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Hafsia Herzi : “J’aime la compétition et je n’aime pas perdre !”

18 avril 2024 à 08:01
Hafsa Herzi

Dix-sept ans déjà que la jeune manosquine, qui a grandi à Marseille, a débarqué sur les écrans et dans nos vies dans le splendide La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche. Depuis 2019, elle est passée derrière la caméra, et avec succès (Tu mérites un amour et Bonne Mère pour le cinéma, La cour pour Arte, beau téléfilm sur les années collège passé un peu trop inaperçu). Dans la vie, Hafsia Herzi cache sous ses grandes paupières (on a l’impression qu’elle regarde toujours au loin, vers l’avenir) une trentenaire énergique, volontaire, ambitieuse, passionnée de cinéma et de création. Démarrons cette interview avec Borgo, le beau film de Stéphane Demoustier qui sort le 17 avril, dans lequel elle joue le rôle d’une surveillante pénitentiaire.

Vous avez passé pas mal de temps en prison… dans votre carrière d’actrice (sourire). Dans Le Ravissement, vous y finissez, dans Borgo, vous êtes surveillante pénitentiaire…

Hafsia Herzi – Et dans le film d’Etienne Comar, À l’ombre des filles, j’étais une détenue, et même dans l’un de mes films, Bonne Mère, il y avait des scènes de prison ! Oui, oui ! À un moment donné, je me suis même dit : “Oh la la, j’espère que ça ne va pas me porter la poisse, parce que ça fait beaucoup de prison…” (rires) Avant de tourner, j’aime visiter les lieux, sur le terrain. Avant Bonne mère, j’étais allée en milieu carcéral, pour voir. Et pareil pour Borgo, puisque j’ai même animé des atelier cinéma pour les détenus. J’y ai beaucoup appris. J’ai aussi longuement parlé avec les surveillants pénitentiaires et avec une amie d’enfance qui l’est, elle aussi.

Comment cette surveillante pénitentiaire, Mélissa, le personnage que vous jouez dans Borgo, qui est à la fois une gardienne bienveillante et droite, sévère et juste, intelligente, se laisse-t-elle entraîner dans une mécanique mafieuse infernale, alors qu’elle connaît les pièges de son métier ?

Comme à chaque fois, j’ai essayé de me mettre à sa place. Et je crois que, parfois, on peut faire confiance à quelqu’un et se faire avoir. C’est tout. Elle a plus ou moins confiance dans un détenu, qu’elle a déjà connu dans une autre prison, et elle se laisse entraîner dans un piège. Nous en avons beaucoup discuté avec Stéphane Demoustier. Lors d’un débat avec le public, dans une avant-première, un spectateur a demandé si Mélissa savait qu’elle risquait d’entraîner la mort de certains personnages (je ne vais pas spoiler) et, à ma grande surprise, Stéphane a répondu “Oui”, alors qu’à moi il avait dit “Non” (rires). Ce que j’aime, dans le scénario de Borgo, c’est que Stéphane n’a pas essayé d’y glisser une histoire d’amour entre une gardienne et un détenu (celui qui tente de la charmer).

Vous préparez une adaptation du roman de Fatima Daas, La Petite dernière [prix du Premier roman des Inrockuptibles, en 2020] ?

Oui, c’est un projet qu’on m’a proposé il y a plus trois ans. Et comme je n’avais pas d’idée originale, je me suis dit pourquoi pas une adaptation, et j’ai accepté, aussi parce que le livre me plaisait, bien sûr. C’est un roman très destructuré donc il faut de l’imagination pour l’adapter (rires). J’ai beaucoup échangé avec l’auteure. Je suis très contente du scénario. Ensuite, je ne sais pas faire compliqué, alors ce sera une chronique.

Est-ce que le fait d’être devenue réalisatrice vous fait poser un autre regard sur le métier d’actrice ?

Oui. J’ai toujours été très concentrée sur les tournages, mais maintenant que je suis réalisatrice, je le suis encore plus, parce que je sais que chaque prise peut être utilisable, chaque son aussi. Parce que je sais qu’ensuite, parfois, au montage, on peut manquer de matière. Et que c’est dur de faire un film.

Depuis Le Ravissement, vous n’avez pas arrêté de travailler : vous avez quand même tourné avec Téchiné, Mazuy, réalisé un très beau téléfilm, tourné dans Borgo

C’est vraiment le hasard, vous savez. Franchement, Le Ravissement, ce n’était pas prévu, c’est arrivé un peu au dernier moment. J’avais tourné Borgo avant, et le film de Mazuy est un projet qui date de quatre ans. André [Téchiné], ça fait presque dix ans qu’il me dit qu’il voudrait que je travaille un jour pour lui… Donc c’est un alignement des planètes qui fait que j’ai enchainé les films. Ce sont de vieux projets qui se sont concrétisés au même moment.

Je vais vous dire une chose qui ne va pas forcément ressembler à un compliment, mais je trouve que quelque chose change peu à peu dans votre métier d’actrice : vous jouez de moins en moins. Votre présence fait que vous n’avez pas besoin de forcer les choses.

(sourire) Merci. Ensuite, la mise en scène m’a appris qu’on voit tout à l’image. J’essaye davantage de ressentir les choses que d’être dans la représentation. C’est ce qui me plaît. Cela peut paraitre bizarre, psychologiquement, mais j’aime vraiment vivre les sentiments des personnages, oublier la caméra, incarner l’émotion, me laisser transporter par la scène, me couper du monde.

Après, vous avez été formée à bonne école. Votre premier film, c’est La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche, vous aviez 20 ans.

C’est sûr, avec Kechiche, avec d’autres.. Avec Téchiné aussi : alors, lui, on ne peut pas la lui faire à l’envers ! (sourire) Il ne faut rien rajouter. Il laisse jouer, mais il est dans le détail. Il est précis.

Quand on revoit vos trois films en tant que cinéaste, il semble que vous vous ouvrez sur le monde à travers le cinéma. Il y a beaucoup de scènes en chambre dans Tu mérites un amour, beaucoup de scènes en appartement dans Bonne Mère et, dans La cour, beaucoup de plans généraux en extérieur : vous élargissez vos plans de plus en plus.

C’est vrai. Ensuite, j’avais tourné à l’arrache. Faire des gros plans permet aussi de cacher qu’on n’a rien (rires). Mais en réalité, j’adore les gros plans : les imperfections de peau, tout, j’adore. C’est tellement émouvant ! J’aime bien les plans larges aussi, mais ça demande plus de moyens, une belle lumière naturelle, un truc visuellement fort. Cela veut dire beaucoup repérer, se lever à quatre heures du matin pour avoir la bonne lumière, avoir des moyens financiers aussi. J’aime les plans larges, mais pas quand les gens discutent, ça me semble du gâchis.

Ça parle beaucoup, chez vous.

Oui, j’adore. Marseille, Pagnol ! (rires). J’adore quand ça parle pour rien. Je l’ai déjà dit plusieurs fois mais je le répète, j’adore la trilogie de Pagnol, tous ses films. Je les conseille à tout le monde. C’est sublime, c’est sincère, on peut tous s’identifier à ses personnages ! Et ces mots. Ces mots dont parfois on pourrait dire qu’ils ne servent à rien, que c’est trop explicatif, etc., mais c’est ça que j’aime. On dirait que c’est carré et en même temps que ça ne l’est pas, que c’est improvisé, et en fait non. Les mots ! J’ai trop entendu dans les commissions d’aide au cinéma : ça parle trop, on s’en fiche. Mais j’aime quand on s’en fiche, moi !

On a souvent dit que la fameuse partie de cartes de Marius avait failli être coupée parce qu’elle n’apporte rien au récit. Et c’est vrai : elle n’a aucune utilité narrative, elle ne sert à rien. Et pourtant c’est une scène d’anthologie, que tout le monde connaît et aime.

Pour moi, il n’y a pas de règle, en fait, au cinéma. Ce qui importe, c’est ce qu’on voit à l’image. J’adore Raimu, Orane Demazis, etc. Ils sont sublimes ! Raimu, dans La Femme du boulanger, on dirait qu’il ne joue pas. C’est un style. Il y avait ça, dans mon personnage de La Graine et le Mulet. Mon personnage en faisait trop parfois, elle tchatchait beaucoup, elle avait du bagout, elle engueulait son père. Et Abdellatif jubilait sur le tournage, il me disait : “À la marseillaise !” “Je fais quoi, là, Abdel ?” “À la marseillaise !” (rires)

Est-ce que vous croyez que Mektoub, my love : intermezzo, de Kechiche, justement, dans lequel vous jouiez le rôle de la tante du personnage principal, sortira un jour en salles ?

J’espère. Je ne sais même pas si je vais me reconnaître dans le film, tellement ça fait longtemps (rires). Je crois qu’Abdellatif a fait un seul film avec Intermezzo et le troisième volet, qu’on a tourné, mais qui n’a jamais été montré. Mais quelle mise en scène ! C’est un grand cinéaste. Il a tout le temps des idées, des projets.

Vous tournez avec combien de caméras, vous ?

Ah, toujours deux, sinon je ne tourne pas (je parle de mes propres films). Si je ne tourne pas avec deux caméras, je ne peux pas montrer la vérité, parce que je ne peux pas monter dans la même prise. Je déteste les champs/contrechamps fabriqués. Un jour, je l’ai dit à un metteur en scène qui tournait avec une seule caméra : “Pourquoi tu n’en prends pas plutôt une deuxième ?” Il m’a répondu : “Oui, mais ça coûte cher.” Et franchement, ça ne coûte pas tellement plus cher. Franchement, je ne comprends pas qu’on filme à une caméra ! (rires) On gagne tellement de temps ! Pour capter l’émotion, un fou rire, c’est du bonus !

Et Kechiche, il tourne avec deux ou trois caméras, lui ?

Oh là ! Parfois dix, voire plus ! Il y avait des caméras partout sur Mektoub, même cachées, parfois, dans les murs (rires) ! Après, au montage, il a des carrés partout, comme à la télé, je ne sais même pas comment il fait ! À l’époque de La Graine et le Mulet, il n’y en avait que deux.

Que pensez-vous de #MeToo ?

Franchement, ça existe depuis la nuit des temps, et ce dans tous les métiers, pas que dans le milieu du cinéma. Mais forcément, comme c’est le cinéma, ça fait plus de bruit. C’est bien que la parole se libère et que les gens comprennent qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut. Moi, en 2010, je me suis fait agresser verbalement par une actrice sur un tournage. Violemment. Je suis allée en parler à la production et ils m’ont dit : “C’est rien, ça va passer, ne la contrarie pas, ne dis rien.” Personne n’a pris ma parole en compte alors qu’elle m’avait dit des mots horribles. J’étais jeune, plus vulnérable. C’était lourd. En public, du harcèlement moral horrible. Et je pense qu’aujourd’hui, ça ne pourrait plus arriver, et c’est tant mieux. Ensuite, je n’ai jamais eu de problème avec des acteurs hommes, mais maintenant il y a sur les tournages des coordinateurs d’intimité plus ou moins imposés. Et je trouve ça bien pour tout le monde. Un acteur ne peut pas s’abandonner complètement s’il n’est pas en confiance.

C’est important, pour vous, les prix (vous en avez remporté pas mal) ?

Ah oui, ça change la vie d’un film. J’aime beaucoup la compétition. J’aime bien gagner – ensuite, qui aime perdre ? -, surtout en tant que réalisatrice.

On ne dirait pas, comme ça, quand on voit vos grandes paupières qui vous donnent un air si doux

Vous voulez dire endormie, nonchalante ?

Non, non, rêveuse. Mais on peut être rêveuse et aimer la compétition !

Pour Bonne mère, on a eu un prix à Cannes [le Prix d’Ensemble dans la sélection Un certain regard, ndlr], j’étais contente mais énervée de ne pas avoir reçu le grand prix Un Certain regard ! (rires) J’adorerais trop concourir pour la Palme d’or ! Je n’aime pas perdre. Je ne suis pas mauvaise perdante, mais bon… J’ai un côté sportive qui aime les défis !

Borgo, de Stéphane Demoustier, avec Hafsia Herzi et Moussa Mansaly, en salle le 17 avril

“Borgo” : Hafsia Herzi insaisissable dans un thriller carcéral passionnant

15 avril 2024 à 06:00

C’est une prison bien étrange, et pour cause. L’unité 2 du centre pénitentiaire corse de Borgo fonctionne à régime ouvert. Pendant toute la durée du jour, les portes des cellules sont laissées béantes et les prisonniers – tous des hommes corses – sont libres de circuler de pièce en pièce. Dès les premières minutes, la mise en scène de Stéphane Demoustier renverse l’idée du champ panoptique rendu possible par le fonctionnement carcéral.

La domination par le regard n’est plus monopolisée par le gardien qui épie à travers l’œilleton d’une cellule. Cette surveillance est désormais partagée. Ou plus que ça : “Ici, ce sont les détenus qui surveillent les gardiens et non l’inverse”, avouera la directrice du centre à Mélissa (Hafsia Herzi), une jeune surveillante fraîchement arrivée de Paris.

Hitchcockien par excellence, ce renversement du voyeur ou de la voyeuse devenu·e objet du regard, et donc potentiellement en danger, va lancer avec force toute la matière de thriller de Borgo. Regardée, surveillée en permanence, Mélissa se transforme en grande sœur autoritaire mais empathique qui décide de prendre soin des détenus (elle rigole avec eux, leur fait passer des cigarettes).

Le trouble s’installe à l’image et complexifie le rapport de force : la surveillante souhaite-t-elle simplement instaurer une certaine humanité dans son travail ou veut-elle faciliter son intégration ? Alors que son implication criminelle se concrétise, cette question va progressivement glisser vers une autre : est-elle l’objet d’une instrumentalisation ou complice ?

À chaque image, Borgo accepte d’être devant ce mystère qu’il n’arrive pas à percer. Son autre merveilleux mystère, c’est Hafsia Herzi qui, quelques mois après Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, prolonge un motif passionnant sur le mensonge. Dans les deux films, ses protagonistes se projettent dans la vie de quelqu’un d’autre et bientôt vont croire à leur propre mythomanie. Tout en contrepoint et contradiction, le personnage herzien est si insaisissable que l’on ne sait jamais si le mensonge qu’il emmène est subi ou s’il a une véritable jouissance à le porter.

L’instruction judiciaire, dont on suivra par intermittence le point de vue, se retrouve face à l’abyme. Les deux inspecteurs (Michel Fau et Pablo Pauly) auront beau récolter une multitude d’angles de caméra de sécurité (le film résume son enquête à un huis clos fondé sur l’analyse d’images de surveillance), le mystère restera non résolu. Et même lorsque les deux enquêteurs passeront des vidéos au réel lors d’un interrogatoire, ils n’arriveront pas à faire parler Mélissa. Car que peut-on faire dire à un mensonge qui dit la vérité ?

 

Borgo de Stéphane Demoustier, avec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Florence Loiret Caille (Fr., 2023, 1 h 58). En salle le 17 avril.

Hafsia Herzi : “Ce n’est pas avec moi qu’on s’amuse le plus en soirée”

14 avril 2024 à 17:00
Hafsa Herzi

Tu joues une surveillante de prison dans Borgo. Si tu devais effectuer un séjour derrière les barreaux, tu emmènerais quel livre avec toi ? 

Une vie de Maupassant, parce que c’est un assez gros livre, que ça m’occuperait un moment et que j’aurais même du plaisir à le relire.

Un ou une acteur·rice avec qui tu aimerais travailler…

Denzel Washington, mais il faudrait un traducteur parce que mon anglais n’est pas top.

Le dernier film qui t’a émue ? 

Les filles d’Olfa, c’est magnifique : dès les premières secondes j’ai été touchée.

De qui es-tu fan ? 

De ma mère.

La chanson qui te met de bonne humeur ?

J’adore la chanson française. Je dirais Ce n’est rien de Julien Clerc.

La dernière fois que tu t’es dit “plus jamais” ? 

J’ai essayé de faire un film de commande pour Arte. J’ai adoré mais plus jamais parce que c’est trop compliqué et il y a trop d’interlocuteurs. J’ai besoin de plus de liberté.

Ce qui te fait te sentir en sécurité ?

La santé, la mienne et celle de mes proches.

Une odeur de ton enfance ? 

Celle des madeleines de mère.

À quoi te servirait une machine à voyager dans le temps ? 

À revivre mon enfance pour avoir des souvenirs plus clairs. Avec l’âge, on ne fait plus la différence entre souvenir, rêve et imaginaire. Ça me permettrait de clarifier tout ça.

Une soirée réussie, ça tient à quoi ? 

À s’amuser avec modération. J’ai toujours été tranquille. Clairement ce n’est pas avec moi qu’on s’amuse le plus en soirée. J’ai du mal avec l’état d’ébriété des gens la nuit.

Si tu ne devais n’emporter qu’une photographie en partant de chez toi, ce serait laquelle ? 

La photo de mon fils. D’ailleurs il faut que je vous laisse, il réclame son jus d’orange.

Borgo de Stéphane Demoustier (Fr., 2023, 1h58). En salle le 17 avril. 

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