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James Cameron à la Cinémathèque : la canonisation ?

5 avril 2024 à 13:05

“C’est le record de la plus longue standing ovation qu’on m’ait jamais faite !”, s’exclame un James Cameron poliment flatté devant les gradins pleins à craquer de la salle Henri Langlois, où vient de s’achever la projection de Terminator, et où il s’apprête à donner une masterclass suivie d’un dialogue avec la réalisatrice Alice Winocour – il a beaucoup aimé son Proxima, que la réalisatrice reconnaît elle-même comme un film sous haute influence cameronienne.

La remarque est doublement parlante. D’abord parce qu’elle dit à quel point le cinéaste – qui a très certainement connu des ovations plus longues, mais plutôt dans des Comic-Cons que des musées – est sensible à la gratification honorifique d’une vénérable institution, qui manquait encore à son tableau de chasse. Ensuite parce qu’il est un peu gaguesque qu’il ne puisse, y compris au sujet d’une telle reconnaissance qualitative, s’empêcher de penser en quantités, et donc en records – lui qui possède déjà celui du box-office, du budget, du nombre d’Oscars…

À l’aise à l’oral, heureux d’amuser un parterre de fans dont certains avaient fait la queue depuis l’aube, James Cameron s’est essentiellement fendu d’anecdotes de tournage, de joyeux souvenirs de débrouille focalisés sur les années 80 de Terminator et Aliens (Winocour d’ailleurs osera lui demander : “êtes-vous resté fidèle au goût du risque de vos années de dénuement ?”, pour une réponse assez attendue sur l’extrême risque commercial de projets originaux comme Titanic ou Avatar, que l’on a tendance à oublier vu le succès obtenu) et d’imitations discutables de Schwarzie. Cameron a eu soin de corriger le récit de leur rencontre, rapportant comment un déjeuner lui offrit de voir en l’acteur – auquel il s’apprêtait d’ailleurs à refuser poliment le rôle du soldat humain Kyle Reese –, “un visage frappant, affectant une volonté inébranlable”, et lui donna l’idée de réécrire en direct tout le film pour lui donner le rôle du Terminator. La première scène tournée (celle de la traque dans le parking) lui confirmera ce qui est aujourd’hui une évidence, qu’il revendique crânement : “Arnold n’était pas Conan ; il était le Terminator.”

Des interrogations majeures non soulevées

Présenté dans une introduction aux mots choisis comme une sorte de démiurge prométhéen, c’est-à-dire un Trouvetou, mais avec une dimension de prophète capable de transfigurer l’ontologie du cinéma pour donner corps à ses visions, Cameron n’a cependant pas tout à fait été présenté comme beaucoup plus qu’un certes immense génie de la fabrication. On ressort de ces deux heures de célébration avec quelques interrogations majeures non soulevées – comme par exemple son rapport profond à la machine, sa vision de la frontière du vivant et du mécanique, centrale dans son œuvre et pourtant restée assez accessoire dans un dialogue plutôt placé sous le signe d’une question plus simple : “Comment avez-vous fait ?”

L’exposition L’Art de James Cameron durera jusqu’en janvier 2025. La Cinémathèque nous invite à en conjuguer la visite avec celle qu’elle consacre de manière permanente à Georges Méliès, deux étages plus bas. Rapport évident ; manière, aussi, de s’en tenir au premier métier de Cameron, celui de superviseur d’effets spéciaux.

On a classé les 10 films de James Cameron

3 avril 2024 à 15:26

10. True Lies, 1994

Cameron s’essaie à un registre comique caricaturalement opposé à son ADN, frotte sa star à un rôle de dandy espion à la James Bond mâtiné de satire conjugale à la Mr and Mrs Smith, mais le résultat est au mieux balourd, au pire carrément misogyne et raciste. Agent spécial passant pour un col blanc pépère aux yeux de sa femme, Harry Tasker est un alter ego très complaisant, au moment où Cameron enchaîne triomphes pyrotechniques et difficultés conjugales. Le film véhicule de drôles de fantasmes de possession de sa femme, doublés d’une douteuse hécatombe de figurants arabes indifférenciés. Sa vraie sortie de terrain.

9. Piranha 2 : Les Tueurs volants, 1981

Fausse suite (pas un personnage ni un décor en commun) d’un Joe Dante lui-même pensé comme une parodie des épigones des Dents de la mer, cette pochade horrifique met pour la première fois Cameron le pied à l’étrier, mais bon courage pour reconnaître sa patte : viré au bout de deux semaines par le producteur Ovidio Assonitis, qui finira le tournage lui-même, le réalisateur n’aura pas le temps de laisser sa marque. Sans grande ferveur ni dans le registre parodique, ni dans l’horrifique, le film se perd entre premier et second degré et s’oublie vite. Cameron finira par l’assumer ironiquement comme “le meilleur film de piranhas volants jamais réalisé”.

8. Avatar 2 : La Voie de l’eau, 2022

Trop tard, trop ambitieux, trop similaire au premier volet : treize ans ont passé depuis la révolution Avatar, et cette suite maintes fois reportée est un encombrant invité dans le paysage du blockbuster de 2022 – qu’elle va néanmoins dominer largement en billetterie. Passé la sidération photoréaliste, la sophistication du mouvement, les sensations tangibles d’inertie, de pression, de flottement que l’art du relief cameronien est encore capable de ménager, reste un goût d’incongru, comme une réédition commémorative de l’épiphanie de 2009, condamnée à ne produire d’autre effet qu’une vague admiration perplexe entremêlée de déjà-vu et de lassitude. Vraiment, encore cinq films après celui-là ?

7. Les Fantômes du Titanic, 2003

Cameron remonte difficilement à la surface après le couronnement de Titanic, au sommet absolu du box-office mondial et des Oscars : il produit et réalise plusieurs documentaires prolongeant le long métrage et son attrait pour les abysses (il est par ailleurs le détenteur du record mondial de profondeur en bathyscaphe – et vous, combien de records du monde ?), dont ce film certes formaté pour une exploitation télé sur bouquet National Geographic, mais qui n’en reste pas moins habité par une certaine âme zweigienne : une poignante visite des ruines englouties du monde d’hier.

6. Terminator, 1984

Tout n’est pas réussi dans ce que le réalisateur considère comme son véritable premier film – l’intrigue amoureuse, le “propos” (le mot est fort) sur l’avenir techno-fasciste sont d’un kitsch que, moyennant un peu d’indulgence, l’on excusera à ce qu’il faut avant tout regarder comme une honnête série B. Mais le film est brillant dans l’atmosphère de déréalisation morbide qu’il installe, qui passe uniquement par le regard, et pose donc la naissance d’un authentique cinéaste : l’Amérique des années 1980 vue comme un décor à détruire, peuplé de figurines vouées à la mort. Que vient vraiment terminer le Terminator ?

5. Avatar, 2009

Investi des pleins pouvoirs hollywoodiens, Cameron bat le record de budget, puis celui du box-office, donc évidemment le film manque de garde-fous : le discours écolo est d’une naïveté risible au regard de son empreinte carbone, l’esthétique de jeu PS2 à jungle gluante-fluo n’est pas du meilleur goût. Reste la révolution du relief, qui à elle seule fait du film un jalon – technologie faite pour lui, bien plus que pour le reste de l’industrie, qui s’engouffrera dans la brèche, s’y perdra, et renoncera. Une nouvelle expérience de cinéma révolutionnaire, profondément vidéoludique, à l’avenant d’un héros paraplégique offert à une renaissance virtuelle.

4. Aliens, 1986

Il n’était pas aisé de donner suite à un chef-d’œuvre de science-fiction aussi magistralement épuré qu’Alien. Cameron s’acquitte du défi en affirmant crânement ne devoir aucun égard au minimalisme de Ridley Scott : il ramène sans complexe aucun la saga à lui, muscle le jeu, fait pulluler les monstres et transforme le huis clos horrifique en film de guerre futuriste, sous lointaine influence vietnamienne. L’ellipse inaugurale est un coup de génie : Ripley sort d’un siècle de sommeil, apprend la mort de sa fille, sa vie n’a plus de sens en dehors du couple qu’elle forme malgré elle avec l’alien. Glaçant.

3. Abyss, 1989

Cameron franchit la frontière la plus importante de son œuvre : la surface de l’eau, sous laquelle se cache une plateforme coincée dans les grands fonds, et visitée par d’étranges créatures marines venues d’ailleurs. Rétif aux effets spéciaux, tourné dans une centrale désaffectée inondée, le film est un organisme ingénierique prodigieux, qui figure les confins de l’univers (un vaisseau suspendu au milieu d’une immensité noire et asphyxiante), en même temps qu’il se dote d’une physicalité frappante. Cameron n’a pas son pareil pour donner à sentir l’humidité, l’apnée, les épreuves soumises au corps – jusqu’à ce qui est sans doute la plus haletante scène de réanimation de l’histoire du cinéma.

2. Terminator 2, 1991

Au T-800 indestructible mais structurellement simple du premier épisode s’oppose désormais une machine métamorphe de “métal liquide” prenant la forme de tout ce qu’elle touche. Y voir une métaphore du passage du mécanique au numérique, de la dématérialisation des images, doublée d’une manière de conte : un enfant courageux apprivoise un robot, réveillant la vieille rengaine de l’âme de la machine. C’est au fond déjà Avatar : Terminator explore la frontière du vivant et du mécanique, jusque dans le jeu de Schwarzie, “étude sur le mouvement humain” (Prodiges d’Arnold Schwarzenegger de Jérôme Momcilovic, Capricci), qui remonte aux préhistoires anatomiques du cinéma. Le futurisme morbide se précise et gagne en force : le film est tramé de visions fulgurantes d’apocalypse nucléaire incarnées par les rêves de Sarah Connor. D’une série B prometteuse mais étriquée naît un objet de pure sidération et de vertige théorique.

1. Titanic, 1997

Son chef-d’œuvre le plus abouti, sans doute l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma de grand spectacle, voire du cinéma tout court. L’alliage du classicisme shakespearien de la romance et de la toute-puissance opératique du film-catastrophe donne naissance à un objet suspendu au-dessus de l’Histoire, tendu à travers les temps, récit des origines (l’arche de Noé de la vieille Europe voguant vers l’Amérique, le Titanic comme un Mayflower) et vision du futur, parfaitement consubstantiel à son sujet : Titanic est le Titanic, un chantier au gigantisme prométhéen, destiné à un naufrage qui avale le film et le bateau à la fois, comme si toute la matière se consommait d’elle-même. Le tombeau du XXe siècle (l’ancien monde aristocrate relégué à son ultime repos au fond des abysses) et l’avènement du XXIe.

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