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Mdou Moctar enflamme le rock touareg sur “Funeral for Justice” 

30 avril 2024 à 06:00

Dans un récent portrait pour Pitchfork, Mdou Moctar se confiait sur son art de la protest song : “Quand on veut envoyer un message politique, on a besoin de quelque chose de lourd, fort, rapide et fou – que tu ressentes l’urgence. C’est la même chose quand tu entends la sirène d’une ambulance. La guitare doit faire le même son de taré.”

Pour ce fan de Van Halen jamais en reste pour s’emparer des questions géopolitiques qui concernent le Niger, tout son rapport à la musique semble contenu dans cette citation : la tentation psychédélique dans la comparaison avec une entêtante sirène d’alerte, son rapport vigoureux à la guitare, son engagement politique, notamment anticolonialiste.

Une leçon d’activisme

Si le patchwork d’Afrique victime (Mdou Moctar n’est pas fan des enregistrements en studio), son précédent album, avait des allures d’aboutissement artistique, Funeral for Justice persiste dans l’engagement électrique et le renouvellement du rock touareg. Un alliage détonnant pour confronter la France (et autres “occupants”) aux conséquences de son interventionnisme colonial. Une leçon d’activisme, aussi bien sur le fond que dans la forme.

Funeral for Justice (Matador/Wagram). Sortie le 3 mai. En concert au Petit Bain, Paris, le 25 août.

“Big Bang Puzzle”, le premier album patchwork nostalgique de Nit

26 avril 2024 à 16:54

À l’instar de son comparse Ricky Hollywood – avec qui il a partagé la scène lors d’une tournée de Juliette Armanet – et de bon nombre de musicien·nes de studio, Corentin Kerdraon se distingue par une certaine idée de l’érudition musicale.

Une sorte de curiosité qui aurait muté en désir urgent de (re)créer, de toucher à tout et son contraire, de mettre la main à la pâte, et de mélanger des esthétiques en apparence irréconciliables : la variété chic de Juliette Armanet donc, mais aussi la réinvention de Sébastien Tellier en crooner G-funk et les protest songs soul aux côtés du regretté Cola Boyy.

Puzzle pop

Après une première collection de morceaux balnéaires en 2017 (Les Dessous de plages) et un addictif Megamix en forme d’exercice de style pour quatre morceaux du dernier album en date de Juliette Armanet, Nit a trouvé le titre idoine de son premier album, le bien nommé Big Bang Puzzle. Une idée toute simple qui dit à la perfection la multiplicité de ses influences et de ses obsessions musicales et le casse-tête que suppose leur assemblage : jouer, c’est du travail.

C’est donc à nous qu’incombe la responsabilité de remonter le fleuve des influences de Corentin Kerdraon, d’assembler les pièces de ce puzzle qui convoque aussi bien le Norvégien Todd Terje (Pazzo, Zoom!), la french house filtrée (Looney Tune), l’ambient (Haut), Philip Glass (Bas), l’hédonisme de la soul des années 1990 (Autostop avec David Numwami, Drawn To Me), la bande originale du Professionnel d’Ennio Morricone (Acid Arizona). Un jeu de pistes référentiel convoquant les spectres d’une époque pré-bug de l’an 2000, une entreprise qui prend tout son sens à mesure qu’elle se dévoile : émuler et réactiver une nouvelle fois les mêmes sentiments euphoriques et nostalgiques au cœur de toutes ces musiques elles-mêmes hautement référentielles.

Big Bang Puzzle (Record Makers). Sortie le 26 avril.

 “Juste un peu de ciel” : AnNie .Adaa chamboule les codes de la musique urbaine

18 avril 2024 à 06:00

Ces dernières années, une partie non négligeable du rap français s’est trouvé une nouvelle marotte : la course à l’originalité. Malgré de nombreux coups d’éclat essaimant dans le paysage rap, un certain nombre d’artistes se sont déjà heurté·es à un mur – beaucoup sont originaux·ales de la même manière.

Dans ce fourre-tout, AnNie .Adaa fait figure d’exception. Alors membre de HPA Mob (aux côtés de Wallace Cleaver notamment), il publie en 2022 un premier album, Qu’aujourd’hui ne meure jamais, qui n’a rien du coup d’essai. Expérimental sans se noyer dans les expérimentations, le rappeur y présente déjà une forme définitive de sa musique.

Une quête de liberté et de singularité

Avec Juste un peu de ciel, son deuxième album, AnNie .Adaa hisse encore plus haut son rap infusé de la spiritualité du rap UK et des rythmiques de la bass music d’outre-Manche, de l’approche bruitiste de l’abstract hip-hop ou de surgissements rock indé (il revendique l’influence de James Blake, Kanye West ou Radiohead).

À l’instar de son nom de scène associant le nom de sa grand-mère et l’acronyme de “All dogs are allowed”, AnNie .Adaa déploie cette maestria technique au service d’un rap en clair-obscur saisissant. Une quête de liberté faisant basculer l’artiste dans une autre dimension : plus qu’un rappeur original, AnNie .Adaa est un rappeur singulier.

Juste un peu de ciel (Marlaa/PIAS). Sortie le 18 avril.

“World of Work”, la pop funambule de Clarissa Connelly

12 avril 2024 à 09:01

À l’instar de Desire, I Want to Turn Into You de Caroline Polachek – que nous consacrions tout en haut de notre classement des meilleurs albums de 2023 –, tout sur World of Work, le troisième effort de Clarissa Connelly, travaille les idées du désir et de la vitalité dans leurs rapports au réel. Et du rôle de la musique dans ceux-ci.

Les comparaisons entre la New-Yorkaise et l’Écossaise installée au Danemark ne s’arrêtent évidemment pas là (technique vocale d’outre-cieux, rénovation de motifs musicaux immémoriaux), mais cela ne saurait rendre honneur à ce grand œuvre à la curieuse pochette qu’est World of Work.

D’ores et déjà un album somme pour Clarissa Connelly, qui travaille sans relâche son fatras référentiel de traditions musicales celtiques et nordiques ou de philosophies héritées de Georges Bataille ou d’Hildegarde de Bingen (si l’on en croit le communiqué de presse qui accompagne le disque) pour faire advenir une pop moderne et réparatrice.

Une songwriteuse précieuse

En résulte ce disque d’une sensuelle étrangeté : sorte d’enregistrement HD d’un lointain passé ou de version intello du bardcore, ce genre viral consistant à passer à la moulinette médiévale des morceaux de pop contemporaine.

Comme ce single, Wee Rosebud, qui nous avait sidérés en ouverture du concert de Clarissa Connelly au festival Eurosonic, ou ces guitares électro-acoustiques qu’on jurerait enregistrées en MIDI (Tenderfoot, Crucifer), tout confère une qualité alien à ce disque. La création d’un espace-temps propice à l’exaltation sous toutes ses formes (intime, sacrée), un moyen de se soustraire au monde sans jamais l’oublier vraiment, un exercice de pop funambule qui installe Clarissa Connelly comme une songwriteuse précieuse.

World of Work (Warp Records/Kuroneko). Sortie le 12 avril. 
En concert le 25 juin à la Cité de la musique, dans le cadre du festival Days Off.

UTO, un duo frenchy à la recherche de la pop du futur

9 avril 2024 à 06:00

Il est de ces artistes qui construisent patiemment et méticuleusement un son, une mythologie, sur une série d’albums qui s’envisagerait comme un tout cohérent, un grand canevas autoréférentiel. Avec son deuxième album, le duo parisien, formé par Émile Laroche et Neysa May Barnett, affirme qu’il sera tout l’inverse : des apôtres de la tabula rasa, de fervent·es défenseur·ses de la politique de la terre brûlée.

Il fallait s’y attendre. Sur la pochette de Touch the Lock, leur précédent disque, UTO figurait déjà, à coups de masse, la concaténation des idées musicales autant que la destruction des attentes. Une manière pour les auteur·rices de The Beast d’affirmer qu’il·elles ne seraient pas de gentil·les rénovateur·rices dream house et post-dubstep (That Itch sonnait comme du James Blake première période) mais bien des abatteur·ses de cloisons entre les genres.

Une maestria proche de celle de Jockstrap

Coup double donc avec ce second album qui, met en scène leurs avatars générés par intelligence artificielle : projeté·es dans ces nouveaux corps, il·elles façonnent une nouvelle musique en réalité augmentée. Charriant la même folle inventivité pop que celle du premier album de Superorganism, le breakbeat 90’s ou la rénovation de la folktronica avec une maestria pas si éloignée des voisin·es anglais·es de Jockstrap, la musique d’UTO est toujours l’une des plus passionnantes de notre territoire.

When All You Want to Do Is Be the Fire Part of Fire (InFiné/Bigwax). Sortie le 12 avril. En concert au Petit Bain, Paris, le 17 avril.

Découvrez la pop du futur, elle est signée Fabiana Palladino

4 avril 2024 à 08:00

Pour qui surveillait avec une rigueur monastique, sinon fanatique, les moindres faits et gestes de l’éminence grise de la pop anglaise Jai Paul – depuis son évaporation de la scène UK en 2012 après une sombre histoire de leak d’album –, la création de son label Paul Institute en 2016 avait de quoi exciter. Entre son frère A. K. Paul et Ruthven, un nom s’était rapidement détaché sur les bancs de cet institut d’un genre nouveau : Fabiana Palladino.

En bon·ne profane, on découvrait alors le travail de la fille de Pino Palladino (ancien bassiste pour D’Angelo ou Nine Inch Nails) et son CV long comme le bras de productrice et multi-instrumentiste aperçue chez Jessie Ware, SBTRKT ou encore Sampha par l’intermédiaire d’un premier single porteur d’immenses promesses, Mystery. Viendront ensuite, distillés au compte-gouttes, le sublime Shimmer et l’idoine Waiting, qui figure l’attente de six ans séparant les premiers morceaux de Fabiana Palladino de son rutilant premier album portant son nom.

Des évidences mélodiques à la production érudite

Rutilant au sens littéral, puisque tout dans la production de ce premier long format publié chez Paul Institute scintille, miroite, réfléchit, réverbère, dans une tentative d’émuler (avec talent mais à moindre coût) le son de la pop papier glacé à budget illimité des années 1990.

De littéralité, il est d’ailleurs question sur Fabiana Palladino. L’influence prégnante de Janet Jackson (notamment les morceaux d’ouverture Closer et Can You Look in the Mirror?) ? Elle s’en réclame en interview. La pop addictive des Spice Girls ? C’étaient ses premières amours malgré l’influence de ses parents.

Un exercice de style sidérant de maîtrise qui ne tourne pourtant jamais à vide

En résulte un disque où l’érudition de son travail de productrice le dispute à l’attachante lisibilité de ses intentions. Un exercice de style sidérant de maîtrise qui ne tourne pourtant jamais à vide grâce à ses évidences mélodiques dignes de Kate Bush (une autre influence) ou Prince, mais surtout à cette production qui parvient à subvertir les tropes communs et conservateurs de ce genre d’entreprise rétrofuturiste.

Une qualité partagée par les meilleur·es producteur·rices depuis les années 1990 de Pharrell à Rosalía en passant par Björk et, de manière évidente, Jai Paul, qui comme elle font toujours pencher la balance vers le futur.

Fabiana Palladino (Paul Institute/XL Recordings/Wagram). Sortie le 5 avril.

Bonnie Banane explose tous les codes sur son (très attendu) nouvel album

1 avril 2024 à 10:00

“Fuck you!” Ça pourrait être un lieu commun tant la formule rabâchée à l’envi dans le cinéma de Martin Scorsese – et dans l’intégralité du monde anglophone – a presque été vidée de sa substance, pourtant c’est l’expression qui dépeint le mieux le second disque de Bonnie Banane, qui tente de lui rendre tout ou partie de sa charge subversive.

À ce titre, le choix d’envoyer le surexcité Franchement, et son “Fuck Valeurs Actuelles conclusif, en single de son tant attendu nouvel album n’a rien d’anodin. Car en plus de charrier l’inventivité musicale hors cadre de Catherine Ringer ou de Brigitte Fontaine, elle poursuit sur Nini l’engagement social porté avec vigueur par la seconde.

Un grand album de musique libre

“Fuck Valeurs Actuelles donc, mais aussi fuck sans détours les Red Flags, les fachos, les climatosceptiques, les goujats, dans un exercice tout en points de tension où la matière poétique des chansons est constamment prise à la gorge par le surgissement du réel (et comment lui échapper).

Comme quand Brigitte Fontaine étrillait le patriarcat dans les années 1970, la chanson sur Nini est autant un lieu d’émancipation qu’une zone de conflits. C’est même une leçon d’entendre Bonnie Banane sur cette collection de morceaux-fleuves produits par ses soins (épaulée par Monomite, Janoya, Sabrina Bellaouel ou Félix Petit) et qu’elle seule semble apprivoiser pour tirer le meilleur de cette ambivalence.

“Je t’aime quelque part là où les autres nous épargnent, quelque part je t’aime dans un autre système”

En témoigne l’ultime Joie intense, tristesse profonde qui cristallise à merveille cette tension et Hoes of Na, morceau qui décline les positions de yoga sur une production volcanique qu’on imaginerait mieux sur un album de Black Midi que sur une compilation de muzak new age : “Je t’aime quelque part là où les autres nous épargnent, quelque part je t’aime dans un autre système” (sans préciser s’il est solaire ou social).

Un grand album de musique libre, flottant dans un éther propre à elle, où l’affranchissement (des tendances comme des normes) passe par un combat frontal que l’on qualifierait aisément de based.

Ce mot, popularisé sous l’impulsion du rappeur ultra-prolifique Lil B “The Basedgod”, désigne une personne qu’on admire pour son courage de s’exprimer dans toute son originalité sans tenir compte de ce que les autres pourraient en penser. Bonnie B “The Basedgoddess”.

Nini (Péché Mignon & Grand Musique Management/Modulor). Sortie le 5 avril. En concert au Trianon, Paris, le 15 mai et à l’Olympia, Paris, le 1er décembre.

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