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À partir d’avant-hierMusique

Comment Taylor Swift emprisonne les Swifties dans sa toile

Par : Elsa Pereira
7 mai 2024 à 15:49

“Je ne comprends pas qui écoute ça en France”, nous lance-t-on alors que démarre notre quête de témoignages auprès des fans français·es. Pourtant, il semblerait que l’artiste originaire de Pennsylvanie n’a plus rien à prouver. Après des débuts dans la country, Taylor Swift s’est doucement imposée comme une pop star de référence, raflant pour la 4e fois le trophée du meilleur album à la dernière cérémonie des Grammy Awards – mieux que Stevie Wonder et Frank Sinatra.

Ses chiffres de ventes donnent le tournis : plus de 170 millions de disques à travers le monde et 51 millions rien qu’aux États-Unis, où Taylor Swift détient le record du XXIe siècle. Ses tournées remplissent les plus vastes enceintes et sa dernière, la Reputation Stadium Tour en 2018, a carrément battu des records de recettes historiques. Mais au-delà des chiffres, Taylor fascine par son impressionnante fanbase, les Swifties. Sur Instagram, ses 284 millions d’abonné·es suivent avec ferveur chaque détail de sa vie. Aujourd’hui, à seulement 34 ans, Taylor Swift est sur le toit du monde. Dix-sept ans après ses débuts, elle règne en maîtresse incontestée de l’industrie musicale. Décryptage.

Au Royaume de Taylor

Si elle est difficile à quantifier, la communauté française des Swifties est bien présente comme le montrent les 22 000 abonné·es du compte @TSwiftNewsFR sur Twitter. Cependant, elle apparaît plus éclatée en France qu’outre-Atlantique. Contrairement aux Swifties américain·es qui forment une masse soudée exprimant bruyamment son amour pour Taylor, le fandom tricolore semble privilégier une passion plus individuelle. Beaucoup préfèrent suivre l’actualité de leur idole de manière autonome, les fans français·es exposent leurs sentiments de façon plus discrète sur les réseaux, égrenant likes et commentaires sur TikTok, Instagram, Twitter ou encore Reddit. 

Amber, journaliste en herbe de 25 ans et sûrement la plus investie des Swifties interrogées, décrit une dynamique sociale complexe au sein de la communauté française des Swifties. Elle relate des interactions quotidiennes entre fans à travers des discussions de groupes sur Instagram et un désir commun de partager leur passion pour Taylor Swift. Mais elle souligne une différence de comportement entre les fans français·es et américain·es, notamment lors de la mise en vente des billets pour le Eras Tour, illustrant des subtilités culturelles qui animent la communauté des Swifties à travers le monde. Elle déplore un manque de solidarité en France, contrairement à l’élan de camaraderie observé outre-Atlantique. Certaines personnes se sont notamment montrées agressives lorsqu’elles n’arrivaient pas à obtenir le fameux sésame pour assister au concert de leur idole, rejetant la faute sur le dos des fans plus récentes n’ayant découvert Taylor “que” depuis Midnights, son dixième album studio sorti en 2022. Ces désagréments n’empêchent aucunement Amber de se réjouir à l’idée d’assister à pas moins de six dates du Eras Tour. “Avec ma meilleure amie, on a lancé le compte @inesandamber sur TikTok pour suivre la tournée en Europe”, partage-t-elle avec enthousiasme. Sur ce compte dédié, les deux meilleures amies s’apprêtent à documenter les concerts de leur idole et pourquoi pas, créer un nouveau lieu de rendez-vous virtuel pour les Swifties français·es.

Nostalgie adolescente

Quand Taylor Swift apparaît pour la première fois sur la scène musicale internationale, elle captive par sa candeur et sa fraîcheur. Dotée d’un visage angélique entouré de boucles blondes, accompagnée de sa guitare acoustique, elle semble être le symbole même de l’innocence (et du puritanisme) à l’américaine. Pour Lena, alors âgée de 12 ans, l’attrait pour cette nouvelle icône est instantané. Elle se souvient distinctement de la première fois où elle entend les accords de Crazier dans le film Hannah Montana en 2009. Enveloppée par une mélodie envoûtante et des paroles évocatrices, elle est transportée dans un monde où les rêves semblent à portée de main. Pendant des heures, Lena se plonge dans les paroles de Taylor Swift, décryptant chaque mot avec une passion dévorante.

Cependant, ce conte de fées musical est tempéré par la réalité crue d’un concert, le tout premier de Taylor Swift prévu en France au Zénith de Paris en mars 2011. Lorsque Lena a l’opportunité de voir son idole en chair et en os, elle se confronte à une vérité déconcertante : derrière le voile scintillant des projecteurs se cache une jeune femme consciente de son pouvoir médiatique, une artiste qui maîtrise son image publique avec une précision chirurgicale. C’est le début d’une compréhension plus profonde de la complexité de l’industrie musicale, mais aussi le début d’une loyauté indéfectible envers une artiste qui incarne à la fois les rêves et les réalités de toute une génération. Pour Lena, aujourd’hui âgée de 27 ans et journaliste, cette révélation est à la fois troublante et révélatrice, bien que n’ayant pas entamé sa passion pour Taylor Swift ni son attrait pour la pop culture.


Taylor Swift (© Suzanne Cordeiro / AFP)
Taylor Swift (© Suzanne Cordeiro / AFP)

La passion a ses raisons

Dans la relation singulière entre l’artiste et ses adeptes, l’engagement continu de Taylor Swift envers sa fanbase joue un rôle central. Au-delà de la simple admiration pour sa musique, c’est l’interaction constante entre Swift et ses Swifties qui renforce ce lien unique. Des gestes aussi simples que répondre aux messages sur les réseaux sociaux ou organiser des rencontres surprises avec ses fans montrent l’importance qu’elle accorde à cette communauté qui la soutient sans faille. Cet engagement mutuel soulève aussi des questions plus larges sur le pouvoir des personnalités dans la société actuelle, ainsi que sur la manière dont les réseaux sociaux ont complètement transformé la dynamique entre les artistes et leur public. Dans l’univers numérique des Swifties, chaque recoin de la toile est un terrain de chasse fertile pour traquer les moindres indices laissés par leur déesse musicale. Ève, scénariste de 27 ans et Swiftie assumée depuis le collège, apprécie particulièrement ce voyage labyrinthique à travers la créativité de Taylor Swift. “Quand tu tombes dedans, tu vas écouter certains sons et puis tu vas voir passer des choses sur TikTok où des personnes analysent ses chansons par rapport à sa vie privée et tu as l’impression de rentrer dans un roman”, témoigne-t-elle. Les easter eggs, ces clins d’œil dissimulés par l’artiste dans ses chansons, ses vidéos et même ses apparitions publiques, sont l’objet d’une véritable chasse au trésor pour les Swifties du monde entier.

En partageant des détails de sa vie privée, Taylor entretient une relation parasociale avec ses fans, leur donnant l’impression qu’elles et ils font partie de son intimité au quotidien. Cependant, pour certain·es fans ultra-dévoué·es comme Amber, c’est au contraire Taylor Swift qui fait partie intégrante de leur vie. Elle nous confie considérer Taylor Swift non pas comme une amie mais comme une “Mother”, comprenez une icône en langage Gen Z. Si ce terme s’est répandu sur internet pour qualifier Beyoncé ou encore Lana Del Rey, son usage est loin de son sens originel. Dans la scène ballroom des années 1980, être désignée comme Mother signifiait endosser un rôle réel de soutien communautaire. Au-delà du symbolique, ces figures devaient protéger et défendre les jeunes rejeté·es. Or la culture fan numérique déshistorise ces notions issues des luttes LGBTQIA+. Sur les réseaux, pour Amber comme pour beaucoup de fans, qualifier une célébrité de Mother est devenu un signe d’admiration comme un autre, dénué de la portée militante.

Amber le concède, “une grande partie de ma vie tourne autour de Taylor”. Elle passe des heures à suivre les concerts en ligne, à chercher les vidéos éditées par les fans et à discuter avec ses nombreuses amies Swifties. Même sa décoration d’intérieur s’inspire de l’univers de Taylor Swift. Cet attachement profond à une figure publique s’inscrit dans un processus complexe de construction identitaire chez les adolescent·es et jeunes adultes, incluant la dimension parasociale de cette relation asymétrique avec une célébrité. Comme l’a analysé David Hesmondhalgh, sociologue des industries culturelles et professeur à l’Université de Leeds, la musique joue un rôle crucial dans l’élaboration d’un “sentiment de soi”. Dans son article Musique, émotion et individualisation publié en 2007 dans la revue Réseaux, il explore la façon dont la musique participe à la construction identitaire des individus. En choisissant leurs artistes favori·es, les fans s’approprient, selon lui, certains traits esthétiques ou idéologiques qu’ils ou elles intériorisent. Dans le cas des Swifties les plus dévoué·es, Taylor Swift devient presque une prolongation d’eux-mêmes.

Derrière le rideau

Dans les coulisses de l’industrie musicale, la Swiftmania révèle également un versant mercantile. Derrière le glamour et les projecteurs, c’est un ballet incessant de négociations financières et de stratégies marketing qui s’opère, façonnant l’image publique de l’artiste tout en alimentant la frénésie des Swifties. L’affaire du rachat des masters en est l’illustration la plus controversée. Lorsque Scooter Braun, magnat de l’industrie musicale, rachète le label Big Machine Records en 2019, il met la main sur les précieux enregistrements originaux des six premiers albums de Taylor Swift déclenchant ainsi une bataille juridique et médiatique sans précédent. Depuis, Swift réenregistre ses anciens albums afin d’en reprendre les droits, donnant ainsi naissance aux Taylor’s Versions. Pourtant, malgré les tourments, la machine Taylor Swift continue de tourner, alimentée par une stratégie marketing sans faille. Les “eras”, ces périodes distinctes qui jalonnent la carrière de l’artiste, deviennent des moments de culte pour les Swifties, qui se précipitent à chaque nouveau chapitre de cette saga s’appropriant et prolongeant à leur manière les thématiques et esthétiques déployées lors de chaque ère.

Dans la Swiftmania, une réalité est souvent occultée, celle de l’engrenage financier de la culture fan. Ève, qui regarde son idole avec autant d’admiration que de recul, la surnomme ironiquement “la présidente du capitalisme”. Pour Lena, qui préfère la formule “petit génie du capitalisme”, cela se traduit concrètement par des produits dérivés aux prix exorbitants : tee-shirts entre 35$ et 55$, casquettes à 35$, hoodies à 75$. Et ce n’est pas tout : chaque nouvel album est accompagné de goodies variés – mugs, porte-clés, vide-poches, carnets, plaids… Lena, pourtant grande fan, se souvient avec une pointe de regret d’avoir renoncé à une boule à neige proposée lors de la sortie de l’album Evermore (2020), en raison de son prix prohibitif. Mais ce n’est pas seulement les produits dérivés qui font mal au portefeuille des fans ; les places de concert atteignent des sommets, allant de 97 € pour une place en fosse à 247 € pour un siège en catégorie Prestige à l’Accor Arena. Pourtant, malgré les critiques et les débats sur les excès du capitalisme culturel, la machine Taylor Swift continue de tourner à plein régime. Si certains peuvent invoquer la dialectique d’Adorno et Horkheimer sur l’industrie culturelle pour pointer du doigt ces abus, d’autres demeurent captivé·es par l’univers de Taylor Swift, prêt·es à suivre cette épopée musicale jusqu’au bout du monde, peu importe son coût financier.


Taylor Swift, le 11 octobre 2023 © VALERIE MACON / AFP
Taylor Swift, le 11 octobre 2023 © VALERIE MACON / AFP

Apprenties Swifties

De manière surprenante, de nouvelles recrues – loin de l’adolescence – affluent vers le royaume des Swifties, intriguées par un univers qu’elles n’auraient jamais imaginé rejoindre autrefois. Adélaïde 28 ans, se rappelle des jours où évoquer Taylor Swift suscitait davantage de sourires en coin que d’enthousiasme. Mais au fil des années, elle observe une transformation notable chez Taylor Swift, passant de ses modestes mélodies folk à des productions pop sophistiquées, en grande partie grâce à la magie de Jack Antonoff. “Il travaille avec beaucoup d’artistes que je trouve assez révolutionnaires dans la manière dont on écoute la pop aujourd’hui et comment elle est faite”, explique-t-elle, soulignant le rôle crucial du producteur dans l’évolution du son de Swift. Analysée récemment dans un article de The Atlantic, l’étroite collaboration entre Antonoff et Swift sur l’album Midnights peut être perçue comme une fusion de nostalgie et de modernité. L’article met en lumière comment Antonoff réinterprète habilement des rythmes et des sonorités du passé, en les combinant avec des techniques de production modernes. Les références explicites à Bruce Springsteen, la jangle pop de R.E.M. et les synthés caractéristiques des eighties sont soigneusement tissés dans les compos de l’album. Ces influences rétro se marient harmonieusement avec les thèmes abordés par Swift, créant ainsi une expérience musicale à la fois familière et innovante.

Zénaïde, 38 ans et communicante dans l’art contemporain, reflète parfaitement ce changement de perspective. Initialement attirée par la french pop de Fishbach ou Bonnie Banane, elle découvre un peu par hasard l’album Midnights (2022) de Swift sur Spotify. Elle est immédiatement captivée par sa fraîcheur, loin des stéréotypes associés à la pop star habituellement, et admet s’être dit, “je vais peut-être arrêter de la snober et écouter un peu plus”. Comme quoi les étiquettes culturelles peuvent souvent restreindre nos horizons.

Symbole de résilience ?

Bien qu’incarnant une figure privilégiée en tant que femme blanche richissime, Taylor Swift parvient à transcender les barrières pour séduire des fans de tous horizons. Au-delà des apparences, plusieurs facteurs expliquent cette identification massive. D’abord son image de girl next door, à qui chacun peut s’identifier. Mais aussi par sa capacité à mettre des mots sur les désillusions d’une génération, de plus en plus anxieuse face à un avenir incertain. Symbole de résilience aussi face à une société qui tente de la déstabiliser, que ce soit sur le plan politique ou personnel. Dans ce climat de défaitisme ambiant, où l’American Dream ne fait plus rêver grand monde après tant de promesses non tenues, Taylor Swift apparaît alors comme un espoir pour les millennials.

Parallèlement, une prise de conscience croissante émerge au sein des communautés de fans concernant l’importance de l’inclusivité et de la représentation. En 2020, le magazine Rolling Stone mène une enquête éclairante sur les défis auxquels sont confronté·es les fans racisé·es pour se sentir pleinement intégré·es dans les fanbases pop dites traditionnelles. Si dans l’imaginaire collectif, la musique de Taylor Swift ne semble pas spécialement s’adresser à un public racisé, Lena, qui est d’origine indienne, observe que l’artiste essaie de briser cette image notamment dans le clip Lavender Haze (2023) où on la voit s’amouracher de l’acteur dominicain Laith Ashley, une première dans son univers visuel. Lena partage avoir passé son adolescence sans avoir réellement conscience de ne pas être une personne blanche. Ainsi, elle écoute de la musique sans tenir compte de la couleur de peau des artistes. “En comparaison, je pense que c’est mieux d’assumer d’être une femme blanche plutôt que de faire du blackfishing à la Ariana Grande afin de brouiller les pistes”, poursuit-elle. Ève, qui est d’origine marocaine, insiste sur le fait que Taylor Swift parle de ses expériences personnelles et ne prétend pas faire autre chose. ‘C’est une femme blanche privilégiée et richissime qui écrit des textes sur ce qu’elle connaît et ça s’arrête là”, déclare-t-elle. “Ça va parler à certaines personnes donc forcément c’est excluant pour d’autres mais elle n’est pas l’étendard de toute l’humanité”, conclut Ève.

Un engagement politique mi-figue mi-raisin

La swiftie-sphère transcende les frontières du genre, de l’âge et des origines sociales. Elles et ils ne sont pas simplement des spectateur·ices, mais des acteur·ices engagé·es dans la création d’un safe space où les paroles de Swift résonnent profondément. Cette communauté vibrante est le produit de notre société, illustrant parfaitement les ressorts de la celebrity culture 2.0. Livré·es avec le guide d’utilisation des réseaux sociaux, les Swifties ont une interaction directe et personnelle avec leur idole – du moins c’est l’image soigneusement entretenue par Taylor. En partageant des pans de sa vie personnelle et en interagissant avec ses fans en ligne, elle renforce ainsi leur lien affectif. Le cas de Swift et de ses fans revêt une pertinence toute particulière dans le paysage médiatique contemporain, car il illustre la capacité des célébrités à mobiliser leurs admirateur·ices autour de causes sociales et politiques. En utilisant sa voix pour promouvoir des enjeux tels que les droits LGBTQIA+, l’importance du vote ou l’égalité des sexes, Swift a su galvaniser sa fanbase pour soutenir des causes qui leur tiennent à cœur, offrant ainsi un exemple éloquent de l’influence croissante des célébrités dans les débats sociétaux.

Cependant, derrière cette image de porte-drapeau de combats sociétaux, certaines voix discordantes se font entendre au sein de la communauté des Swifties. Ève partage son point de vue : “on lui associe des idéologies mais elle n’est pas du tout militante, avant de prendre la parole sur un sujet féministe, c’est probablement relu et vérifié par toute une équipe de communication, ce qu’elle dit a tellement d’impact qu’elle ne peut pas dire grand-chose finalement”. Ces propos sont confirmés par Amber, qui semble bien renseignée, “au début de sa carrière, jusqu’à Reputation, son équipe lui disait de ne pas s’exprimer sur des sujets politiques”. Ève rappelle également: : il y a un aspect financier là-dedans, à partir du moment où tu es une machine à fric tu essaies de ne rien dire ou faire qui puisse compromettre ça”. En effet, même les Swifties les plus investi·es reconnaissent les failles de l’engagement de leur idole: “l’utilisation excessive de son jet privé, le manque de prise de position autour des questions écologiques ; ce sont des choses qui me déçoivent un peu”, confie Amber. En dix-sept ans de carrière, “sa seule démarche politique a été d’appeler au vote”, rappelle Ève. Pour Adélaïde, Taylor Swift est difficile à cerner, même si elle salue le réenregistrement de ses albums, percevant cela comme une tentative de reprendre le contrôle sur son art et sur son histoire. Cependant, elle remarque que les réactions de Swift face aux deepfakes pornographiques à son effigie ont été discrètes, orchestrées en coulisses par le biais d’Universal Music. En laissant son label gérer les représailles, Swift se désolidarise d’un débat plus vaste et crucial concernant la protection de la vie privée, le consentement et la sécurité en ligne. Ce contraste entre son engagement public sur certaines questions et sa réaction plus privée face à d’autres problèmes sociaux et éthiques pose question. L’engagement politique mi-figue mi-raisin de Taylor Swift révèle une facette complexe de la célébrité contemporaine.

The Psychotic Monks voit les choses en grand avec un court métrage

Par : Théo Lilin
7 mai 2024 à 14:25

Après un vibrant concert à la Gaité Lyrique, riche de contorsions punks et de belles prises de parole – Artie agitait en fin de concert une pancarte “CEASEFIRE IN GAZA / STOP THE GENOCIDE / FREEDOM FOR PALESTINE” –, et juste avant l’été, les Psychotic Monks dévoilent le nouveau clip du titre All That Fall. Bien plus qu’un clip d’ailleurs, la vidéo a été pensée comme un véritable court métrage, dont la réalisation a été confiée à Hélène Delage.

Réaction en chaîne

Ainsi les guitares stridentes imitent le bruit des vapeurs s’échappant d’une bouilloire sur le feu, et l’explosion du titre All That Fall, extrait du troisième album, Pink Colour Surgery, devient la bande originale d’une scène de folie destructrice.

Cette nouvelle sortie intervient peu avant le départ du groupe – formé par Artie Dussaux (guitare, basse, chant), Paul Dussaux (claviers, basse, chant), Martin Bejuy (guitare, chant) et Clément Caillierez (batterie, chant) – pour une grande tournée à travers l’Angleterre. Dans la foulée, The Psychotic Monks préparent également leur passage au festival Rock en Seine.

Avec l’ultime et triple album “Britpop”, A. G. Cook prend les mèmes et recommence

7 mai 2024 à 09:44

Avec sa décision, l’an dernier, de cesser les activités du label qui l’a fait connaître, A. G. Cook a pu laisser croire qu’il voulait en finir avec l’hyperpop. Mais, alors que le registre, dont la patte du musicien est l’un des fondements, mute aujourd’hui de façon complètement autonome, le producteur s’attarde à en interroger l’archétype sur un troisième disque qui s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs.

Une nouvelle expérience

Le musicien n’en cache pas la filiation, en reprenant un découpage qui structurait son premier album 7G (2020), en forme de vaste étude séquencée pour musique électronique (chaque partie étant dédiée à un instrument) et qui transcendait déjà l’hyperpop en la confondant dans un impressionnant panel de styles : drill’n’bass, rock, synthpop, ambient…

Si sur Britpop, la division est temporelle (chaque tiers du disque est respectivement sous-titré Past, Present et Future), le principe se veut cette fois moins rigide. Alternant d’euphoriques pistes trance et IDM, puis des chansons electropop plus écrites en premières parties, avant une dernière section en forme de pot-pourri des précédentes, le disque amène à penser la temporalité comme un circuit fermé sur lui-même. Parce qu’il serait paradoxal d’imaginer le futur d’une musique aussi ancrée dans son temps que l’hyperpop, mais surtout à une époque où la pop se régénère par salves de réactualisations nostalgiques (la house psyché de Dua Lipa ou la country soul de Beyoncé pour 2024), la perspective d’A. G. Cook singe l’industrie autant que son propre héritage.

Dans ce cadre, l’hommage à SOPHIE (la productrice décédée prématurément en 2021 et proche de Cook, qui la mentionne sur Without) et les apparitions de Charli XCX (sur le morceau titre et le réjouissant Lucifer) font cocher à Britpop toutes les cases du cahier des charges hyperpop. Un comble, un an après la fin du label qui a fait grandir le style, et qui structurait ses propos et esthétique autour de ce genre de démarches paradoxales. Aussi, alors que l’album reste jubilatoire (par la technique toujours irréprochable de son auteur, même dans le versant songwriting du projet) et étonnamment digeste, on peut espérer qu’A. G. Cook trouvera un jour la tranquillité d’esprit pour proposer une musique préférant le fun décomplexé à l’embarras d’une charge théorique pachydermique.

Britpop (New Alias) d’A. G. Cook. Sortie le 10 mai 2024.

Orville Peck joue avec les codes country sur un album de duos espiègles

7 mai 2024 à 08:49

Orville Peck n’a pas attendu que la country redevienne tendance pour la célébrer. Depuis son premier album en 2019, l’époustouflant Pony, il a largement contribué au retour en force de ce style musical dont se sont récemment emparées la pop (Beyoncé, Lana Del Rey) et la mode (comme dans le défilé Vuitton imaginé par Pharrell en janvier).

Un show en deux actes

Devenu superstar aux États-Unis, où il vit, le Canado-Sud-Africain revient avec un troisième album scindé en deux actes. Stampede: Vol. 1 s’inscrit dans la lignée de ce qu’il a construit en solo pendant ces cinq dernières années : un timbre aussi puissant que tendre, à la Johnny Cash, une dégaine de lonesome cow-boy ténébreux (il se produit toujours masqué et sous pseudo) et des chansons qui évoquent les grands espaces américains, façon road-movie. Une différence, de taille : cette fois, le musicien a eu envie d’entremêler sa voix à d’autres, masculines et féminines.

En attendant le volume 2, qui suivra bientôt, les sept morceaux dévoilés début mai redonnent tout son sens à la formule “jouer de la musique”. Ludique et malicieux dans les cavalcades comme dans les ballades, le résultat enchante. Les sommets de l’album sont des reprises de deux titres qu’on a déjà entendus mille fois et qui ici retrouvent tout leur intérêt : Cowboys Are Frequently Secretly Fond of Each Other, en compagnie du légendaire Willie Nelson, bon pied bon œil, et Saturday Night’s Alright (For Fighting) avec le non moins impérial Elton John.

Quoi de neuf dans le far west ?

Dans les deux cas, les artistes trouvent le parfait équilibre entre respecter la chanson originale et se l’approprier avec un regard pétillant sur le passé et le présent. Les cinq autres morceaux méritent aussi qu’on s’y penche, notamment Chemical Sunset, joyeuse virée dans les bas-fonds du far west aux côtés de l’artiste americana Allison Russell, le majestueux Conquer the Heart avec Nathaniel Rateliff ou Miénteme, mélangeant anglais et espagnol en mode mariachi avec Bu Cuarón.

Reste à espérer qu’Orville Peck en profitera pour enfin revenir tourner de notre côté de l’Atlantique. La dernière fois qu’on l’a vu en France, fin 2019, relégué à un sous-sol bondé de la Grande Halle de la Villette lors du Pitchfork festival, il a embrasé la foule par son charisme magnétique. Vivement les retrouvailles, dans un lieu à la hauteur de son talent.

Stampede: Vol. 1 (Warner) d’Orville Peck. Sortie le 10 mai 2024.

Peut-on faire du postpunk minimaliste ? La réponse éclatante de Bibi Club

Protagonistes de la communauté musicale indépendante de Montréal, la chanteuse et claviériste Adèle Trottier-Rivard et le guitariste Nicolas Basque forment depuis 2015 un couple à la ville comme à la scène. Amorcé en 2016, leur projet répondant au doux nom de Bibi Club les amène à faire ensemble “de la party music de salon”, pour citer le court texte de présentation figurant sur leur page Bandcamp.

Tout à fait fidèle à ce descriptif, l’EP Bibi Club, paru au printemps 2019, marque l’acte de naissance officiel du groupe. Il contient quatre chansons empreintes d’une fraîcheur pétulante, simples et directes, dans un style do it yourself, oscillant entre electro-pop diaphane et postpunk minimaliste. Brut, sans rien de superflu, le charme opère – et emporte – instantanément, en particulier sur Jean René, la seule des quatre en anglais, cavalcade de poche au crescendo irrésistible.

On pense à Beach House et à une plage abandonnée

Délivrant huit morceaux, dont un long et absorbant instrumental atmosphérique (Bellini), leur premier album Le Soleil et la Mer, judicieusement sorti durant l’été 2022, s’inscrit dans la même veine avec une accentuation un peu plus rêveuse. Tout en grâce légère et en mélancolie diffuse, il semble flotter à travers une plage abandonnée, lentement happée par le crépuscule, où l’on croise notamment les ombres de Brigitte Bardot, Claudine Longet et Beach House.

Au cœur de ce printemps 2024, Bibi Club franchit à présent le cap du deuxième disque avec Feu de garde. On peut y découvrir onze nouvelles chansons, en grande majorité en français. Très imagées, les paroles cultivent un lien étroit avec la nature et les éléments. Toutes deux parcourues de frémissements ardents, La Terre – ode doucement hallucinée à la nature – et Le Feu – brûlante échappée au bout de la nuit – en offrent deux superbes illustrations.

Divers éclats poétiques surgissent ailleurs. “Tes yeux noirs sont un lac infini”, attrape-t-on par exemple sur L’Île aux bleuets, trépidante déclaration d’amour fou. Quant à la musique, toujours aussi richement économe, elle se révèle plus nerveuse que sur Le Soleil et la Mer, donnant davantage d’importance dynamique à la guitare. Évoquant souvent de précieux trésors du rock indé britannique (Young Marble Giants, Marine Girls, Virginia Astley…), ce disque cristallin compte d’ores et déjà parmi nos favoris de 2024. ♦ Jérôme Provençal

Feu de garde (Secret City/Modulor). Sortie le 10 mai. En concert au Popup du Label, Paris, le 6 juin.

La bande à Justice raconte le joyeux bordel des débuts

6 mai 2024 à 17:00

En 2003, deux jeunes gens nommés Gaspard Augé et Xavier de Rosnay officient sous le nom de Justice et font de la musique électronique. Un jour, ils participent à un concours de remix du morceau Never Be Alone de Simian, groupe anglais du batteur James Ellis Ford. Ils vont perdre.

So Me (directeur artistique historique du label Ed Banger, illustrateur/réalisateur) — Je sais plus qui est le mec qui avait gagné, l’histoire n’a pas retenu son nom. Il me semble qu’on nous avait dit qu’il était pote avec le mec qui organisait le concours, d’ailleurs. Donc Dieu a reconnu les siens.

Matthieu Culleron (journaliste musique à France Inter) — À l’époque, je travaille au Mouv’ à Toulouse. Peu de groupes viennent alors en promo dans le Sud, mais Simian vient. On était très fan du premier album. Avec Nicolas Nerrant et TOMA, on forme par ailleurs un trio DJ qui s’appelle I Was There. Quand on apprend pour le concours de remix, tout le monde joue le jeu, dont Justice, mais surtout TOMA. Et c’est lui qui gagne le concours ! Mais ça ne fait rien. Pendant ce temps, les deux autres cartonnent. Never Be Alone devient un tube mondial. La lose.

So Me — Ça a été un mini-phénomène dans l’electro, tu avais l’impression que quelque chose allait émerger. Ils percent dès le début, en fait. Il n’y a pas une soirée en Europe où le morceau n’est pas joué, ça devient une espèce d’anthem.

Myd (musicien) — Je dois avoir 17 ans et je vais dans un magasin de vinyles à Lille, qui s’appelait USA Import, pour acheter un disque par semaine. Un jour, le vendeur me fait écouter le remix de Simian par Justice, qui ne s’appelait pas encore We Are Your Friends – avec, en face B, un remix de DJ Mehdi par Château Flight. J’ai halluciné. C’était à la fois rock, electro et il y avait ce truc hybride qu’on ne comprenait pas encore. Je n’avais pas compris que leur nom, c’était Justice. Sur MySpace, c’était EtJusticePourTous et ils avaient cette sorte de devise : “Séparés à la naissance, réunis pour la vengeance.” Je leur ai écrit : “Ah, mais vous êtes français ?” Ils m’ont répondu : “Ouais, on est français !”

Christian de Rosnay (Étendard Management) Le morceau est sorti sous l’égide de Pedro Winter, qui a sauvé ce remix qui n’avait pas remporté les faveurs du jury. S’ils avaient gagné le concours, peut-être que l’histoire aurait été différente.

So Me — Moi, je faisais déjà le graphiste pour la boîte de management de Pedro avant qu’il ne monte son label, Ed Banger. Un jour, je le ramène à un dîner où il rencontre Gaspard et Xavier. Il écoute le morceau et il a un coup de cœur. Je suis un peu le chaînon manquant entre les deux. Au bout d’un moment, ça s’excite pas mal autour d’eux et Pedro leur demande plus de musique. Quand deux de mes colocs se barrent, je leur dis que s’ils veulent se mettre à fond dans la musique, le mieux c’est de vivre ensemble, dans le même appart’. Et c’est ce qu’ils font. On vit donc tous les trois et c’est là qu’ils enregistrent le maxi suivant, Waters of Nazareth. Un joli petit virage.

Justice de Nazareth

Tandis que la coloc de Barbès devient l’épicentre de la révolution culturelle en cours, sorte de French Touch 2.0, le tandem s’investit à fond dans la musique et l’enregistrement d’un premier album, Cross (2007), qui fera le crossover dans une époque en ébullition.

Romain Gavras (cinéaste) — Moi, je connaissais DJ Mehdi via la Mafia K’1 Fry. Avec Kourtrajmé, on évoluait plutôt dans le monde du rap. Un jour, il me dit “Viens, je t’emmène chez Justice.” L’appartement était dégoûtant, il y avait des poufs, c’était des sacs-poubelle. Gaspard et Xavier n’étaient pas sûrs de savoir quel single ils voulaient sortir après We Are Your Friends. Et là, ils passent Waters of Nazareth. Je revois Mehdi m’attraper la main. Et moi, je suis comme un dingue. En sortant, il me dit : “Je crois qu’ils ne se rendent pas compte de ce qui va leur arriver à partir d’aujourd’hui. Ils ne se rendent pas compte.”

Pedro Winter (patron d’Ed Banger Records) C’est tout Mehdi de sortir des phrases comme ça. J’ai pas le recul à l’époque, je suis dans le noyau à ce moment-là. Les garçons, pendant les premières années, je les accompagne 24 heures sur 24. Ce que je sais, c’est que j’assiste à ce moment où la foule est en train de changer : les clubbers, les rappeurs, les skaters se retrouvent tous ensemble. Moi qui avais connu ces mondes-là séparés, voir cette unification a fait de moi le mec le plus excité et heureux du monde. Je me disais : les gars que je prends sous mon aile sont en train de faire la bande-son d’une génération qui enfin pourra mettre des chemises de bûcheron, danser sur Aphex Twin et chialer en écoutant Elliott Smith.

SebastiAn (musicien) — Mehdi était fasciné par notre jeune clique de mecs qui fonctionnait comme un collectif de rappeurs. Ça a été un des premiers à dire que tout ça allait marcher. Justice, eux, ils y croyaient vraiment dès le début. C’est la différence avec moi ou Vinco [Kavinsky]. On était plus détachés du truc. Pour moi, la durée de vie d’un DJ, c’était deux ans. Après, il allait falloir trouver un vrai job.

Romain Gavras — T’avais le droit d’aimer M.O.P. et Black Sabbath. Justice, ça tabassait pareil, mais avec de l’élégance dans les accords et de la musicalité. Il y avait un truc très épique. Je me rappelle, ils avaient une punchline dont j’étais hyper jaloux : “Nous, on fait de la musique à deux émotions. On a gagné la guerre, mais on a perdu quelques potes sur le champ de bataille.”

Pedro Winter — La légende raconte que je n’aime pas Waters of Nazareth. Je profite d’utiliser les canaux de la presse pour rétablir la vérité : moi, je suis le label. On sort Never Be Alone, un tube, ils font plein de remix, bref, on prépare la suite. Et là, le single qu’ils me proposent est un anti-single, qui part dans une tout autre direction. Donc je suis perplexe. Mais j’adore le morceau, ils ont réussi à rendre le bruit funky. Ils ont bien fait d’insister, avec le recul, c’était courageux de sortir ça en 2007. Tout au long de leur carrière, leurs choix allaient vers la surprise et l’excitation, plutôt que de rester confortablement installés sur une autoroute. Dans le processus de création, je n’arrivais qu’à la fin pour répondre à des questions comme : “Est-ce qu’on met D.A.N.C.E. sur l’album ?” Évidemment, qu’on met D.A.N.C.E. !

Christian de Rosnay Les deux sont très obsessionnels. Quand ils ont une idée en tête, c’est très difficile de les faire en démordre. C’est vraiment une qualité. Ils sont très têtus et souvent à juste titre.

Manu Mouton (directeur technique des tournées de Justice) — Ils ont un regard qu’on n’a pas l’habitude de croiser, c’est déroutant. Il faut que ça leur plaise à eux. S’il y a un élément dans la scénographie du live qui ne fonctionne pas comme ils l’imaginaient, j’ai beau avoir passé 300 heures dessus, ils vont me dire : “Bravo, Manu, c’est ce qu’on t’a demandé, mais ça le fait pas.”

Kavinsky (musicien) Xavier m’avait envoyé un texto pour me dire un truc comme “Ça déménage”, quand j’ai sorti Testarossa Autodrive. Je commençais à peine la musique, je gagnais pas une thune et ma meuf payait tout. Un peu glandu, même si je ne rechignais pas à la tâche. Un jour, on s’est séparés et je me suis retrouvé sans appart’. Alors j’ai appelé Xavier, qui m’a laissé sa chambre dans la coloc le temps que je me refasse.

Pedro Winter C’était la cour des miracles, cette coloc. Trois mecs qui vivaient comme des oiseaux de nuit. So Me, à l’époque, il m’envoyait tous les projets à 7 heures du matin. Les retours que je lui faisais à 10 heures, il fallait que j’attende le jour d’après pour qu’ils soient pris en compte. Et Xavier et Gaspard, c’était pareil. Il y avait des cendriers partout dans la baraque. Je me suis demandé s’il ne fallait pas appeler M6 pour envoyer les experts de leur émission sur le ménage de l’extrême.

Christian de Rosnay C’est comme ça que j’ai rencontré Kavinsky. J’arrive dans l’appartement, je vais dans la cuisine et là, je vois une photo de Vinco avec un Famas et son chien, qui datait du service militaire. Je me suis dit : “Mais il est encore là, lui ? Va falloir le déloger, sinon il va prendre racine.” Aujourd’hui, c’est Thibaut [Breakbot] qui a repris l’appartement, il a fait des travaux et tout.

Kavinsky Xavier m’appelle un matin et me dit : “T’as trouvé un appart ’?” Alors moi je lui réponds : “Bah attends, je viens d’arriver, laisse-moi me retourner. Pourquoi, il faut que je me casse ?” Et là il me dit que ça fait plus d’un an que j’y suis. Putain, c’est passé vite.

SebastiAn Le mec a dû rester trois ans. Mais à la demande de la coloc, parce qu’il faisait marrer tout le monde.

Kavinsky Quand j’ai gagné un peu de thune, j’ai offert un coffret Louis XIII à Xavier pour le remercier. Le meilleur Cognac du monde. Un truc à 4 000 boules. On s’est retrouvés dans le bureau de Christian, notre manager, et on s’est sifflé la moitié de la bouteille. On se disait qu’à chaque verre qu’on se servait, c’était 200 balles qu’on s’envoyait.

SebastiAn Vinco a débarqué à l’époque où Gaspard et Xavier étaient en train de faire Cross. Ils passaient leur vie en studio, dans les sous-sols du Triptyque.

Pedro Winter Les travaux avaient été faits par un mec qui avait refait l’appart’ de Mehdi. Les sous-sols, c’était vraiment ghetto. Tu descendais dans les caves, tu marchais pendant longtemps et eux avaient leur studio tout au fond. C’était bien deep. Moi qui suis claustro, j’étais pas bien quand je devais y aller.

Christian de Rosnay Ils s’étaient installés alors que les cabines n’étaient même pas construites. C’était très rough.

Piu Piu (agente image/ DJ) Je me souviens marcher dans mon quartier du XIIIe arrondissement et entendre des gens écouter D.A.N.C.E. par une fenêtre. Ça m’avait choquée en mode : “Wow, il y a des gens hors des clubs qui aiment leur musique !” En matière de pop culture, c’était un signe ultime pour moi.

Ed Banger Crew

Ed Banger, Justice. Justice, Ed Banger. Le succès du groupe ne va pas sans le succès du label, et vice-versa. Tournées, soirées, projets : comment une bande de copains est devenue une famille ayant réussi à exporter la musique made in France partout dans le monde.

Matthieu Culleron Quand Ed Banger a cartonné avec Justice, ils ont ramené l’electro aux États-Unis. À New York, il s’est vraiment passé quelque chose.

SebastiAn On partageait tous un constat : les clubs, c’étaient des trucs remplis de gens qui dansaient tout seuls. C’était pas ce qui nous faisait marrer. Tout était trop sérieux. Alors que nous, on faisait exprès de mettre trop fort, on savait à peine mixer et on s’en foutait. Le jour où ça a switché, c’est quand Pedro nous a emmenés faire une date en Angleterre. Les Anglais ont tout de suite capté l’intention. Ça leur a parlé, parce que c’était du rock fait avec des ordis. Pour eux, on était l’équivalent d’un ado qui débarque avec une guitare et un ampli.

Romain Gavras Je n’ai plus revu une telle nébuleuse que celle d’Ed Banger en France ou ailleurs depuis. Soit un groupe de gens vraiment amis à la ville, qui arrivent partout en crew comme si c’était le Wu-Tang. De 2007 à 2012, ils ont vraiment été l’emblème d’un tournant dans l’histoire de la musique. Quand on a débarqué aux États-Unis avec Justice, c’était comme si les kids américains avaient oublié que la musique venait de chez eux. Détroit, Chicago. Tu voyais qu’ils ne savaient pas comment bouger.

Pedro Winter Au premier Coachella, en 2007, Justice a vraiment marqué les esprits. C’est qui, ces mecs en cuir, avec leur clope au bec ? Van Halen ? Raté, c’est Justice, avec un son turbine, distordu mais funky. Les gens sont tombés amoureux.

SebastiAn — On a mis énormément de temps à comprendre que les gens venaient pour nous. Pour moi, les gens allaient en club pour picoler et éventuellement baiser en fin de soirée, et moi, je n’étais là que pour foutre le bordel, de façon accessoire. On a été pris dans la hotte aspirante que Justice a généré.

Kavinsky — On se connaissait à peine avec Xav, quand je lui ai fait écouter le morceau Tenebre de Claudio Simonetti. Il a adoré et pris le sample pour faire Phantom. J’étais hyper flatté.

Juliette Armanet (musicienne) — Ed Banger, c’est une famille en or. C’est la musique qui me fait complètement vibrer, il y a une vraie fierté française de toutes ces sensibilités qui ont créé un son qui est devenu international. Ça a beaucoup compté pour moi, dans les harmonies, le son. Ça me faisait rêver.

So Me Rapidement, Ed Banger est ce label identifiable par ses acteurs. Mehdi, Pedro, Justice : c’était Le Club des Cinq et Scooby-Doo réunis.

Myd Justice a très vite eu cette imagerie forte. Le plus drôle, c’est que la croix n’est pas le symbole de la justice. Donc ils ont pris un emblème qui n’a rien à voir avec le nom pour en faire un logo. Ils ont réussi à trianguler plusieurs univers pour raconter leur propre histoire. Ils ont cristallisé un truc que Pedro avait commencé à faire à l’échelle de la famille Ed Banger : tout le monde s’est mis à regarder la croix comme on avait fini par regarder le DJ telle une superstar.

Thomas Jumin (graphiste) L’avantage d’un emblème comme celui-là, c’est que tu en fais ce que tu veux. C’est comme ça que tu rends ton groupe intemporel.

So Me Quand on allait à l’étranger, les gens pensaient qu’il y avait à Paris une vie nocturne folle. Faut dire qu’on avait des labels comme Ed Banger, Institubes, Tigersushi. Certains croyaient que la capitale était un Berlin bis, alors qu’il n’y avait presque rien. Il y a néanmoins toujours eu un club qui s’imposait, comme le Pulp à un moment. Le ParisParis est peut-être celui qui est resté plus longtemps que les autres. C’est là-bas que tout le monde se retrouvait, c’était super. Tu avais Erol Alkan, Two Many, Medhi. C’était fun.

Matthieu Culleron — La mixité était totale : t’avais les rockeurs, les mecs de la techno, tout ça dans une ambiance assez libertaire. Je me suis retrouvé dans des soirées avec LCD, Soulwax ou Justice. Une affiche comme ça aujourd’hui, tu ne la mets pas dans un club. Parfois, t’avais 600 mètres de queue. C’était une parenthèse enchantée.

Marco Dos Santos (photographe, réalisateur, ex-DA du ParisParis) — Teki Latex a eu l’idée d’organiser des battles. Deux équipes qui s’affrontent en balançant des morceaux chacun son tour depuis un iPod. Plus les gens crient, plus tu gagnes. On a fait une édition avec Justice, So Me et Mehdi, c’était dingue. Crois-le ou non, à la fin de la battle, le décibelmètre affichait ex æquo.

Sarah Andelmann (cofondatrice de Colette) J’ai proposé à Pedro de mixer dans les soirées Colette, à l’époque où il manageait encore Daft Punk. Au ParisParis, on faisait les Colette Dance Class. So Me faisait les flyers. C’est à cette époque que j’ai rencontré Gaspard et Xavier. Toute cette petite clique, je la côtoyais à travers les soirées Colette. Je me souviens même être allée à Coachella. Je trouvais ça fou de voir cette petite famille se créer. Quand je voyais Xavier et Gaspard, je me demandais comment deux personnalités si différentes pouvaient fonctionner ensemble.

SebastiAn À cause de la première French Touch, les gens ont cru à une sorte de continuité versaillaise. Mais pas du tout. Bon, ok, t’as des mecs avec des noms à particule, quoi. Ce qui nous unit le plus, c’est con, mais c’est l’humour. On a les mêmes références : Oizo, Justice, Vinco, Pedro. Il y avait tout pour que ça fonctionne, alors qu’on vient tous d’univers très éloignés. L’humour, c’est le fil conducteur. Pedro est d’ailleurs encore sur cette ligne. C’est le mec qui peut te dire : “Attention, je crois que t’es plus en train de te marrer là.”

Pedro Winter Xavier m’a rappelé récemment que Mehdi et Thomas Bangalter étaient là pour le premier Coachella, les mains dans le cambouis pour aider à monter la scène. Symboliquement, ça en dit beaucoup. Comme une passation très bienveillante entre Justice et Daft Punk, alors que moi j’allais arrêter de bosser avec Thomas et Guy-Man l’année d’après. Le fait que Thomas ait été là en front of house lors du show, c’est fort.

Les duettistes

Outre la place que Justice occupe au cœur de la constellation Ed Banger, Gaspard Augé et Xavier de Rosnay forment à eux deux un micro-organisme à part dans la scène musicale française et internationale.

SebastiAn — Xavier est plutôt casanier, alors que Gaspard, c’est impossible de ne pas le croiser si toi aussi tu sors. Il a le don d’ubiquité, si tu croises trois personnes différentes qui te disent l’avoir vu dans trois endroits différents au cours de la même soirée, c’est qu’il était aux trois endroits à un moment donné.

Juliette Armanet — Gaspard est souvent venu à mes concerts lors de ma première tournée, ça me terrorisait. J’étais fière, mais ça me mettait une énorme pression en même temps. C’était comme avoir Prince à mon concert.

SebastiAn Gaspard en studio, c’est le mec qui fait les notes et trouvera le petit accord médiéval qui sort de nulle part. Xavier, c’est plutôt la production.

Juliette Armanet J’ai travaillé avec Xavier sur ma chanson Tu me play. Avec Victor Le Masne, qui travaillait avec moi, on était arrivés à un point où on avait tout donné, et moi je cherchais une certaine profondeur de son, quelque chose de plus impérial. Et lui a débloqué quelque chose. Il a rendu le morceau plus mordant, plus dangereux. J’ai l’impression que Xavier et Gaspard n’ont pas de chapelle mais ils ont un goût très sûr.

So Me Le club anglais Fabric leur avait demandé un mix de Noël. Je pense que les techno heads qui s’attendaient à du son qui tabasse se sont retrouvés avec tout ce qu’ils détestaient le plus : de la variété, du disco, tout ça.

SebastiAn Fabric avait fait la gueule et refusé le mix. Justice avait répondu : “Bah ouais, c’est ce qu’on aime.” Il y avait du Julien Clerc dessus, du Balavoine. Ils sont vraiment fans de Julien Clerc !

Pedro Winter Xavier et Gaspard ont participé aux maquettes de Yeezus, de Kanye West. Personne ne le sait, ça. Je dois en avoir quelques-unes encore. Ils ne sont pas allés au bout, finalement, mais dans les sonorités que Kanye a pondues, moi j’entends Justice.

SebastiAn Ils ne perdent jamais leur ligne. Ils auraient les moyens d’aller chercher des The Weeknd, mais ils préfèrent prendre Miguel sur le dernier album, parce qu’ils trippent spécifiquement sur lui. Je pense même qu’ils le préfèrent à Frank Ocean. Ils ont la notoriété et les contacts suffisants mais ils ne sont pas tactiques. Je pense qu’ils se voient un peu comme le Velvet Underground. Qu’ils réfléchissent à comment ils ont envie qu’on se souvienne d’eux dans le futur.

So Me C’est hyper tentant d’analyser, j’adore faire ça avec les disques que j’aime : les situer, dire ce qu’ils signifient, pourquoi l’artiste a fait comme il a fait. Chez Justice, c’est moins calculé que ça. Le nouvel album peut donner l’illusion de ressembler au premier, parce qu’ils reviennent à un son plus dur, mais quand tu regardes de près, les deux albums ne se ressemblent pas tant que ça. Il y a beaucoup d’expérimentations, de fausses utilisations de samples, alors que ce sont des trucs vraiment joués, tout un tas d’innovations.

Pedro Winter Pour les taquiner un peu, je dis souvent qu’ils cherchent à être dans la démonstration, le savoir-faire, le bon goût. Le surdoué qui te met une bonne gifle en te montrant qu’il sait faire des montées d’accords, un bridge, etc. Ce sont des esthètes ! Avec Hyperdrama, ils sont revenus à quelque chose de plus spontané et moins cérébral. Et ils ont ouvert la porte à des guests ! Ça fait un moment que je me bats pour ça. Quand ils m’écrivent pour me dire qu’ils sont à Los Angeles avec Kevin Parker, je suis l’homme le plus heureux du monde.

Depuis Toronto, Hot Garbage s’échine à hybrider son rock psyché

Par : Louise Lucas
6 mai 2024 à 14:36

“Digging in a hole, down into the ground”, s’échappent des vapeurs psychédéliques d’Easy Believer, titre de Hot Garbage sorti en 2020. En pleine crise sanitaire et marasme social, donc. Sans doute ce morceau – et l’invitation à plonger sous terre qu’il insuffle – résumerait-il à lui seul ce qui compose l’identité même du groupe de Toronto : couleur psyché, fulgurances heavy, fil d’Ariane résolument post-punk. 

Une musique avec laquelle Alessandro Carlevaris (guitare), sa sœur Juliana (basse), Dylan Gamble (claviers) et Mark Henein (batterie) nous embarquent en terres arides et crépusculaires, réuni·es sous le blason post-cataclysmique de Hot Garbage. On s’imagine louvoyer entre les débris d’un monde en décrépitude à leur écoute, cédant volontiers à la langueur grisante qui émane de chacun des morceaux. Leur musique est décidément dans l’air du temps.

Avant-garde québécoise 

Signé chez Mothland – label de Montréal qui s’évertue, depuis 2020, à prendre sous son aile la fine fleur de l’avant-garde musicale locale, de la dream pop jusqu’à l’art-punk – Hot Garbage se construit au cœur d’une scène alternative canadienne qui offre, dès lors que l’on prend la peine d’y farfouiller, une flopée de belles découvertes. Il n’a d’ailleurs pas fallu bien longtemps pour que Juliana, la bassiste, nous vante les mérites de ses comparses québécois·es lors de notre échange.

“Il y a une très grande communauté de musique locale ici en ce moment, composée de gens qui se soutiennent les uns les autres

À commencer par celles et ceux également inscrit·es sous la bannière de Mothland : les punks de Red Mass, Atsuko Chiba et son post-rock (avec qui Hot Garbage partagera la scène des Inrocks Super Club, le 29 mai prochain), le shoegaze de Karma Glider et celui de Yoo Doo Right, étoffé d’éléments kraut… “Ce sont tous de bons amis à nous”, sourit la musicienne, visiblement fière d’appartenir à une lignée aussi prometteuse. Fière que Hot Garbage ait été repéré par l’équipe du label, aussi. “On leur fait confiance et on respecte vraiment leurs goûts, donc d’un point de vue personnel, ça nous a fait du bien de savoir qu’ils croyaient en nous en tant que groupe”, confie-t-elle. Et d’ajouter : “C’est devenu comme une famille pour nous.”

Hot Garbage marche ainsi dans les pas des formations ayant déjà balisé le chemin une poignée d’années auparavant. Metz, Cindy Lee, Kali Horse… Il y a une très grande communauté de musique locale ici en ce moment, composée de gens qui se soutiennent les uns les autres”, se réjouit Juliana. Et la musicienne en sait quelque chose, elle qui travaille en parallèle en tant que programmatrice.

Biberonné·es au (classic) rock 

La musique, c’est une affaire de famille. On le glissait plus haut, Alessandro – le guitariste du groupe – et Juliana sont frère et sœur. Cette dernière se plaît à rembobiner : “Notre père était passionné de classic rock, il jouait même un peu quand il était plus jeune et il nous faisait toujours écouter des trucs comme Black Sabbath, Led Zeppelin ou les Beatles”. “Il nous a beaucoup soutenu quand on a commencé à s’intéresser à la musique, il m’a emmenée à des cours de piano assez jeune, a offert une guitare à mon frère…”, poursuit-elle, admettant que sans “son soutien et ses encouragements”, ni elle ni Alessandro n’auraient peut-être continué dans cette trajectoire. 

Pour autant, la bassiste admet que tous deux “[n’ont] pas beaucoup joué ensemble en grandissant”, à part “pour déconner à la maison, jamais sérieusement et dans aucun autre groupe”. Entre-temps, il et elle ont eu leur phase grunge, hardcore et emo, avant de s’en remettre aux musiques des années 1960-1970, puis de s’éloigner davantage du mainstream au profit d’une culture alternative que Juliana juge plus stimulante. Jusqu’à former Hot Garbage. 

En 2015, Alessandro rassemble deux potes du lycée et un claviériste tout juste rencontré, pour lancer un nouveau projet musical. Ils cherchent un·e bassiste, sa sœur se propose. Les trois gars hésitent un peu – elle n’en avait jamais vraiment joué jusqu’alors – mais finissent par accepter. “À l’époque, je ne jouais que de la guitare, mais finalement c’est un peu pareil !”, s’amuse Juliana.

“Écrire ce qui nous semble authentique à un instant donné”

En une (presque) décennie d’explorations psyché, le quatuor a signé une poignée de disques (deux EP et deux albums) – dont Precious Dream, long format paru en janvier dernier et imprégné des tourments de l’année 2020. “Il a été écrit pendant la pandémie, c’est un album unique en ce sens”, analyse Juliana, “c’était une période de grands changements, d’incertitude et de solitude, tout cela a assombri nos textes”. Et de poursuivre : “On veut juste écrire ce qui nous semble authentique à un instant donné, en puisant dans ce qu’on écoute et ce qu’on absorbe, nos inspirations artistiques comme ce qui se passe dans nos vies.” 

Quitte à polir la texture psyché de leurs débuts pour accentuer les touches heavy “avec des chansons un peu plus courtes, plus simples, dans une direction plus post-punk”. Un virage pas forcément intentionnel, dit-elle : “C’est juste qu’on change, nous, donc la musique change avec le temps.”

Une évolution qui se ressent également en studio, où Hot Garbage a fait le choix de s’entourer du producteur (et membre du groupe Holy Fuck) Graham Walsh. “Un type vraiment génial”, loue Juliana, qui explique avoir découvert son travail en écoutant More, l’un des disques de New Fries – elles·eux aussi Torontois·es – mixé par ses soins, justement. “Je me suis tout de suite dit que la production était vraiment folle, le style m’intéressait vraiment, alors je l’ai contacté.” “Il s’est montré vraiment ouvert à l’idée de travailler avec nous”, se souvient-elle.

Être en tournée pour toujours

Si les quatre musicien·nes ont apprécié prendre le temps de parfaire le son de leur dernier disque, il était temps pour le groupe de regagner les scènes – histoire d’éprouver à nouveau les sensations uniques qui s’y vivent. “J’aime le cycle et l’équilibre entre studio et live, mais le mixage, le réglage très fin des détails lors de l’enregistrement, c’est un peu trop pour moi”, badine Juliana. Et de justifier, d’une voix enjouée : “Toute ma vie tourne autour de la musique live […] Je ne suis pas une grande aficionada de la musique enregistrée, mais j’adore les concerts, je peux y aller tous les soirs… Je pourrais probablement être en tournée pour toujours si c’était possible, donc je dirais que c’est là où mon cœur penche.”

C’est cette flamme qui les a poussé·es à explorer les scènes françaises et allemandes l’année dernière – avant la sortie de Precious Dream, donc – juste pour “aller vivre ça”. “On était tellement excité·es d’arriver en Europe, on n’avait pas encore d’album à défendre, mais on est quand même venu·es […], c’était tout simplement incroyable”, s’émerveille encore la bassiste.

Elle se souvient d’ailleurs de leur toute première date à Paris, où le groupe s’était produit au Supersonic : “On était tellement impressionné·es par l’hospitalité et la façon dont l’équipe s’était souciée de nous […], on s’était senti·es apprécié·es, considéré·es et le public était tellement génial qu’on a vraiment hyper hâte de revenir chez vous !” Et nous, de les accueillir. 

“The Loop”, l’album aux boucles d’or soul de Jordan Rakei

Par : Alexis Hache
6 mai 2024 à 13:08

La carrière de Jordan Rakei a pris un sérieux tournant l’année dernière. Hébergé chez les pourvoyeurs d’électronique aventureuse de Ninja Tune depuis 2017 et son deuxième album, Wallflower, le multi-instrumentiste a signé en octobre dernier un contrat longue durée chez Decca Records. Un changement de dimension mérité qui déteint sur The Loop, cinquième album ambitieux pour lequel Rakei s’offre des arrangements orchestraux et choraux dignes des grandes productions soul passées.

Cette nouvelle approche pourrait effrayer les fans de la première heure, mais qu’ils et elles soient immédiatement rassuré·es : Jordan Rakei reste un orfèvre hors pair lorsqu’il s’agit de polir ce son reconnaissable entre mille, mélange de soul et de R&B donc, mais aussi de jazz et de musique électronique, avec comme étendard majeur cette voix capable, sur Freedom ou Hopes and Dreams, d’aller caresser des aigus soyeux, comme Marvin Gaye en son temps.

Soul chorale, groove et émotions

Le londonien d’adoption voulait justement recentrer sa musique autour de cette voix si pure, et pourtant déjà au centre de ses précédents albums, mais ce qui saute aux oreilles, ce sont surtout les chœurs, qui rayonnent comme dans une église de Harlem (Learning, dont les arrangements évoquent Kamasi Washington et Stevie Wonder) ou fournissent à Rakei un tremplin moelleux à ses lumineuses envolées (Royal, Cages). Le groove est comme toujours en bonne place, porté notamment par la batterie du prodige Raghav Mehrotra dont l’association avec Ernesto Marichales aux percussions fait des merveilles (Trust).

Les moments mémorables ne manquent pas (Flowers, la transe soul de State of Mind, Miracle qui porte si bien son titre), mais c’est sans doute A Little Life en conclusion de ce nouveau chapitre, qui touche le plus. Émouvante réflexion sur l’enfance, le mariage et la paternité, le morceau dévoile l’une des facettes de Jordan Rakei que l’on préfère, lorsque l’introspection la plus intime rencontre son élégance naturelle à tisser des mélodies suspendues entre ciel et terre.

The Loop de Jordan Rakei (Decca Records/Universal). Sortie le 10 mai. En concert le 24 septembre à l’Élysée-Montmartre, Paris.

Channel Tres se met à l’heure berlinoise avec son nouveau single “Berghain”

Par : Théo Lilin
6 mai 2024 à 12:32

L’an dernier, le 2 avril plus précisément, Sheldon Young aka Channel Tres postait sur son compte Instagram une photo de lui devant l’institution berlinoise, et en légende “je viens de terminer mon set au Berghain”. Qui l’eût cru, un an plus tard, ce souvenir d’une première fois au temple de la techno devient un single du tout premier album du DJ et producteur américain.

Berghain est donc le premier titre au générique de Head Rush, premier long format au compteur discographique de Channel Tres, qui s’était contenté jusqu’alors d’EP et de singles. “Il s’agit de la fois où j’ai joué au Berghain et de la façon dont la culture de cet environnement m’a fait me sentir, je ne me sentais plus bizarre. Tout le monde est pareil, le but de chacun dans cet endroit est de s’amuser et d’être libre, et la musique a joué un rôle essentiel là dedans, explique l’artiste. Pour le premier extrait de son prochain album, Channel Tres mêle une techno bondissante à la voix du chanteur Barney Bones. De quoi patienter avant la sortie de Head Rush prévue le 14 juin prochain.

Madonna a fêté ses 40 ans de carrière à Rio avec 1,5 million de personnes

Par : Louise Lucas
6 mai 2024 à 10:00

Comment clôturer une tournée lorsque l’on s’appelle Madonna ? Avec, par exemple, un immense (pour ne pas dire titanesque) concert sur une plage mythique du Brésil, rassemblant un public tout aussi immense afin de réveiller, le temps d’une soirée, l’esprit festif du carnaval de Rio de Janeiro.

C’est précisément ce qui s’est produit samedi 4 mai sur la plage de Copacabana, où la papesse de la pop a rassemblé pas moins d’1,5 millions de personnes. Elle a ainsi célébré en grande pompe ses 40 ans de carrière et ponctué comme il se doit son “Celebration Tour”– soit 80 concerts en Europe, Amérique du Nord et Mexique.

Scène mastodonte pour un show symbolique

Pour l’occasion, Madonna a investi une scène colossale de 800 mètres carrés, vêtue, en tout cas une partie du live, des couleurs du drapeau brésilien. Elle a ainsi performé pendant deux heures, face à une myriade de fans qui n’ont pas hésité à s’époumoner sur ses morceaux devenus mythiques : Like a Virgin, Nothing Really Matters, Vogue…Une soirée d’autant plus symbolique qu’elle survient près d’un an après la grave infection bactérienne dont la chanteuse avait été victime en mai 2023, mettant sa santé en péril.

Ce concert a, en plus, été profitable à l’économie locale : selon la mairie de Rio de Janeiro – qui a fait ses calculs en amont de la soirée – le passage de Madonna pourrait bien générer jusqu’à 293 millions de réais (53 millions d’euros). La municipalité a d’ailleurs contribué à l’événement à hauteur de 20 millions de réais (3,7 millions d’euros) sur les 60 millions qui ont été nécessaires à l’organisation de l’événement. Quand on aime, on ne compte pas ?

Percutant et accrocheur, Arab Strap ne fait pas ses 30 ans de carrière

6 mai 2024 à 07:00

I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore pourrait figurer parmi les titres les plus démissionnaires de l’histoire de la pop. Pourtant, loin du je-m’en-foutisme tranquille que l’on pourrait imaginer, ce nouvel album est un brûlot qui joue des coudes pour s’extirper de son passé et bousculer son époque. Et quel passé !

Alors qu’Arab Strap achève une tournée célébrant le vingt-cinquième anniversaire de Philophobia (1998), monument romantique écorché qui soignait le manque d’amour et le sexe triste à grand renfort de bière tiède et de dope premier prix, le groupe choisit de ne plus regarder dans le rétro pour se concentrer sur son avenir. Tous crocs dehors, Aidan Moffat et Malcolm Middleton envoient riffs lourds et textes mordants prononcés avec l’accent de Glasgow, beaux comme une lande foudroyée.

Un immanquable mélange de rock, d’electro et de folk

Revitalisé comme jamais, Arab Strap ose le mélange des styles (rock, electro et folk) et aborde intelligemment la question de notre humanité dans un monde hyperconnecté et complotiste, sans jamais sonner comme de vieux réacs sentencieux. Séparé, puis réuni de nouveau, le duo écossais regarde droit devant lui, et on le suit les yeux fermés. Percutant et accrocheur, ce disque s’impose aisément comme l’un des immanquables de ce début d’année.

I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore (Rock Action Records/PIAS). Sortie le 10 mai.

Taylor Swift peut-elle vraiment sauver l’Amérique ?

4 mai 2024 à 17:00

Alors que le coup de sifflet final vient de retentir dans le M&T Bank Stadium de Baltimore en ce dimanche 28 janvier 2024, un frisson parcourt la foule – pour ne pas dire l’Amérique – lorsque Taylor Swift traverse la pelouse et se jette dans les bras de son beau Travis Kelce, la star des Chiefs de Kansas City, qui viennent pour la quatrième fois en cinq saisons de se qualifier pour le Super Bowl face aux Ravens, qui jouaient pourtant à domicile. La victoire est nette (17 à 10) et l’exploit sportif, remarquable pour les Chiefs ; mais ce dont tout le monde parle, dans le stade, à la télévision, sur les réseaux sociaux, c’est de Taylor “porte-bonheur” Swift. C’est la douzième fois qu’elle assiste à un match de son boyfriend depuis le début de leur relation, six mois plus tôt, et c’est la dixième fois qu’il gagne – deux semaines plus tard, il remportera le trophée suprême face aux 49ers de San Francisco. 

De la puissante NFL (la fédération du football américain) aux chaînes de télévision qui retransmettent le championnat de sport le plus populaire outre-Atlantique, des journaux qui commentent les matchs à celles et ceux qui s’intéressent aux frasques de la pop star, personne n’est avare en superlatifs pour décrire l’émulation que sa présence dans les stades crée. Grâce à celle qui a été nommée, en décembre, personnalité de l’année par le vénérable Time, le football et son commerce ne se sont jamais aussi bien portés, notamment auprès des jeunes femmes – pourtant pas forcément le cœur de cible du ballon ovale. Taylor Swift en profite aussi : sa tournée Eras, avec ses 152 dates réparties sur tous les continents (ne lui restera que l’Europe au moment où cet article sera publié), est la plus lucrative de l’histoire avec plus d’un milliard de dollars de recettes rien qu’en 2023 (devançant celle des adieux d’Elton John), et des retombées économiques aux États-Unis estimées à plus de 5 milliards de dollars.

Les économistes ont même un petit nom pour ce phénomène qui a revigoré le tourisme un peu partout aux États-Unis l’été dernier : “Swiftonomics”. Elle vient elle-même, le 2 avril, d’entrer officiellement dans le classement Forbes des milliardaires avec un patrimoine évalué à 1,1 milliard de dollars ; c’est la première fois qu’un·e artiste y parvient uniquement grâce aux revenus tirés de sa musique. Et tout le pays semble s’en faire une joie, communiant comme rarement autour d’elle.

Toute l’Amérique ? Il y a hélas bien longtemps qu’un tel concept n’existe plus. Car dès le lendemain de ce succès, le 29 janvier, depuis les tréfonds de ce qu’on appelle aux États-Unis la “magasphere” (soit les sympathisant·es de Donald Trump et de son slogan “Make America great again”), se mettent à grouiller les théories complotistes les plus folles. Sur le réseau social X (ex-Twitter), devenu la caisse de résonance privilégiée de ce mouvement néofasciste, l’ancien candidat à la primaire républicaine Vivek Ramaswamy ouvre le bal, spéculant sur la victoire truquée des Chiefs au Super Bowl et le soutien du power couple honni à Joe Biden lors de la présidentielle à venir.

Avec une véhémence frôlant le comique, d’autres commentateur·rices se lâchent ensuite dans la myriade de médias trumpistes (y compris Fox News) ; qui pour dénoncer la complicité de la NFL (pourtant dirigée par des milliardaires peu soupçonnables d’accointances gauchistes) dans cette machination forcément ourdie par le sempiternel George Soros, qui pour rappeler que Travis Kelce n’était de toutes façons plus digne de confiance depuis son soutien public à la vaccination contre le Covid, qui enfin pour ôter à la démoniaque Taylor Swift son masque d’agent du Pentagone engagée pour mener une campagne de manipulation psychologique à grande échelle… Et la liste est loin d’être exhaustive.

“L’une des raisons pour laquelle le libéralisme [au sens américain du terme, la gauche] survit à sa déconnexion de la normalité (ou ce qu’il en reste) est l’incapacité du conservatisme à être lui-même normal, ne serait-ce qu’un instant”, déplore ainsi Ross Douthat, chroniqueur au New York Times qui, en tant que conservateur modéré, voit dans ce genre de comportement une authentique “anomalie à droite” risquant de l’éloigner encore une fois du pouvoir. Le contraste est en effet saisissant : d’un côté, la célébration joyeuse d’un couple princier parvenu au sommet de la musique et du sport, de l’autre, une tornade de conjectures bizarres, un ouragan de soupçons trempés dans le ressentiment le plus rance. Et c’est dans ce clair-obscur que s’inscrit l’histoire de Taylor Swift, désormais projetée malgré elle au cœur d’une controverse dépassant les limites de la raison, reflet d’une société totalement fracturée.

Grandeur et décadence

Rien pourtant ne la prédestinait à cela. Née pile au moment où l’Amérique triomphe de la guerre froide en 1989, Taylor Swift grandit dans une petite ville de Pennsylvanie sous la frondaison des douces années Clinton, au sein d’une famille de la moyenne bourgeoisie, au milieu des sapins de Noël que son père s’est mis à cultiver et à vendre après avoir été trader. Inspirée par sa grand-mère chanteuse d’opéra, elle se met très jeune à la musique et joue dans les orchestres d’école, avant d’enregistrer ses premières démos de reprises de standards country (Dolly Parton, Patsy Cline, Shania Twain) et de déménager à Nashville l’année suivante, à 14 ans, pour y commencer sa carrière, partageant son temps entre le lycée et les radio-crochets.

Repérée en 2005 par un ancien cadre de Dreamworks, Scott Borchetta, elle sort un premier album de country qui la branche d’emblée sur le courant continu irriguant un sous-continent de 400 millions de paires d’oreilles. Il y a là tous les éléments non pas d’un conte de fées (toujours plus sordide et accidenté qu’on veut le croire), mais plutôt d’une trajectoire absolument lisse vers ce que l’Amérique a de plus américain à offrir – une quintessence de success story ni trop aisée ni trop dure, aussi onctueuse qu’un smoothie.

Le succès du deuxième album légèrement teinté de pop, Fearless, est déjà stratosphérique ; il devient l’album le plus vendu aux États-Unis en 2009 et lui offre sa première moisson de Grammy Awards (dont celui du meilleur album de l’année). Mais il lui attire aussi ses premières embrouilles. Lorsque You Belong with Me – où elle chante “elle porte des talons hauts, moi je porte des baskets”, parce que Taylor n’est pas une aguicheuse – remporte le prix du meilleur clip lors des MTV Music Awards, Kanye West déboule sur scène et sort son fameux “Yo, Taylor, je suis vraiment content pour toi, et je vais te laisser finir, mais Beyoncé a fait l’un des meilleurs clips de tous les temps !” (avec Single Ladies, reparti bredouille).

Mine de rien, c’est déjà toute l’histoire de la pop music contemporaine qui se joue en miniature dans cet incident. La muflerie de Kanye, la résilience de Taylor (restée coite sur scène) et la frustration (légitime) de Beyoncé apparaissent rétrospectivement comme un avant-goût de dynamiques futures, y compris sociales et politiques (féminisme vs. masculinisme, affrontements communautaires). “Tout est plus sombre désormais”, écrira l’essayiste Ta-Nehisi Coates dans un texte important pour The Atlantic en 2018, après la chute du rappeur dans les latrines du trumpisme. Il y reconnaît que, contrairement à son premier instinct, “l’assaut contre Taylor Swift ne relevait pas uniquement d’une colère justifiée, mais d’une réaction plus erratique et inquiétante, témoignant d’un manque de sagesse de plus en plus récurrent” chez Kanye. Chez Kanye et chez un nombre croissant d’Américain·es, n’allait-on pas tarder à constater…

Mais en 2009, ce dernier apparaît comme un génie populaire en pleine possession de ses moyens, et la jeune Taylor, 19 ans, n’ose pas lui rentrer dedans – Obama, en revanche, ne s’en privera pas, le traitant de “jackass” (abruti) dès le lendemain. Malgré l’humiliation, elle se réconcilie donc avec Yeezy, allant dîner avec lui, le saluant chaleureusement lors d’événements publics, l’appelant “mon ami”, manifestement désireuse de s’intégrer au sein de cette aristocratie musicale dont elle gravit rapidement les échelons.

Durant la première moitié des années 2010, elle fait ainsi tomber les records les uns après les autres et s’impose comme un poids lourd de l’industrie du disque, s’éloignant peu à peu de la country pour s’emparer du marché encore plus vaste de la pop. Speak Now (2010), Red (2012) et 1989 (2014) incarnent ainsi cette transition. Le sirupeux We Are Never Ever Getting Back Together (sur Red) devient son premier numéro 1 au Billboard 100. Mais c’est avec l’album nommé d’après son année de naissance (à notre humble avis son meilleur), produit notamment par le nouveau manitou des charts Jack Antonoff, qu’elle devient incontournable. Elle quitte Nashville pour New York, Shake It Off devient un hymne synthpop dans le monde entier, on commence à la comparer à Mickael Jackson et Madonna, et la tournée triomphale qui s’ensuit est la plus lucrative de l’année, générant 250 millions de dollars.

C’est à partir de là que les choses se compliquent pour elle, avec plusieurs polémiques plus ou moins sérieuses, quelques accidents de parcours qui ont au moins le mérite de donner à sa trajectoire un peu de relief. Les légendes s’écrivent dans l’adversité, et la “sweetheart of America” en manquait cruellement jusqu’ici. Kanye, tout d’abord, sort en avril 2016 un single extrait de son album The Life of Pablo intitulé Famous, dans lequel il a l’élégance de rapper qu’il “sent qu’il pourrait toujours faire l’amour avec Taylor”, parce qu’après tout, c’est lui qui “a rendu cette garce célèbre”.

Dans le clip (très beau et fascinant, il faut en convenir), on voit Kanye au pieu avec de multiples sosies (ou des poupées de cire) nus et endormis, dont un de Taylor Swift (mais aussi de Donald Trump, Bill Cosby, George W. Bush…). La chanteuse, accablée par cette misogynie et trahie par celui qu’elle pensait être son “ami”, lui fait part de sa consternation. Lui affirme qu’il l’a prévenue et qu’elle a consenti. À la suite de quoi Kim Kardashian publie sur Snapchat un enregistrement de son mari discutant amicalement de la chanson avec Swift. La voici de nouveau humiliée, subissant de surcroît une vague de harcèlement en ligne par les fans de KimYe qui déversent dans les commentaires de son Instagram des emojis serpent, symboles de fourberie.

Cette paire de gifles, surnommé le “Snakegate”, constitue indéniablement le point le plus bas de la carrière de Taylor Swift, à tel point qu’elle disparaît pendant plus d’un an de la sphère publique, désactivant ses réseaux sociaux et affichant une page noire sur son site internet, tandis que sa nemesis Kanye, lui, triomphe… C’est aussi à cette époque qu’elle s’embrouille avec son ex Calvin Harris, Nicky Minaj ou encore Katy Perry, et qu’on commence à l’accuser de tous les maux.

“Le monde entier semblait alors s’être retourné contre elle”, se souvient Taffy Brodesser-Akner, journaliste au New York Times, experte ès Swift et autrice d’un long portrait de la star qu’elle n’a pourtant jamais rencontrée. Pour ses nombreux·ses détracteur·rices, poursuit-elle, “il était désormais clair que son féminisme n’était pas réel ; qu’il consistait seulement à aligner ses jolies amies (le squad), pour la plupart blanches, sur scène pour prendre des photos ou porter des maillots de bain assortis le 4 juillet”. C’est aussi à cette époque que certaines franges de l’extrême droite tentent de la récupérer, faisant d’elle une “déesse aryenne”… Mais Taylor a grandi avec internet et en connaît parfaitement les règles. Elle a donc “observé tout cela calmement, sachant qu’il était inutile de lutter contre le courant venu la tirer vers le large”.

Retour en grâce

Lorsqu’elle refait surface en août 2017, les emojis serpent ont tous disparus de son Instagram (avec l’aide de la plateforme). Les remplace une vidéo granuleuse du même animal, qu’elle poste cette fois-ci elle-même. On l’accuse d’être un serpent ? Elle en fera son emblème, car rien n’est plus empowering que de s’approprier un juron. Quelques mois plus tard, elle sort un sixième album aux accents hip-hop (pas du meilleur goût), Reputation, dans lequel elle règle ses comptes. Et comme d’habitude, c’est un carton, en tête des charts (certes moins que 1989), multi-récompensé, accompagné d’une tournée record à 350 millions de dollars. Quant à Kim et Kanye, elle les renvoie une bonne fois pour toutes dans les cordes en publiant l’enregistrement du fameux coup de fil, mais cette fois-ci in extenso, prouvant qu’elle n’a en effet jamais consenti à être qualifiée de “bitch” dans Famous. “Alors, j’ai mis un coup de hache sur la palissade réparée/Mais je ne suis pas la seule amie que tu as perdu… Si seulement tu n’étais pas si sournois”, ironise-t-elle dans le féroce This Is Why We Can’t Have Nice Things. La vengeance est un plat qui se mange froid.

Une autre mésaventure est venue, ces dernières années, renforcer l’aura de Taylor Swift, et nourrir son récit de serpent qui mord quand on la menace : l’affaire des masters. En 2019, alors qu’elle est pleine promotion de son septième album au succès moindre, Lover, elle apprend que Scott Borchetta, l’homme qui l’a découverte, met en vente son label, Big Machine Records. Et avec lui tout son catalogue de masters, qui représente le cœur des royalties. Elle essaie de les racheter elle-même, mais quelqu’un lui grille la priorité : Scooter Braun. Or cet homme n’est autre que le manager de Kanye West. Elle s’en plaint publiquement, allumant une nouvelle polémique où chacun·e est sommé·e de choisir son camp, et elle se fait encore quelques ennemi·es au passage (dont Justin Bieber).

Voyant qu’elle n’a aucun recours, elle a une “idée de génie”, affirme Alexandra Schwartz, co-animatrice du podcast Critics at Large du New Yorker : puisqu’elle a perdu ses masters et qu’elle hait de tout son coeur la personne qui les détient désormais, elle décide de les réenregistrer. À l’identique. Note par note. Et de les ressortir, avec un macaron “Taylor’s Version”, à partir de 2021. Une manœuvre parfaitement légale que personne n’avait jamais osé faire, et qui lui permet de reprendre pleinement possession de sa musique.

Bien sûr, rien n’empêche les gens d’écouter ou de synchroniser les anciennes versions, mais sa fanbase dévouée se rue sur les rééditions et les porte à nouveau au sommet. Dans My Tears Ricochet, une ballade enregistrée sur Folklore, un des deux albums plus intimistes sortis en plein Covid, elle adresse ces mots à son ancien manager Borchetta : “Et c’est encore à toi que je parle, quand je hurle vers le ciel/Et quand la nuit tu ne trouves pas le sommeil, ce sont mes berceuses volées qui parviennent à tes oreilles.” “Il s’agit d’un geste héroïque qui doit être replacé dans son contexte, insiste Alexandra Schwartz. Ce n’est pas juste une artiste qui se bat contre un label, c’est une femme qui se bat contre des hommes ; une femme qui abat son plafond de verre et refuse d’être contrôlée par une conjuration masculine. Qu’on aime ou pas sa musique, ça reste quelque chose.”

Fine observatrice de la vie culturelle américaine qu’elle analyse chaque semaine dans son podcast, elle qualifie cette histoire de “fable” qui a permis à Taylor Swift d’assoir encore davantage son règne sur la pop music et de cimenter l’admiration que lui porte son public, composé majoritairement de jeunes femmes – ainsi que de femmes moins jeunes, comme la journaliste Taffy Brodesser-Akner du New York Times, 48 ans et Swiftie assumée. “Taylor Swift raconte comment les filles deviennent des femmes. Elle énumère les expériences qui nous font grandir, explique-t-elle, admirative. J’ignore pourquoi il a fallu si longtemps pour quelqu’un s’empare aussi bien de ce sujet dans des chansons, mais les siennes y parviennent vraiment.” On ajoutera que, contrairement à nombre de ses collègues qui évoquent frontalement la sexualité (Beyoncé, Cardi B, Ariana Grande, Doja Cat…), Taylor Swift, elle, s’intéresse plutôt à la romance, au sentiment amoureux et aux déceptions inévitables qui l’accompagnent. Un sujet évidemment moins clivant, dans un pays toujours en proie au puritanisme.

Une voix qui porte

Jusqu’en 2016 donc, la pop star cultive une image œcuménique à même de rallier les deux côtés de l’échiquier politique. Venant de la culture country, traditionnellement blanche et républicaine (du moins avant que Lil Nas X et Beyoncé ne s’en emparent), Swift n’a pas intérêt à trop afficher ses opinions, ce qu’elle assume d’ailleurs dans le documentaire Miss Americana sur Netflix : “Pas envie d’être les Dixie Chicks”, lâche-t-elle nonchalamment en référence à ce groupe de country féminin qui a subi un violent backlash après avoir dit, lors d’un concert à Londres en 2003, qu’elles avaient honte de venir du même État que George W. Bush (le Texas).

Mais lorsque Donald Trump s’installe à la Maison Blanche, d’aucuns lui reprochent son silence durant la campagne, alors que Beyoncé ou Demi Lovato enchainaient les levées de fond pour Hillary Clinton. Et elle-même se met à culpabiliser… Le déclic se produit en 2018, lorsqu’elle soutient deux démocrates dans son État d’adoption du Tennessee tout en traitant la sénatrice de l’État, Marsha Blackburn, de “Trump avec une perruque”. Elle accuse plus particulièrement cette dernière de s’attaquer aux “droits humains élémentaires” en se drapant dans les soi-disant “valeurs chrétiennes du Tennessee”. Or, “je suis du Tennessee. Je suis chrétienne. Et ce ne sont pas nos valeurs”, cingle-t-elle dans le documentaire Miss Americana.

Ce coup de gueule n’empêchera pas Blackburn de remporter l’élection, mais à partir de là, le virus de la politique ne quitte plus Taylor Swift. En 2020, elle appelle ainsi à voter pour Biden. Régulièrement (encore très récemment lors des primaires), elle encourage les gens à s’inscrire sur les listes électorales – avec un effet notable, estimé à 35 000 inscriptions (essentiellement des jeunes) en septembre 2023 grâce à un seul post sur Instagram, où elle parle à plus de 280 millions de followers. Elle défend par ailleurs le droit à l’avortement, les droits LGBTQI+, les droits civiques… Bref, elle choisit son camp. Et pourtant, miraculeusement, l’autre camp ne cesse de l’aimer. Pas autant, certes, mais selon un sondage de l’université Monmouth publié en février, 24 % des républicain·es se disent fans contre 33 % des démocrates – un écart acceptable, et extrêmement rare en ces temps ultrapolarisés.

“Elle est aimée de tous, je crois, parce que les Américains ont besoin d’une figure à aimer en ce moment. Quelqu’un autour de qui communier quelles que soient leurs opinions politiques”, analyse Alexandra Schwartz du New Yorker. Même Beyoncé, dont le Renaissance Tour a talonné le Eras Tour, avec pourtant moins de dates, n’atteint pas de tels sommets de popularité. Il est cependant intéressant de noter qu’avec son nouvel album de country, Cowboy Carter, elle contribue elle aussi, puissamment, à combler le fossé culturel entre les deux Amériques qui ne se parlent plus. “Je suis un peu dubitative quant au concept de ‘monoculture’ évoqué un peu partout pour décrire sa domination sur la culture, mais Taylor incarne indéniablement un ‘désir de monoculture’ : une sorte de joie générale à être, à nouveau, pour la première fois depuis longtemps, dans le même wagon.”

Une forme de réconciliation sur l’autel de la musique, donc, qui exclut toutefois, encore, la frange la plus indécrottable du trumpisme : 18 % des sondé·es sont d’accord avec les diverses théories complotistes accusant la star de truquer les matchs de NFL et l’élection à venir… En s’attaquant à une figure aussi populaire, y compris dans une partie de son électorat potentiel, Trump commet-il une erreur stratégique ? Si Alexandra Schwartz se refuse désormais à faire de tels pronostics, tant l’ancien président s’est montré capable de “tirer parti des situations même les plus accablantes”, elle note que ce dernier ne sait puiser son énergie que dans le ressentiment, alors que Taylor Swift ne parle au fond que d’empowerment, même dans ses chansons un peu agressives.

Espérant qu’une telle énergie positive le portera vers un second mandat le 5 novembre, Joe Biden ferait en tout cas tout son possible, selon une information du New York Times, pour obtenir à nouveau un soutien officiel de la chanteuse, restée pour l’instant silencieuse. Et Trump lui-même, dans ses discours, ne cible pas directement Taylor Swift, laissant ses sbires (tel Vivek Ramaswamy ou divers lobbys réactionnaires) le faire à sa place. Lui qui la trouvait jadis (en 2012) “formidable” s’est contenté en février 2024 de dire sur Truth Social, son propre réseau, qu’il “ne croyait pas une seconde” qu’elle puisse lui être “déloyale”, alors qu’il lui a “fait gagner tellement d’argent en signant le Music Modernization Art”, une loi de 2018 qui régule notamment les plateformes de streaming et sur laquelle le président n’a eu aucune influence. Peu lui importe que Taylor Swift ait déjà soutenu Biden en 2020 : Trump n’a juste pas envie de provoquer la superstar.

C’est que, selon plusieurs politologues, un mot de sa part serait susceptible, non pas de retourner des républicain·es convaincu·es, mais plus prosaïquement de mobiliser les indécis·es, particulièrement nombreux chez les jeunes cette année (beaucoup plus qu’en 2020) et chez les indépendant·es, notamment chez les “femmes de banlieues aisées” – une démographie jadis plutôt conservatrice mais désormais au cœur de la coalition démocrate face au repoussoir misogyne qu’incarne Trump. Brandon Valeriano, professeur de sciences politiques dans une université du New Jersey, se demande pour sa part si les jeunes “iront voter pour un homme plus âgé que leurs grands-parents ou s’ils le tiendront responsable des atrocités à Gaza” – deux épouvantails pour Biden.

Or “un soutien de Swift aurait l’avantage de recentrer le débat sur un de ses sujets phares : le droit à l’avortement”. Une thématique grâce à laquelle les démocrates ont systématiquement taillé des croupières aux républicain·es ces deux dernières années, lors des élections de mi-mandat en 2022 ou lors d’élections partielles ou locales. Ce ne serait quoi qu’il en soit pas la première fois qu’une mega célébrité s’engage derrière un candidat. On pourrait citer Frank Sinatra derrière John Fitzgerald Kennedy, Willy Nelson derrière Jimmy Carter, James Stewart, Cary Grant et Charlton Heston derrière leur collègue Ronald Reagan… L’exemple le plus célèbre étant celui d’Oprah Winfrey avec Barack Obama durant la primaire démocrate de 2008 : une étude de micro-économie avait à l’époque quantifié ce soutien à près d’un million de voix – un coup de pouce gigantesque qui avait permis au jeune sénateur de l’Illinois de s’imposer face à Hillary Clinton.

Taylor Swift pourrait-elle avoir un tel impact en novembre 2024 ? Notre politologue en doute. Et il souligne que, selon un sondage commandé en début d’année par Newsweek, si 18 % des électeur·rices se disent prêt·es à voter pour un·e candidat·e soutenu·e par Swift, il·elles sont 17 % à affirmer que cela les en dissuaderait (et 55 % s’en fichent). Confirmation que c’est moins un “effet de souffle” qu’espère Joe Biden qu’un effet de perception : il est un vieil homme blanc certes, mais il doit apparaître avant tout comme un défenseur des jeunes et des femmes. Ce qui a toujours été le cas – quand il était vice-président déjà – mais qu’il est nécessaire de marteler.

Il y a enfin un denier élément à prendre en compte : le système des grand·es électeur·rices aux États-Unis a pour conséquence un resserrement de la bataille autour d’une demi-douzaine d’États-clés très disputés, où quelques dizaines de milliers de votes font la différence. Dans ce contexte, le soutien d’une personnalité aussi populaire que Swift peut être déterminant. Le 30 mars, le réalisateur Rob Reiner (Quand Harry rencontre Sally), en train de tourner la suite de Spinal Tap, a écrit sur X que même s’il aimerait que “Taylor Swift fasse une apparition dans le film, [il] donnerait n’importe quoi pour qu’elle soutienne Joe Biden”. Et d’ajouter : “Elle sauverait pratiquement à elle seule la démocratie américaine.” 

Sur nos radars : Jenys, princesse pop libre et tourmentée

4 mai 2024 à 10:00

Après avoir délaissé ses études d’ingénieure du son à Saint-Pétersbourg, Jenys quitte la Russie au moment de la déclaration de guerre avec l’Ukraine : “J’ai réalisé que je ne pouvais plus rester dans mon pays natal, en tant qu’artiste et que personne queer.” Elle passe par Istanbul avant d’obtenir un visa pour la France et de s’installer à Paris. Après un premier EP, S.ncerity (2021), elle vient d’en sortir un second, Dive Urgent

Au rayon des influences, la jeune femme de 24 ans cite des artistes aussi varié·es que Björk, Siriusmo, Sophie, Smerz, Mitski, Madonna (l’un des titres du dernier EP s’intitule Like a Virgin) et Britney Spears. Elle porte d’ailleurs ce jour-là un hoodie imprimé de la tête rasée de la princesse de la pop. Plus qu’un étendard, le vêtement dit quelque chose sur sa musique : sucrée mais empoisonnée, douce mais âpre, enchanteresse mais hantée, sensuelle mais brutale. Si elle intègre parfois du russe à ses paroles, elle se sent plus à l’aise en anglais : “Les mots de ma langue maternelle sont chargés de trop de cicatrices.”

Naviguant entre art pop et post-club, la productrice apprend peu à peu à intégrer sa voix à ses compositions, comme sur les sublimes Done for Me et Red Tights, titres à paraître sur son premier LP déjà prévu pour début 2025, et avec lesquels elle a enflammé la scène du dernier Festival Mofo : “Mon rapport à ma voix a évolué ces derniers temps ; plus je la travaille, plus j’accepte mes insécurités et mes imperfections, et plus je me sens libre.”

Dive Urgent (The Gum Club/Orage Publishing).

Exclu : Avec “Rainy”, Shoko Igarashi met en musique la pluie

Par : Louise Lucas
3 mai 2024 à 14:17

Il n’y a qu’à jeter un œil vers la grisaille du ciel (et les larmes qui s’en échappent) pour se dire que le nouveau titre de Shoko Igarashi est bien à propos : Rainy. Puisque Paris n’a pas le monopole du temps maussade, la musicienne japonaise fait l’éloge de la pluie, celle-là même qui s’abat souvent sur Bruxelles – où elle est désormais installée – de la bruine jusqu’aux trombes d’eau. Celle, aussi, qu’elle avait l’habitude d’observer à Tsuruoka, ville située au nord du Japon, où elle a grandi.

Des synthés et des dessins animés

Shoko Igarashi entend ainsi impulser un nouveau genre musical érigé par ses soins : l’“Onsen Music” – l’“onsen”, qui signifie “source chaude” en français, est un bain thermal japonais. En résulte une musique aux sonorités liquides et vaporeuses, donc, faite de gouttes synthétiques éparses et hétéroclites.

Rainy s’accompagne d’une vidéo réalisée par l’artiste Eri Sasaki, dont l’univers a rencontré celui de Shoko Igarashi, à la demande de cette dernière. Une fusion de leurs esthétiques, qui s’est soldée par cette adaptation visuelle, succession de dessins naïfs aux vives couleurs. Rouge, vert, jaune, bleu… se meuvent ainsi aux rythmes des beats et des synthés.

Samson, moitié de Bolides, s’envole en solo avec “L’Oiseau bleu”

Par : Théo Lilin
3 mai 2024 à 14:13

Samson du duo Bolides, déploie ses ailes en solo avec un nouveau single, L’Oiseau bleu, première étape d’un nouveau projet. “Les bolides se fendent la poire en deux et répondront donc désormais au doux nom de Samson”, résume avec humour le label S76, chez qui Samson vient tout juste de signer. Mais attention, Joseph, deuxième moitié de Bolides, n’est pas bien loin puisqu’il compose et produit le single. On croise également les guitares du talentueux Kevin Heartbeats, dont certain·es fidèles des Inrocks Super Club se souviendront de son passage, le 8 juin dernier, sur la scène de la Boule Noire. Le trio d’artistes se retrouve à nouveau, après avoir collaboré sur le morceau Été amer.

Avec L’Oiseau bleu, on retrouve avec plaisir la ligne de basse pop dansante chère à Bolides. “J’ai écrit cette chanson en m’inspirant d’un poème de Bukowski”, détaille Samson. Dans une vidéo, le musicien rassure : “tout va rester comme avant avec Joseph et moi, rien n’a changé”, avant d’annoncer son tout premier concert, au Poisson Lune le 4 mai. Voilà donc deux bonnes raisons de se plonger, si ce n’est pas déjà fait, dans l’univers de Samson.

The Lemon Twigs, Dua Lipa, Caroline Polachek… sont dans la playlist de la semaine !

Par : Louise Lucas
3 mai 2024 à 12:40

Ouvrons cette playlist (et le week-end, tant qu’on y est) avec le soleil qu’elle mérite : ballade à trois temps, claviers cadencés, somptueuses harmonies vocales… The Lemon Twigs offrent le splendide In the Eyes of the Girl, titre extrait de leur nouvel album (enfin) partagé en totalité – après une poignée de singles égrenés depuis janvier. Les deux frères de Long Island n’ont perdu ni de leur superbe ni de leur talent, en témoigne ce nouveau disque qui rythmera pour sûr nos soirées d’été.

Il était doute l’un des albums pop les plus attendus : Dua Lipa nous revient avec Radical Optimism, alliage d’une dizaine de titres dansants et teintés de l’enthousiasme de la Londonienne. Parmi eux : French Exit, morceau à la batterie haletante, où elle nous dessine une certaine idée de la politesse à la française – à savoir s’échapper à bas bruit, sans un mot.

À retrouver également cette semaine :

Toujours côté pop – cette fois-ci plus hybride, truculente et expérimentale – Caroline Polachek délivre Starburned and Unkissed. Un single qui succède à son disque Desire, I Want to Turn Into You, où fusionnent textures synthétiques et poésie tout en éraflures. Eux aussi plein d’audace, Faux Real partagent Love on the Ground, dernier single avant la sortie de Faux Ever, leur premier album, à paraître le 24 mai.

Pour une touche de mélancolie écorchée, on écoute Black Cloud de Penny Arcade – titre extrait de Backwater Collage, son disque tout juste délivré. L’Anglais s’y déleste, par les mélodies comme par les mots, d’une nostalgie certaine, en témoignent les couleurs désabusées qui teintent chacun des morceaux. Même son de cloche chez Sprints – version un brin plus incendiaire et abrasive, on en convient – avec le titre Help Me, I’m Spirallin, soufflante punk pétrie d’angoisses, où les guitares grondent autant que la voix de Karla Chubb, éperdue.

Beaucoup d’autres pépites à écouter cette semaine : Desire, Broadcast, Mdou Moctar, Camera Obscura, Kamasi Washington, Elysian Fields, John Carpenter, Paul Félix, LA Priest, Jessica Pratt, Mauvais Œil, Charlotte Day Wilson, Chris Cohen, Uche Yara, Christine and the Queens, Slove, Samson, Édouard Bielle, Gastr del Sol, Swim Deep, Kneecap, Hiatus Kaiyote, Hugh Coltman, Dove.

The Lemon Twigs, Dua Lipa, Jessica Pratt… Voici les 5 albums de la semaine !

Par : Théo Lilin
3 mai 2024 à 09:54

The Lemon Twigs A Dream Is All We Know (Captured Tracks/Modulor)

Rares sont les artistes aussi jeunes et aussi prolifiques qui parviennent à nous épater à chaque nouvelle sortie. C’est encore le cas de leur nouvelle livraison, A Dream Is All We Know. Sur la pochette, les deux frères nous fixent, impassibles, l’un debout, l’autre la tête en bas dans la posture du poirier – on peut y voir une métaphore de leur propre musique, capable des pirouettes les plus acrobatiques, mais qui retombe toujours sur ses pieds.

Par Noémie Lecoq

Lire la chronique de A Dream Is All We Know

Kamasi Washington Fearless Movement (XL Recordings/Wagram)

Plus ramassé que Heaven and Earth (2018), le bien nommé Fearless Movement cultive un groove panafricain, intrépide et propice à la danse. Et c’est sur une réinvention du Prologue du bandonéoniste argentin Ástor Piazzolla que Kamasi Washington prend congé, nous laissant presque essouflé·es par cette musique viscéralement affranchie, autant sur terre que dans le cosmos.

Par Sophie Rosemont

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Dua Lipa Radical Optimism (Warner Records)

Précédé par Houdini et Training Season, deux petits bijoux de dance-pop parfaitement ciselés, et tout récemment Illusion, où Dua modèle avec brio les contours de sa version du psychédélisme, Radical Optimism ouvre Dua Lipa à d’autres territoires, plus organiques, mais aussi mainstream. Un bouquet de power-pop dansante et ensoleillée, où l’électronique et l’acoustique s’embrassent à qui mieux mieux, dans lequel les torch songs tonitruantes succèdent à des ballades plus intimes au piano, et à travers lequel Dua distille des clins d’œil au flamenco comme au funk psyché de Sly & The Family Stone. Un album qui devrait logiquement la propulser dans les étoiles.

Par Patrick Thévenin

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Mdou Moctar Funeral for Justice (Matador/Wagram)

Si le patchwork d’Afrique victime (Mdou Moctar n’est pas fan des enregistrements en studio), son précédent album, avait des allures d’aboutissement artistique, Funeral for Justice persiste dans l’engagement électrique et le renouvellement du rock touareg. Un alliage détonnant pour confronter la France (et autres “occupants”) aux conséquences de son interventionnisme colonial. Une leçon d’activisme, aussi bien sur le fond que dans la forme.

Par Théo Dubreuil

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Jessica Pratt Here in the Pitch (City Slang/PIAS)

En troquant l’intimisme de sa guitare fragile pour une orchestration ouvragée, qui doit autant à la bossa qu’à Brian Wilson, Pratt pousse les murs, mais conserve le murmure. C’est le premier miracle de Here in the Pitch, le plus évident : malgré ses dimensions propices à l’écho, l’endroit où sa musique nous installe reste un confessionnal. Un espace solitaire.

Par Rémi Boiteux

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La musique se gentrifie, les artistes se précarisent

3 mai 2024 à 09:20

La semaine dernière, le quotidien britannique The Guardian publiait un papier sur le business du live outre-Manche intitulé : The working class can’t afford it”: the shocking truth about the money bands make on tour. Soit, en français : “La classe ouvrière ne peut plus se le permettre” : la terrible vérité sur l’argent que gagnent les artistes en tournée. Interviennent dans ce sujet plusieurs groupes (English Teacher, Nubiyan Twist), un manager d’artistes, le représentant de l’association de défense des intérêts des musicien·nes (Featured Artists Coalition) : tous sont d’accord sur un point : les artistes ne peuvent pas vivre des concerts. Pire, ils perdent de l’argent.

Ils et elles ont testé pour vous

Une enquête qui fait écho à la parole de Lias Saoudi de Fat White Family, recueillie par nos soins à l’occasion de la sortie du dernier album du groupe : “Le rock (…) a été gentrifié, comme n’importe quoi d’autre. Qui peut aujourd’hui s’acheter des amplis de basse et de guitare, si ce n’est la jeunesse issue des classes moyennes ?” Sur X, la musicienne claire rousay (qui vient de sortir son génial nouvel album sentiment) cite l’article en allant dans le sens du constat qu’il établit : “J-2 avant l’échéance du loyer, je confirme.”

De son côté, l’immense Ryley Walker, héros héroïque de l’indie made in US, jamais le dernier pour la déconne, ironise, toujours en rebondissant sur le papier du Guardian : “J’ai accepté l’idée que si je devais mourir sur l’autoroute à péage de l’État de l’Ohio, le crédit poursuivra toute ma famille, même éloignée, jusqu’à ce que la dette soit payée.

Qui les paie ?

The Guardian souligne par ailleurs que cet état de fait concerne aussi bien les artistes indépendant·es que celles et ceux signé·es en major, qu’ils ou elles jouent pour 200 ou 2 000 personnes. Une artiste américaine nous confiait récemment qu’aux États-Unis, dès qu’un·e musicien·ne arrête de tourner, même en ayant joué sur scène à l’international, il ou elle retourne dès le lendemain servir des cafés dans les diners des quartiers gentrifiés pour maintenir un niveau de revenus décent.

Dans le Guardian, Dan Potts, de Red Light Management, pointe du doigt un problème endémique à l’industrie de la musique, qui méconnaîtrait elle-même son propre système de répartition d’une richesse qui ne ruisselle pas jusque dans les poches des artistes : “Les gens des labels pensent que les artistes se font de l’argent avec les tournées, pendant que les producteurs de spectacle s’imaginent qu’ils gagnent leur vie grâce aux revenus générés par les éditions (…) tout le monde pense que les artistes se font de l’argent via un autre secteur de l’industrie” et de conclure : “Les artistes sont les plus gros employeurs de l’industrie en réalité.

Chapeau et admiration éternelle pour tous les réseaux suburbains, salles, tourneurs DIY, artistes qui, envers et contre tout, continuent de faire communauté en se saignant pour que vive une certaine idée de la pluralité et de la lutte des classes.

Édito initialement paru dans la newsletter musique du 3 mai 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Dua Lipa : “‘Radical Optimism’, c’est la liberté du Summer of Love”

2 mai 2024 à 23:01

En une dizaine d’années de carrière, une révélation avec un premier album pop, Bubblegum, puis une confirmation avec le très club Future Nostalgia, la Britannique Dua Lipa, nouvelle égérie des dancefloors, a dessiné soigneusement les contours de la pop star des années 2020. Un grand mix entre la chanteuse, l’influenceuse (88 millions d’abonné·es sur Insta), la fashionista, l’égérie (pour Saint Laurent entre autres), l’actrice, la féministe et l’intello (à travers son site Service95 où elle partage son goût pour la littérature).

Devenue une habituée des tabloïds et des raouts VIP où chacun de ses changements de look, comme de partenaire, est guetté avec minutie pour alimenter la machine à clics, à tue et à toi avec Madonna, Elton John ou Megan Thee Stallion, Dua Lipa franchit une étape décisive avec Radical Optimism. Un troisième album où, décidée à élargir son univers club vers un son plus pop et psychédélique, la future diva a rassemblé autour d’elle Kevin Parker de Tame Impala (décidément sur tous les bons coups ces derniers mois), Danny L Harle, le jeune producteur anglais sur qui tous les yeux sont rivés, et ses vieux compères du début, Caroline Ailin et Tobias Jesso Jr.. Une bande de jeunes en folie réuni·es à Malibu, dans un lieu idéalement situé entre le studio d’enregistrement et le resort, qui transpire la moiteur et le farniente de l’été. Tous les sillons du disque, en particulier le morceau Anything for Love, s’en font l’écho.

Précédé par Houdini et Training Season, deux petits bijoux de dance-pop parfaitement ciselés, et tout récemment Illusion, où Dua modèle avec brio les contours de sa version du psychédélisme, Radical Optimism ouvre Dua Lipa à d’autres territoires, plus organiques mais aussi mainstream. Un bouquet de power-pop dansante et ensoleillée, où l’électronique et l’acoustique s’embrassent à qui mieux mieux, dans lequel les torch songs tonitruantes succèdent à des ballades plus intimes au piano, et à travers lequel Dua distille des clins d’œil au flamenco comme au funk psyché de Sly & The Family Stone. Un album qui devrait logiquement la propulser dans les étoiles.

Si vous aviez à décrire ce troisième album ?

Dua Lipa – C’est un nouvel univers musical qui s’ouvre à moi. Le son est plus organique, et plus honnête, je dirais. C’est aussi un disque plus mature, j’ai beaucoup évolué en tant qu’artiste et autrice-compositrice. Musicalement, il est très psychédélique, tout en abordant les thèmes de la persévérance et de la résilience. Le message principal est que, quand les choses ne se passent pas vraiment comme prévu, il faut continuer tout simplement à avancer.

C’est pour cette raison que vous l’avez appelé Radical Optimism ?

Je pense vraiment qu’aborder la vie de manière positive est essentiel. Fatalement, les gens vont vous décevoir. Certains événements de la vie, et tout ce qui se passe en ce moment dans le monde, tout ça est encore plus déprimant. Mais, il est primordial de cultiver une énergie positive, c’est tellement bénéfique pour la santé mentale et, surtout, ça aide à rester fort malgré l’adversité.

Cet “optimisme radical” correspond à un changement dans votre vie ?

Oui, mais tout simplement parce que j’ai grandi ! Traverser différentes étapes de son existence, aimer des gens, en quitter d’autres, et en prendre conscience, ce sont des expériences, bonnes ou mauvaises d’ailleurs, dont on ne peut que tirer des leçons.

Cet optimisme est doublé d’un sens de l’humour certain, à l’image de la pochette de l’album, qui vous voit dans l’eau, tout sourire, alors qu’un requin rôde à quelques centimètres.

En vérité, c’est quelque chose qui s’est produit totalement par accident alors que nous étions en train de tourner une vidéo, et notre réaction a été, avec toute l’équipe, de rester très calmes. Quand on a commencé à réfléchir sur la manière d’illustrer ce concept “d’optimisme radical” et sa signification, rester gracieuse et calme au milieu du chaos ou lorsque les choses ne se déroulent pas de la manière dont vous l’aviez envisagé, cette image s’est imposée. C’est la manière dont vous traversez le feu, pas le feu en lui-même, qui est le plus important. Moi, sereine dans des eaux dangereuses, reflète exactement ce qu’évoque l’album. 

C’est votre manière d’aborder la vie ?

J’aimerais penser que oui [rires].

Quand vous avez commencé à travailler sur cet album, vous saviez où vous vouliez arriver ?

La tonalité du disque s’est mise en place progressivement, je devais d’abord être dans un état d’esprit créatif. Quand je m’attelle à un nouveau disque, je travaille toujours selon le même principe, en me demandant de quelle manière je vais pouvoir repousser mes limites. Comment je vais pouvoir grandir avec ma musique ? Comment je peux évoluer et me transformer ? Tout en passant ces différentes interrogations à travers un filtre pop. Mon processus créatif prend toujours du temps pour se mettre en route. La vérité, c’est que j’ai passé plus d’une année à écrire et composer tous les jours, jusqu’à ce que j’arrive à un certain point d’équilibre. Illusion a été la première chanson où je me suis dit : “Je sais maintenant dans quelle direction je veux aller.”

Ce morceau semble indiquer une nouvelle étape de votre carrière ?

Oui, c’est nouveau pour moi, les influences, la touche “club”, sont bien là, c’est quelque chose que j’ai déjà expérimenté sur mes précédents disques, mais c’est aussi différent, les morceaux sont plus organiques. J’adore cette nouvelle direction, pour avoir passé énormément de temps en tournée en 2022, j’ai pris goût aux versions live de mes titres et je souhaitais apporter cette sensation et cette énergie dans mon nouvel album.

Comment avez-vous choisi les artistes qui collaborent à cet album ?

C’est un mélange d’amis et de personnes avec lesquelles je rêve de travailler depuis longtemps. Un mélange de gens très énergiques et avec de forts caractères. Il y a Caroline Ailin et Tobias Jesso Jr. avec qui j’ai déjà collaboré. Danny L Harle, que j’admire, était dans mon radar depuis un moment et quelqu’un nous a présenté lors d’une soirée en disant : “Tiens, je te présente Danny, il est consultant en rave.” Ce à quoi j’ai répondu : “Parfait, c’est exactement ce dont j’ai besoin pour mon nouvel album !”

C’est un job de rêve !

[Rires] Oui, un boulot parfait qui m’irait parfaitement d’ailleurs ! Et puis, il y avait aussi Kevin Parker avec qui je rêve de collaborer depuis de nombreuses années, parce que je suis fan number one de Tame Impala. On l’a contacté, il était partant, et le premier jour où on a commencé à répéter ensemble on a composé Illusion, le lendemain Happy for You, le jour d’après What You’re Doing. Cette semaine d’écriture a été si fructueuse qu’on s’est dit : “Vu que ça marche si bien et qu’on s’amuse autant, pourquoi ne pas continuer sur notre lancée et passer plus de temps ensemble ?”

“Nous étions en roue libre, on faisait de la musique, on expérimentait, on s’amusait, on allait là où la musique nous guidait”

Vous dites vouloir explorer la pop psychédélique avec cet album. Ça signifie quoi pour vous ?

C’est retrouver l’énergie, l’hédonisme et la liberté du “Summer of Love”. C’est comme si, après le choc provoqué par la pandémie, le monde se mettait à sortir dans la rue, se retrouvait et se rassemblait de nouveau. Un peu comme si un nouveau “Summer of Love” se préparait, non ? Une soudaine résurgence de toute cette énergie. Pour moi, le côté psychédélique de cet album tient surtout au fait qu’en studio et pendant les sessions d’enregistrement, nous étions en roue libre, on faisait de la musique, on expérimentait, on s’amusait, on allait là où la musique nous guidait, le tout sans formules préétablies. C’était une merveilleuse expérience, car rien n’était calculé, on lançait des pistes, des mélodies, en se disant, “soyons vraiment bizarres, et si le résultat est vraiment trop étrange, on fera demi-tour. Mais regardons d’abord où ça nous mène, jusqu’où l’on peut aller dans cette direction, comment repousser les limites au maximum…” Les idées naissaient spontanément, les mélodies étaient fortes et amusantes, ça a été un moment très fort.

C’est ce que j’appelle le dualipadelism. Est-ce que Kevin vous a aidée à finaliser ce mélange subtil entre dance, rave et pop psyché ?

Totalement, ce disque c’est la combinaison de Kevin, Danny et moi ensemble dans la même pièce. Certains jours, nous étions guidés par la production, une autre fois par une mélodie, d’autres, tout simplement par le mood du quotidien, comme sur le morceau Training Season. Je trouve que cet amalgame et ce mélange de tant d’énergies différentes, au final, ont façonné cette ambiance psychédélique et étrange. C’était beau de constater que nos univers propres et notre manière de composer de la musique se rejoignaient spontanément.

Votre musique est très axée club. À quel point danser est important pour vous ?

Déjà, j’adore sortir, danser et tout simplement bouger. Mais, j’aime aussi la danse comme forme d’expression, aussi pour l’état dans lequel ça me plonge, et cette sensation de communauté que permet la danse, ce langage universel, cette faculté à réunir des gens venant d’horizons différents. Je suis persuadée que nos corps expriment souvent mieux ce que l’on ressent que la parole. 

Qu’est-ce qui fait un bon morceau club selon vous ?

C’est une question difficile ! Il y en a tellement, dans tous les styles, du heavy metal à la danse. J’aime beaucoup World Is Empty de Skream, ce morceau qui sample les Supremes. Mais, je peux aussi danser sur du Jamiroquai, sur le Lady de Modjo ou les titres de The Blaze, que je trouve très entraînants. On peut mettre tellement de genres sous étiquette “dance” et ça dépend vraiment du moment et du contexte.

Vous avez déclaré vouloir retrouver l’énergie des raves anglaises des nineties. Comment expliquez-vous la nostalgie de cette époque que votre génération n’a pas connue ?

[Rires] Je ne pense pas que ce soit seulement un phénomène anglais. En France aussi, on sent ce besoin de sortir de nouveau, cette envie d’énergie. On a juste besoin de s’amuser parce qu’on travaille dur. J’aime cette dualité entre le travail et le droit de s’amuser comme une forme de libération.

Vous êtes très suivie par la communauté LGBTQ+, c’est important ?

Oui, définitivement. J’ai une plateforme d’expression et si je peux l’utiliser pour, d’une certaine manière, donner de la visibilité à des personnes qui en ont besoin, alors je peux me considérer comme une alliée de la communauté queer. Je crois au pouvoir d’exprimer les choses. Vu la manière dont les choses évoluent, il est important que quiconque se sente menacé et affecté par l’étroitesse d’esprit de certain·es puisse s’exprimer. Je leur offre un espace safe où ils et elles sont écouté·es, respecté·es et valorisé·es pour ce qu’ils et elles sont. C’est une manière de leur dire à quel point je suis reconnaissante du soutien qu’ils et elles m’apportent et que je veux leur redonner ce qu’ils et elles m’ont offert.

Vous entretenez une relation forte avec la France, qu’est-ce qui vous plaît dans le lifestyle frenchie ?

La gastronomie, le vin, la vie nocturne, la langue, j’adore tout ! Je n’ai que de bons souvenirs et notamment des concerts que j’ai donnés à Paris et en régions. Vous m’avez accueillie avec tant de gentillesse et d’amour que je suis d’une infinie reconnaissance envers mes fans français·es. J’ai une affinité particulière avec la France, mais aussi l’Europe. Je m’y sens chez moi en fait !

Propos recueillis par Patrick Thévenin

Radical Optimism (WEA). Sortie le 3 mai. En concert les 12 et 13 juin aux Arènes de Nîmes.

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