais donc renvoyer à une forme ancienne de journalisme, qui consiste à tenter de rapporter des événements sans biais. Je pense qu’un des fondements du populisme actuel est qu’une partie du journalisme est déterminée par ses biais, plus que par les faits recensés, pour des raisons économiques – des annonceurs, un public cible. Ce n’est évidemment pas sans lien avec le fait que les journalistes qui continuent de faire du bon travail ne sont plus écoutés ou ne sont plus crus. C’est la responsabilité également de forces politiques qui ont franchi le Rubicon du dénigrement de la presse et encouragé cette perte de confiance.

Il y a une réplique qui restera probablement – “une quote me suffira” – et qui en dit tout de même long sur votre sentiment…

C’est une manière de leur faire dire : mon métier est devenu futile. Que vaut mon avertissement si personne ne m’écoute ? Je pense que cette scène a plusieurs dimensions.

La division que dépeint le film n’est pas superposable à celle des États-Unis actuelsDans Civil War, l’alliance sécessionniste rassemble des Blue States progressistes, comme la Californie, et des Red States conservateurs, comme la Floride et le Texas, qui ont en commun d’être dans le top en matière de PIB. La guerre civile est-elle une guerre de classes, opposant riches et pauvres ?
Le président du film est un fasciste. Il exerce son troisième mandat, il tue des civils, il démantèle des agences fédérales qui menacent son pouvoir. Je crois que des États économiquement puissants percevraient ce risque et passeraient outre leurs divergences politiques car l’argent dépasse ces clivages quand il est mis face à un certain degré de menace.

Vous placez la ligne de front non loin de Charlottesville, connue pour avoir été le lieu de violentes manifestations anti-Black Lives Matter en 2017. Est-ce une manière d’en faire la racine du mal ?

Il y a un certain nombre de marqueurs de ce type saupoudrés sur le film, camouflés sous la texture objective du reportage. Je vous invite à rester à l’affût effectivement des lieux traversés ou quant aux chefs d’accusation sur la base desquels sont exécutés certains personnages. Je ne vais pas donner toutes les clés non plus…

Il y a beaucoup de points communs entre votre Civil War et Apocalypse Now, de la structure du récit à certaines citations formelles. Comment imaginez-vous le dialogue entre ces deux films ?

Apocalypse Now est un chef-d’œuvre. Mais je dois aussi dire que j’ai voulu couper avec une forme de séduction romantique de la guerre. Je ne crois pas que le film de Coppola soit fondamentalement pacifiste, il est trop romantique pour cela. Je voulais que mon film évite cette pente, que ce qu’il montre soit laid, dégradant, pathétique – sans quoi il aurait d’emblée échoué.

Civil War d’Alex Garland, avec Kirsten Dunst, Wagner Moura (É.-U., R.-U., 2024, 1 h 49). En salle depuis le 17 février.

James Cameron à la Cinémathèque : la canonisation ?

5 avril 2024 à 13:05

“C’est le record de la plus longue standing ovation qu’on m’ait jamais faite !”, s’exclame un James Cameron poliment flatté devant les gradins pleins à craquer de la salle Henri Langlois, où vient de s’achever la projection de Terminator, et où il s’apprête à donner une masterclass suivie d’un dialogue avec la réalisatrice Alice Winocour – il a beaucoup aimé son Proxima, que la réalisatrice reconnaît elle-même comme un film sous haute influence cameronienne.

La remarque est doublement parlante. D’abord parce qu’elle dit à quel point le cinéaste – qui a très certainement connu des ovations plus longues, mais plutôt dans des Comic-Cons que des musées – est sensible à la gratification honorifique d’une vénérable institution, qui manquait encore à son tableau de chasse. Ensuite parce qu’il est un peu gaguesque qu’il ne puisse, y compris au sujet d’une telle reconnaissance qualitative, s’empêcher de penser en quantités, et donc en records – lui qui possède déjà celui du box-office, du budget, du nombre d’Oscars…

À l’aise à l’oral, heureux d’amuser un parterre de fans dont certains avaient fait la queue depuis l’aube, James Cameron s’est essentiellement fendu d’anecdotes de tournage, de joyeux souvenirs de débrouille focalisés sur les années 80 de Terminator et Aliens (Winocour d’ailleurs osera lui demander : “êtes-vous resté fidèle au goût du risque de vos années de dénuement ?”, pour une réponse assez attendue sur l’extrême risque commercial de projets originaux comme Titanic ou Avatar, que l’on a tendance à oublier vu le succès obtenu) et d’imitations discutables de Schwarzie. Cameron a eu soin de corriger le récit de leur rencontre, rapportant comment un déjeuner lui offrit de voir en l’acteur – auquel il s’apprêtait d’ailleurs à refuser poliment le rôle du soldat humain Kyle Reese –, “un visage frappant, affectant une volonté inébranlable”, et lui donna l’idée de réécrire en direct tout le film pour lui donner le rôle du Terminator. La première scène tournée (celle de la traque dans le parking) lui confirmera ce qui est aujourd’hui une évidence, qu’il revendique crânement : “Arnold n’était pas Conan ; il était le Terminator.”

Des interrogations majeures non soulevées

Présenté dans une introduction aux mots choisis comme une sorte de démiurge prométhéen, c’est-à-dire un Trouvetou, mais avec une dimension de prophète capable de transfigurer l’ontologie du cinéma pour donner corps à ses visions, Cameron n’a cependant pas tout à fait été présenté comme beaucoup plus qu’un certes immense génie de la fabrication. On ressort de ces deux heures de célébration avec quelques interrogations majeures non soulevées – comme par exemple son rapport profond à la machine, sa vision de la frontière du vivant et du mécanique, centrale dans son œuvre et pourtant restée assez accessoire dans un dialogue plutôt placé sous le signe d’une question plus simple : “Comment avez-vous fait ?”

L’exposition L’Art de James Cameron durera jusqu’en janvier 2025. La Cinémathèque nous invite à en conjuguer la visite avec celle qu’elle consacre de manière permanente à Georges Méliès, deux étages plus bas. Rapport évident ; manière, aussi, de s’en tenir au premier métier de Cameron, celui de superviseur d’effets spéciaux.

On a classé les 10 films de James Cameron

3 avril 2024 à 15:26

10. True Lies, 1994

Cameron s’essaie à un registre comique caricaturalement opposé à son ADN, frotte sa star à un rôle de dandy espion à la James Bond mâtiné de satire conjugale à la Mr and Mrs Smith, mais le résultat est au mieux balourd, au pire carrément misogyne et raciste. Agent spécial passant pour un col blanc pépère aux yeux de sa femme, Harry Tasker est un alter ego très complaisant, au moment où Cameron enchaîne triomphes pyrotechniques et difficultés conjugales. Le film véhicule de drôles de fantasmes de possession de sa femme, doublés d’une douteuse hécatombe de figurants arabes indifférenciés. Sa vraie sortie de terrain.

9. Piranha 2 : Les Tueurs volants, 1981

Fausse suite (pas un personnage ni un décor en commun) d’un Joe Dante lui-même pensé comme une parodie des épigones des Dents de la mer, cette pochade horrifique met pour la première fois Cameron le pied à l’étrier, mais bon courage pour reconnaître sa patte : viré au bout de deux semaines par le producteur Ovidio Assonitis, qui finira le tournage lui-même, le réalisateur n’aura pas le temps de laisser sa marque. Sans grande ferveur ni dans le registre parodique, ni dans l’horrifique, le film se perd entre premier et second degré et s’oublie vite. Cameron finira par l’assumer ironiquement comme “le meilleur film de piranhas volants jamais réalisé”.

8. Avatar 2 : La Voie de l’eau, 2022

Trop tard, trop ambitieux, trop similaire au premier volet : treize ans ont passé depuis la révolution Avatar, et cette suite maintes fois reportée est un encombrant invité dans le paysage du blockbuster de 2022 – qu’elle va néanmoins dominer largement en billetterie. Passé la sidération photoréaliste, la sophistication du mouvement, les sensations tangibles d’inertie, de pression, de flottement que l’art du relief cameronien est encore capable de ménager, reste un goût d’incongru, comme une réédition commémorative de l’épiphanie de 2009, condamnée à ne produire d’autre effet qu’une vague admiration perplexe entremêlée de déjà-vu et de lassitude. Vraiment, encore cinq films après celui-là ?

7. Les Fantômes du Titanic, 2003

Cameron remonte difficilement à la surface après le couronnement de Titanic, au sommet absolu du box-office mondial et des Oscars : il produit et réalise plusieurs documentaires prolongeant le long métrage et son attrait pour les abysses (il est par ailleurs le détenteur du record mondial de profondeur en bathyscaphe – et vous, combien de records du monde ?), dont ce film certes formaté pour une exploitation télé sur bouquet National Geographic, mais qui n’en reste pas moins habité par une certaine âme zweigienne : une poignante visite des ruines englouties du monde d’hier.

6. Terminator, 1984

Tout n’est pas réussi dans ce que le réalisateur considère comme son véritable premier film – l’intrigue amoureuse, le “propos” (le mot est fort) sur l’avenir techno-fasciste sont d’un kitsch que, moyennant un peu d’indulgence, l’on excusera à ce qu’il faut avant tout regarder comme une honnête série B. Mais le film est brillant dans l’atmosphère de déréalisation morbide qu’il installe, qui passe uniquement par le regard, et pose donc la naissance d’un authentique cinéaste : l’Amérique des années 1980 vue comme un décor à détruire, peuplé de figurines vouées à la mort. Que vient vraiment terminer le Terminator ?

5. Avatar, 2009

Investi des pleins pouvoirs hollywoodiens, Cameron bat le record de budget, puis celui du box-office, donc évidemment le film manque de garde-fous : le discours écolo est d’une naïveté risible au regard de son empreinte carbone, l’esthétique de jeu PS2 à jungle gluante-fluo n’est pas du meilleur goût. Reste la révolution du relief, qui à elle seule fait du film un jalon – technologie faite pour lui, bien plus que pour le reste de l’industrie, qui s’engouffrera dans la brèche, s’y perdra, et renoncera. Une nouvelle expérience de cinéma révolutionnaire, profondément vidéoludique, à l’avenant d’un héros paraplégique offert à une renaissance virtuelle.

4. Aliens, 1986

Il n’était pas aisé de donner suite à un chef-d’œuvre de science-fiction aussi magistralement épuré qu’Alien. Cameron s’acquitte du défi en affirmant crânement ne devoir aucun égard au minimalisme de Ridley Scott : il ramène sans complexe aucun la saga à lui, muscle le jeu, fait pulluler les monstres et transforme le huis clos horrifique en film de guerre futuriste, sous lointaine influence vietnamienne. L’ellipse inaugurale est un coup de génie : Ripley sort d’un siècle de sommeil, apprend la mort de sa fille, sa vie n’a plus de sens en dehors du couple qu’elle forme malgré elle avec l’alien. Glaçant.

3. Abyss, 1989

Cameron franchit la frontière la plus importante de son œuvre : la surface de l’eau, sous laquelle se cache une plateforme coincée dans les grands fonds, et visitée par d’étranges créatures marines venues d’ailleurs. Rétif aux effets spéciaux, tourné dans une centrale désaffectée inondée, le film est un organisme ingénierique prodigieux, qui figure les confins de l’univers (un vaisseau suspendu au milieu d’une immensité noire et asphyxiante), en même temps qu’il se dote d’une physicalité frappante. Cameron n’a pas son pareil pour donner à sentir l’humidité, l’apnée, les épreuves soumises au corps – jusqu’à ce qui est sans doute la plus haletante scène de réanimation de l’histoire du cinéma.

2. Terminator 2, 1991

Au T-800 indestructible mais structurellement simple du premier épisode s’oppose désormais une machine métamorphe de “métal liquide” prenant la forme de tout ce qu’elle touche. Y voir une métaphore du passage du mécanique au numérique, de la dématérialisation des images, doublée d’une manière de conte : un enfant courageux apprivoise un robot, réveillant la vieille rengaine de l’âme de la machine. C’est au fond déjà Avatar : Terminator explore la frontière du vivant et du mécanique, jusque dans le jeu de Schwarzie, “étude sur le mouvement humain” (Prodiges d’Arnold Schwarzenegger de Jérôme Momcilovic, Capricci), qui remonte aux préhistoires anatomiques du cinéma. Le futurisme morbide se précise et gagne en force : le film est tramé de visions fulgurantes d’apocalypse nucléaire incarnées par les rêves de Sarah Connor. D’une série B prometteuse mais étriquée naît un objet de pure sidération et de vertige théorique.

1. Titanic, 1997

Son chef-d’œuvre le plus abouti, sans doute l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma de grand spectacle, voire du cinéma tout court. L’alliage du classicisme shakespearien de la romance et de la toute-puissance opératique du film-catastrophe donne naissance à un objet suspendu au-dessus de l’Histoire, tendu à travers les temps, récit des origines (l’arche de Noé de la vieille Europe voguant vers l’Amérique, le Titanic comme un Mayflower) et vision du futur, parfaitement consubstantiel à son sujet : Titanic est le Titanic, un chantier au gigantisme prométhéen, destiné à un naufrage qui avale le film et le bateau à la fois, comme si toute la matière se consommait d’elle-même. Le tombeau du XXe siècle (l’ancien monde aristocrate relégué à son ultime repos au fond des abysses) et l’avènement du XXIe.

“Le Salaire de la peur” : une version Netflix néo-beauf et gentiment décérébrée

2 avril 2024 à 07:21

Nous ne sommes plus en Amérique du Sud, mais dans un décor de désert, dans un pays fictif d’Afrique du nord ou du Moyen-Orient, en proie à une violente révolution qui crée un climat d’instabilité généralisée. Il y a bien un puits de pétrole, un incendie qui éclate, et le projet terrifiant de l’éteindre par une explosion de nitroglycérine transportée par camion. C’est à peu près tout.

Pour le reste, Le Salaire de la peur version Netflix vient surtout apposer sur ces prémisses un cahier des charges d’actioner beaufisant au mieux gentiment décérébré, au pire en délit de corruption criminelle des enjeux de l’œuvre originale.

Netflix France serait-il le nouvel Europacorp ?

/MCar au risque de divulguer des éléments clé de l’intrigue (si vous souhaitez vous en prémunir, interrompez dès ici votre lecture), il faudrait d’abord préciser ceci : Le Salaire de la peur, que ce soit dans le roman de Georges Arnaud, dans sa première adaptation par Henri-Georges Clouzot sous le même titre, ou dans sa seconde par William Friedkin (Sorcerer), ce n’est pas du tout, du tout, une affaire de héros qui auraient quelque chose à sauver autre qu’eux-mêmes. La question de l’héroïsme est totalement, presque moralement absente de cette histoire fondamentalement pessimiste, individualiste et mortifère : celle d’hommes abandonnés, coincés en enfer, risquant aveuglément leur vie pour en sortir, et qui vont justement tous y passer.

Des principes piétinés par cette nouvelle mouture où le convoi n’est pas une caravane de mâles déchus et fantomatiques, mais un attelage classiquement néo-beauf de héros patriarcaux, des frères ennemis, des pères de famille, des requins bien intègres aux dents longues, des hommes debout avec des métiers virils et des femmes à impressionner. Une ambiance de mauvais Fast and Furious, voire de bessonade 90’s (Eric Serra à la musique réveille tout un souvenir perdu du pire cinéma d’exploitation français bankable à l’international – Netflix France serait-il le nouvel Europacorp ?), parcourt le résultat d’un film qui semble à peine au courant de la noirceur profonde dont il hérite si mal.

Un gag ?

Preuve ultime de son illégitimité éclatante : il a semble-t-il oublié en chemin le seul moteur de tension caractéristique de son intrigue, la terrifiante instabilité du chargement, qui de chaque nid-de-poule, de chaque coup de frein, de la moindre collision la perspective d’une mort instantanée dans un flash de nitroglycérine.

Or tous les dangers menaçant le convoi sont ici externalisés : checkpoint terroriste, champ de mine, trahisons entre convoyeurs… à tel point qu’on finit par vivre le film comme si les camions transportaient des légumes primeurs, sur des routes par ailleurs parfaitement carrossables. Presque un gag.

Le Salaire de la peur de Julien Leclercq avec Franck Gastambide, Alban Lenoir, Sofiane Zermanisur Netflix

“Kung Fu Panda 4” : DreamWorks rempile, jusqu’à l’écœurement ?

26 mars 2024 à 11:34

C’est presque anachronique : la mixture de “Dreamworks faces” (sourire en coin et sourcils obliques, la grimace-signature des héros de la maison-mère des franchises Shrek, Madagascar…), de kung-fu de supermarché et d’humour sagement graveleux qui préside à la recette de Kung-Fu Panda 4 n’a pas changé d’une pousse de soja, huit ans déjà après le 3. À la seule différence notable de l’absence des “Cinq Furies”– dont les voix illustres (Angelina Jolie, Lucy Liu, Jackie Chan…) pouvaient encore donner aux premiers épisodes un parfum de superband du film d’action adapté aux enfants –, ce quatrième volet aurait aussi bien pu sortir en 2009 qu’en 2024.

Il serait probablement excessif de s’en offusquer, tant il n’y a jamais vraiment eu de hautes espérances à fonder sur cet objet de divertissement relevant depuis toujours de la même espèce de flamboyance inerte, plastification kids-friendly d’une certaine resucée hollywoodienne du cinéma d’arts martiaux, comique sans être vraiment drôle, spectaculaire sans chercher d’aucune manière l’invention formelle.

Une croisière sans pilote ?

Il est toutefois permis de se demander où le studio va avec tout cela, alors que la perspective d’un cinquième volet s’annonce déjà timidement. Le pot-pourri d’ancien·nes méchant·es et le caméléonisme effréné du principal antagoniste (reptile métamorphe adoptant l’apparence et le style de combat de ses proies) laissent croire que la licence a atteint un stade d’autocitation jukebox connu pour être souvent le chant du cygne de ce genre de franchises.

L’animation de grande exploitation est notoirement devenue plus texturée, plus organique, plus dynamique, notamment depuis le triomphe de Spider-Verse, mais ici on n’en a visiblement pas entendu parler. Cette croisière sans pilote est bien décidée à voguer à tout jamais, sourde à toutes les sirènes d’un monde qui change loin d’elle mais continue par habitude de la regarder mollement, en attendant un Kung-Fu Panda 167 que projetteront sans doute en boucle les salles vides d’un monde futur dont aura disparu l’humanité.

Kung Fu Panda 4 de Mike Mitchell avec les voix de Awkwafina, Jack Black, Bryan Cranston – Au cinéma le 27 mars

“La Promesse verte” : pourquoi ce thriller français pourtant mal parti s’en tire pas si mal

26 mars 2024 à 11:26

La vogue des “films-dossiers” à la française ne cesse de gonfler ses voiles, poussée par une série de succès récents qui sont en train d’en faire un créneau d’exploitation. Le combat de l’homme ou de la femme seule contre un système capitaliste tentaculaire et tout-puissant s’y déploie dans une multitude d’avatars contemporains tirés ou non de faits réels : lutte contre les pesticides et Monsanto (Goliath), pollution aux algues vertes (Les Algues vertes), scandale du Mediator (La Fille de Brest)…

De la capacité de ces objets à faire naître un Erin Brockovich ou un Révélations à la française, on doute quelque peu – un ronron de téléfilm à sujet émane plutôt de ces thrillers mornes et formatés, structurés par des archétypes paresseux et plombés par le didactisme. 

Manichéisme binaire

Malgré un canevas d’un ringardisme terminal (white saviors en forêt équatoriale, torpeur grasse et seconds rôles sans relief : on n’est presque pas si loin de Sound of Freedom) La Promesse verte, étrangement, s’en tire sans totalement se saborder, grâce notamment à un tandem assez sobrement incarné, rétif aux excès de pathos.

Sans doute aussi grâce à son choix de faire passer sa dimension sensible avant son commentaire politique – c’est bien avant tout l’histoire d’un fils et de sa mère, lui travailleur humanitaire retenu dans les geôles d’une police indonésienne corrompue par les mafias de l’huile de palme qu’il tentait de dénoncer, elle prof quelque peu dépassée par les événements, mais qui va tout faire pour l’en sortir. Du sauvetage au fin fond des enfers à la rebirth de l’innocent en captivité se déploie un juteux spectre de références allant de l’antique au moderne (Orphée, Edmond Dantès, Midnight Express ?), pourtant l’on ne saurait reconnaître au film, d’un manichéisme passablement binaire et donc fort ennuyeux, de plus grand mérite que celui de ne pas nous avoir embarrassé – ce qui est déjà une assez bonne surprise, au vu du marigot de pensums à sujet dont il émerge.

La Promesse verte d’Édouard Bergeon avec Félix Moati et Alexandra Lamy – En salle le 27 mars

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