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Peut-on faire du postpunk minimaliste ? La réponse éclatante de Bibi Club

Protagonistes de la communauté musicale indépendante de Montréal, la chanteuse et claviériste Adèle Trottier-Rivard et le guitariste Nicolas Basque forment depuis 2015 un couple à la ville comme à la scène. Amorcé en 2016, leur projet répondant au doux nom de Bibi Club les amène à faire ensemble “de la party music de salon”, pour citer le court texte de présentation figurant sur leur page Bandcamp.

Tout à fait fidèle à ce descriptif, l’EP Bibi Club, paru au printemps 2019, marque l’acte de naissance officiel du groupe. Il contient quatre chansons empreintes d’une fraîcheur pétulante, simples et directes, dans un style do it yourself, oscillant entre electro-pop diaphane et postpunk minimaliste. Brut, sans rien de superflu, le charme opère – et emporte – instantanément, en particulier sur Jean René, la seule des quatre en anglais, cavalcade de poche au crescendo irrésistible.

On pense à Beach House et à une plage abandonnée

Délivrant huit morceaux, dont un long et absorbant instrumental atmosphérique (Bellini), leur premier album Le Soleil et la Mer, judicieusement sorti durant l’été 2022, s’inscrit dans la même veine avec une accentuation un peu plus rêveuse. Tout en grâce légère et en mélancolie diffuse, il semble flotter à travers une plage abandonnée, lentement happée par le crépuscule, où l’on croise notamment les ombres de Brigitte Bardot, Claudine Longet et Beach House.

Au cœur de ce printemps 2024, Bibi Club franchit à présent le cap du deuxième disque avec Feu de garde. On peut y découvrir onze nouvelles chansons, en grande majorité en français. Très imagées, les paroles cultivent un lien étroit avec la nature et les éléments. Toutes deux parcourues de frémissements ardents, La Terre – ode doucement hallucinée à la nature – et Le Feu – brûlante échappée au bout de la nuit – en offrent deux superbes illustrations.

Divers éclats poétiques surgissent ailleurs. “Tes yeux noirs sont un lac infini”, attrape-t-on par exemple sur L’Île aux bleuets, trépidante déclaration d’amour fou. Quant à la musique, toujours aussi richement économe, elle se révèle plus nerveuse que sur Le Soleil et la Mer, donnant davantage d’importance dynamique à la guitare. Évoquant souvent de précieux trésors du rock indé britannique (Young Marble Giants, Marine Girls, Virginia Astley…), ce disque cristallin compte d’ores et déjà parmi nos favoris de 2024. ♦ Jérôme Provençal

Feu de garde (Secret City/Modulor). Sortie le 10 mai. En concert au Popup du Label, Paris, le 6 juin.

Avec “Spell Blanket – Collected Demos 2006-2009”, Broadcast révèle de luxuriantes archives

30 avril 2024 à 13:48

Explorant une (strato)sphère kaléidoscopique entre musique électronique et pop psychédélique, Broadcast – formation originaire de Birmingham, copilotée par Trish Keenan (chant, guitare, claviers) et James Cargill (basse) – a émis ses premiers signaux sonores en 1996 et vite affirmé une scintillante singularité, de plus en plus expérimentale. Las, cette belle aventure a pris fin prématurément – et tragiquement – suite à la mort de Trish Keenan en 2011 (elle n’avait que 42 ans).

Une discographie infinie

Déjà riche, à ce moment-là, de quatre albums studio, de deux compilations et de plusieurs EP/singles, la discographie du groupe s’est encore bien étoffée depuis. Outre la bande originale du film Berberian Sound Studio, sortie en 2013, trois recueils de raretés diverses – Maida Vale Sessions, Microtronics – Volumes 1 & 2 et Mother Is the Milky Way – ont ainsi été publiés en 2022 par Warp, leur maison mère. L’année 2024 va être marquée par deux nouvelles parutions, à quatre mois d’intervalle. Intitulée Spell Blanket – Collected Demos 2006-2009, la première arrive au cœur du printemps. Elle rassemble 36 morceaux (ou embryons de morceaux, une dizaine d’entre eux durant moins d’une minute), enregistrés sur magnétophone 4-pistes ou sur MiniDisc par Trish Keenan, entre 2006 et 2009.

On y trouve, pour commencer, une esquisse programmatique (The Song Before the Song Comes Out), chantonnée en marchant. On y rencontre ensuite notamment une myriade d’entêtantes ballades acid-folk (Mother Play Game, Infant Girl, Hairpin Memories, Tunnel View, Petal Alphabet, Fatherly Veil, Colour in the Numbers), de courts instrumentaux répétitifs (My Marble Eye, Dream Power, Call Sign), une pastille psyché-pop (Hip Bone to Hip Bone), une complainte minimaliste (Heartbeat), un obsédant morceau de rock caverneux (Running Back to Me), un parfait tube krautpop (The Games You Play), une crépitante comptine electro (A Little Light), une profonde incantation a cappella (My Body) et – last but not least – plusieurs bulles lumineuses de pop rêveuse (Follow the Light, I Want to Be Fine, Puzzle, Join in Together, Spirit House).

D’une qualité globale élevée, l’ensemble gravite dans la même orbite miroitante que Broadcast and the Focus Group Investigate Witch Cults of the Radio Age (2009), leur quatrième album – réalisé avec The Focus Group (faux groupe se résumant au seul musicien John House) et composé de 23 morceaux disparates. Donnant à imaginer ce qu’aurait pu être le cinquième album de Broadcast, ces 36 inédits exhumés témoignent en outre de la fertilité créatrice de Trish Keenan. Reste maintenant encore à découvrir Distant Call – Collected Demos 2000-2006, qui doit paraître le 27 septembre prochain et mettre un point final à la discographie du groupe.

Spell Blanket – Collected Demos 2006-2009 (Warp/Kuroneko). Sortie le 3 mai 2024.

Avec “Our Decisions”, Frustration suscite une totale exaltation

27 mars 2024 à 09:48

Engagé dans le combat rock depuis le tout début des années 2000, vite devenu un représentant emblématique du label Born Bad, Frustration entretient la flamme du post-punk, sur son versant le plus nerveux et ombrageux (tendance Wire/Joy Division), avec une indéfectible ténacité. Si ses cinq membres actuels – Fabrice Gilbert (chant), Nicus Duteil (guitare), Fred Campo (synthé), Pat Dambrine (basse), Mark Adolf (batterie) – ne sont plus exactement des perdreaux de l’année, ils ne donnent pourtant pas le moindre signe d’usure. Survenant à l’orée du printemps 2024, leur sixième album, Our Decisions, riche de dix morceaux, en offre une preuve (dé)flagrante.

Une fièvre inextinguible

Dès l’introductif Path of Extinction, ra(va)geur brûlot au gazouillant démarrage trompeur, le groupe francilien apparaît à son meilleur, soudé et ulcéré comme au premier jour, clamant l’urgence de réagir face à un monde en voie de disparition – un monde que la pochette, dessinée par le fidèle acolyte graphique Baldo, représente sous la forme d’une décharge géante, ensevelie sous le plastique…

D’une intensité supérieure au précédent (So Cold Streams), l’album propage cette fièvre vindicative du début à la fin et s’achève avec un éblouissant psaume électrique (Secular Prayer), comme un ultime feu d’artifice cathartique. Ô combien éloquente, la voix de Fabrice Gilbert, aux secouantes modulations expressives, se dresse tout du long sur des compositions pareilles pour la plupart à des barricades sonores conjuguant guitare stridente, synthé convulsif et section rythmique intraitable.

Le frénétique State of Alert renverse tout sur son passage en balançant des crachats bilieux à la Mark E. Smith, les deux fracassants morceaux en français (Omerta et Consumés) évoquent Bérurier Noir sous amphétamines, le très new-wave Riptide sonne (presque) comme un inédit furieux de Tears for Fears, le tubesque Pawns on the Game fait planer le spectre de Ian Curtis et l’obsédant Catching Your Eye attrape l’oreille pour ne plus la lâcher. Quant à l’atmosphérique Vorbei, interprété en allemand par Fabrice Gilbert avec la chanteuse du duo rouennais darkwave Hammershøi, il apporte une respiration et une touche de féminité, toutes deux très appréciables, qui font encore mieux ressortir la tempétueuse noirceur cinglante de l’ensemble.

Our Decisions de Frustration (Born Bad Records/L’Autre Distribution). Sortie le 29 mars.

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