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Avec son nouveau film, Nicolas Philibert conclut de façon bouleversante son triptyque sur la psychiatrie

16 avril 2024 à 09:00

C’est le dernier et le plus court volet (mais avec le titre le plus long) du triptyque de Nicolas Philibert sur les gens (les malades ?) qui fréquentent le pôle psychiatrique Paris centre, après Sur l’Adamant et Averroès & Rosa Parks.

Résumons. Sur l’Adamant décrivait les moments de rencontre, de détente entre soignants, animateurs et patients sur un bateau amarré sur la Seine. C’est un lieu animé, vivant, un havre de paix, un but de promenade où les patients viennent faire société à l’écart de la dureté du monde extérieur. Averroès & Rosa Parks décrivait la vie, ou plutôt regardait et écoutait parler, s’exprimer, les psy(-chologues, -chiatres, infirmiers, les soignants, peu importe) et les gens hospitalisés dans deux départements psychiatriques du CHU de Saint-Maurice, au bord de la Marne. Leur souhait ou leur peur de sortir, de retourner dans la vraie vie, leurs angoisses si palpitantes et communicatives.

Cette fois-ci, dans La Machine à écrire et autres sources de tracas, qui conclue donc cette trilogie, Philibert s’intéresse à la vie quotidienne, aux “tracas” (quel beau mot) que sont les objets, les machines, les instruments, les outils, quand ceux-ci tombent en panne et qu’ils bouleversent sans le vouloir la vie de tout un chacun, mais surtout celle souvent très réglée, ritualisée, organisée obsessionnellement, par les personnes souffrant de maladies psychiatriques, pour qu’elles puissent vivre le mieux possible.

Patients filmés chez eux

Le film de Philibert suit les soigneurs-réparateurs, ceux qu’on surnomme l“orchestre”, Walid et Goulven, Linda ou Jérôme (ils se déplacent toujours par deux) chez ceux qui se trouvent avec un problème technique ou domestique et ont fait appel à leur aide. Cette fois-ci, nos amis patients sont filmés chez eux (ou du moins dans leur logement). Nous (les spectateurs des deux premiers films), reconnaissons rapidement les personnes croisées sur L’Adamant. Christophe le poète au catogan (il a écrit entre 8 000 et 9 000 poèmes), dont la machine à écrire antédiluvienne est tombée en panne (il tape tous ses poèmes après les avoir écrits à la main). Walid et Goulven n’ont jamais vu de machine à écrire de leur vie, mais ils vont la réparer, sans trop savoir comment, d’ailleurs.

Il y a aussi l’adorable Muriel, dont la sono est tombée en panne or elle adore la musique (qui fait du bruit). Elle taquine Philibert, qui refuse toujours un café ou un petit chocolat. On découvre aussi un jeune pianiste, Ivan, dont l’imprimante et le lecteur dvd sont tombés en rade, et son colocataire à la fois timide et curieux, Gad. Et puis Frédéric, vu sur L’Adamant, le graphiste au look de dandy rock, drôle et érudit, dont l’appartement est tellement plein qu’on ne peut plus y mettre un pied. Alors les soignants viennent l’aider à ranger, trier, jeter. Lui aime surtout parler…

L’autre comme bouée de sauvetage

La réparation, évidemment essentielle à leur confort, à leur équilibre, est aussi l’occasion pour eux de recevoir chez soi, de boire un café, de discuter, d’avoir une vie sociale. Vous les connaissez bien, ces gens seuls qui vont à la pharmacie pour acheter un médicament, une crème dont il n’ont pas forcément besoin, vous les reconnaissez parce que nous sommes capables de comprendre les autres comme nous-mêmes : ils vont en réalité à la pharmacie pour parler avec le pharmacien ou la pharmacienne, parce qu’ils savent qu’ils vont avoir une oreille attentive, et qu’ils vont pendant quelques minutes pouvoir parler à quelqu’un. Voilà à quoi fait penser ce magnifique dernier volet – d’apparence, mais d’apparence seulement – plus “low-profile” que les précédents : l’autre peut être un ennemi, certes, mais il peut aussi être une bouée de sauvetage. Une énorme bouée de sauvetage, qui vous sauve avec des mots, des sourires, des blagues, des bêtises, par sa seule présence.

Au terme de cette trilogie, sans doute faudrait-il rappeler que la psychiatrie va très mal en France depuis des décennies, qu’elle manque considérablement de moyens, et que c’est une catastrophe parce qu’il y a de plus en plus de malades dans nos sociétés avancées. Le triptyque de Philibert montre que pourtant, ça marche, la psychiatrie moderne. Oui, ça a des résultats patents. Puissent nos gouvernants le voir et en tirer les conclusions qui s’imposent.

La Machine à écrire et autres sources de tracas, de Nicolas Philibert, en salle le 17 avril.

Cannes 2024 : Nicolas Philibert présidera le jury de L’Œil d’or

22 mars 2024 à 10:58

Après l’Ours d’or, L’Œil d’or ! Nicolas Philibert avait en effet remporté la récompense suprême à la Berlinale en 2022 pour son documentaire Sur L’Adamant. Il est aujourd’hui nominé pour présider le jury de L’Œil d’or, une récompense cannoise créée en 2015 par la SCAM et dotée de 5 000 €, récompensant le meilleur documentaire du Festival de Cannes présenté en sélection officielle (compétition, Un Certain Regard, hors compétition, séances de minuit, séances spéciales, Cannes Classics).

Qui sera en lice ?

Il devra choisir qui succèdera à La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir et Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, vainqueurs ex æquo de l’édition précédente. Les autres membres du jury n’ont pas été révélés pour l’instant ni les films éligibles : le gros de la sélection sera révélé le 11 avril prochain.

En attendant, il est toujours possible de découvrir au cinéma Averroès et Rosa Parks de Nicolas Philibert, son nouveau documentaire immersif dans une unité psychiatrique hospitalière, sorti le 20 mars dernier.

“Averroès et Rosa Parks” : une immersion en psychiatrie qui secoue autant qu’elle émeut

17 mars 2024 à 07:00

Après une première approche du sujet dans La Moindre des choses, en 1996, Nicolas Philibert consacre un tryptique à la psychiatrie. Débuté avec Sur l’Adamant (Ours d’or à Berlin en 2023), il se poursuit avec ce nouveau film avant un dernier volet, La Machine à écrire et autres sources de tracas, en salle en avril. Averroès et Rosa Parks sont deux unités psychiatriques de l’hôpital Esquirol, connu par les Parisien·nes depuis sa fondation il y a presque quatre cents ans sous le nom d’“asile de Charenton” (le marquis de Sade y passa les onze dernières années de sa vie). Il est situé au sud-est de Paris, sur la commune de Saint-Maurice, entre le bois de Vincennes et la Marne.

Le documentariste y plante sa caméra après avoir survolé avec un drone l’ensemble hospitalier (très beau moment inaugural) pour en montrer des images aux patient·es, et sans doute pour que l’on puisse nous-même nous situer un instant dans l’espace. Le bois, l’eau, le ciel, donc. Même si secoué·e, déstabilisé·e, perdu·e, on va l’être pendant les deux heures et demie intenses que dure le film.

Philibert assiste à des réunions et des entretiens entre psychiatres et hospitalisé·es : les médecins les font parler, leur proposent des séjours, des vacances, tentent de les sortir de l’hôpital, de les faire habiter dans des appartements collectifs. On reconnaît certains visages déjà aperçus dans Sur l’Adamant. Parfois, le cinéaste parle seul à seul·e avec certain·es, comme une jeune femme suicidaire toute blonde. Le personnel soignant est étonnant, à l’écoute, ferme parfois. Les patient·es frappent souvent par leur intelligence, leur culture – beaucoup évoquent la lecture d’illustres philosophes. Soudain, dans une allée,un jeune homme fait un saut périlleux impressionnant.

Au début d’un entretien, on se dit : “Mais pourquoi est-il ou elle là ?”, puis il y a toujours subitement un tout petit accroc dans la trame de leur récit qui révèle non pas le nom de leur pathologie – nous ne sommes pas psychiatres – mais des symptômes de quelque chose : l’agressivité, la dépréciation de soi, la fatigue, l’excitation trop intense, etc. Et puis l’angoisse, si visible, à l’œil nu, sur la plupart des visages, et si communicative.

Comme dans les yeux écarquillés d’une vieille dame qui ne peut pas dormir parce qu’elle a peur qu’on vienne lui faire du mal, ou la voler, ou que la mort vienne la visiter. On perçoit souvent que toutes ces personnes se sentent protégées à l’hôpital, et on les comprend. Le monde extérieur les effraie un peu. Il n’y a ni pitié ni surplomb dans le regard que le documentariste porte sur ces gens. Mais de l’attention, de la curiosité, de l’interrogation. Nous avons le sentiment de participer tous·tes de la même humanité, que nous pourrions nous reconnaître dans certains de leurs maux, parce que c’est nous, c’est “du” nous tout cela, mais exacerbé. Dans le regard des résident·es d’Averroès et Rosa Parks, il y a une familiarité inquiétante. Le triptyque de Nicolas Philibert nous tend un miroir.

Averroès et Rosa Parks de Nicolas Philibert (Fr., 2024, 2 h 23). En salle le 20 mars.

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