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Avec l’ultime et triple album “Britpop”, A. G. Cook prend les mèmes et recommence

7 mai 2024 à 09:44

Avec sa décision, l’an dernier, de cesser les activités du label qui l’a fait connaître, A. G. Cook a pu laisser croire qu’il voulait en finir avec l’hyperpop. Mais, alors que le registre, dont la patte du musicien est l’un des fondements, mute aujourd’hui de façon complètement autonome, le producteur s’attarde à en interroger l’archétype sur un troisième disque qui s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs.

Une nouvelle expérience

Le musicien n’en cache pas la filiation, en reprenant un découpage qui structurait son premier album 7G (2020), en forme de vaste étude séquencée pour musique électronique (chaque partie étant dédiée à un instrument) et qui transcendait déjà l’hyperpop en la confondant dans un impressionnant panel de styles : drill’n’bass, rock, synthpop, ambient…

Si sur Britpop, la division est temporelle (chaque tiers du disque est respectivement sous-titré Past, Present et Future), le principe se veut cette fois moins rigide. Alternant d’euphoriques pistes trance et IDM, puis des chansons electropop plus écrites en premières parties, avant une dernière section en forme de pot-pourri des précédentes, le disque amène à penser la temporalité comme un circuit fermé sur lui-même. Parce qu’il serait paradoxal d’imaginer le futur d’une musique aussi ancrée dans son temps que l’hyperpop, mais surtout à une époque où la pop se régénère par salves de réactualisations nostalgiques (la house psyché de Dua Lipa ou la country soul de Beyoncé pour 2024), la perspective d’A. G. Cook singe l’industrie autant que son propre héritage.

Dans ce cadre, l’hommage à SOPHIE (la productrice décédée prématurément en 2021 et proche de Cook, qui la mentionne sur Without) et les apparitions de Charli XCX (sur le morceau titre et le réjouissant Lucifer) font cocher à Britpop toutes les cases du cahier des charges hyperpop. Un comble, un an après la fin du label qui a fait grandir le style, et qui structurait ses propos et esthétique autour de ce genre de démarches paradoxales. Aussi, alors que l’album reste jubilatoire (par la technique toujours irréprochable de son auteur, même dans le versant songwriting du projet) et étonnamment digeste, on peut espérer qu’A. G. Cook trouvera un jour la tranquillité d’esprit pour proposer une musique préférant le fun décomplexé à l’embarras d’une charge théorique pachydermique.

Britpop (New Alias) d’A. G. Cook. Sortie le 10 mai 2024.

Avec “Dennis”, Sega Bodega peine encore à échapper à son statut de producteur

26 avril 2024 à 12:51

Avec Salvador (2020) puis Romeo (2021), Sega Bodega s’est constitué un début de carrière à renfort de titres d’albums répondant à des prénoms propres, mais qui peinaient à affirmer une identité. Minutieuse, mais toujours suspendue et flottante, la musique de ses premiers efforts souffrait d’un manque certain d’incarnation, quand les premiers travaux de l’Irlandais d’origine (les sorties de son label NUXXE, qui a aussi édité Coucou Chloé, Shygirl et Oklou à leurs débuts) avaient déjà bien délimité les contours de son univers, sorte de trip hop orienté club prenant la forme d’un R&B léthargique.

Trouver un biais d’incarnation

Mais sur Dennis, troisième volet de ce qui apparaît aujourd’hui comme une “trilogie nominale”, Sega Bodega trouve enfin de quoi donner corps à ses productions, gonflées d’inspirations acid (Adulter8), trance (Dirt), folk (Set Me Free, I’m An Animal) et reggaeton (True).

Les voix comme matière à échantillonner toujours en signature, le projet réussit à incorporer à l’abstraction inhérente aux productions de son auteur un sens de la composition mieux épanoui qu’à l’accoutumée, qui laisse moins l’impression d’un travail inoffensif. À l’écoute pourtant demeure le sentiment qu’en dehors de plusieurs saillies, le disque existe surtout par sa qualité de production (l’épileptique single Kepko en tête), comme si l’inventivité de Sega Bodega ne servait jamais autant sa carrière solo que celle des artistes qui bénéficient de ses talents.

Une difficile dissociation

C’est qu’à la suite de ses prédécesseurs, Dennis n’a pas la force évocatrice des travaux que le musicien propose avec Shygirl (en tant que producteur exécutif de son album Nymph, et plus généralement de toute sa carrière), Caroline Polachek (le temps du tube méditerranéen Sunset) et Eartheater (les singles Mitosis et Pure Smile Snake Venom), à qui il a offert des succès portant en partie au moins les projets dont ils sont issus. Même avec Björk et Rosalía, sur le titre caritatif Oral, actualisant une démo composée par la chanteuse islandaise à l’époque de Vespertine – pourtant un des disques de musique électronique les mieux produits de tous les temps.

Sans établir de distinction hermétique entre ses casquettes de producteur et d’artiste, il demeure difficile pour Sega Bodega de dépasser son statut d’opérateur dont on s’amuse à repérer la mention dans les crédits de projets hypes. Ce que donne aussi à voir sa tendance à multiplier les projets alternatifs (Ambient Tweets, alias sur Soundcloud, mais aussi nom de son nouveau label, ou Kiss Facility, le duo qu’il forme avec la Française Maryah Alkhateri), comme une forme de fuite en avant.

Dennis de Sega Bodega (Ambient Tweets & Supernature). Sortie le 26 avril 2024.

Entre humour grinçant et mélancolie, Vegyn se met à nu sur un album organique

3 avril 2024 à 10:00

Que ce soit sur ses fastueuses mixtapes aux titres espiègles (Text While Driving If You Want to Meet God! et Don’t Follow Me Because I’m Lost Too!!) ou sur ses travaux plus conceptuellement chargés (l’EP The Head Hurts but the Heart Knows the Truth de son alias Headache, enregistré avec et à propos de l’intelligence artificielle), Vegyn enrobait jusqu’ici ses travaux d’un sarcasme certain. Comme pour camoufler superficiellement l’essence douce-amère de ses productions, qu’il continuait pourtant de cultiver même dans ses collaborations avec Frank Ocean, Shygirl ou Dean Blunt.

Cinq ans après un premier album salutaire, Vegyn semble prêt à assumer ses états d’âme. Et même si la locution du titre sème toujours une pointe d’ironie, la collection de morceaux qui compose ce nouveau disque vise le cœur avec moins de détours qu’à l’accoutumée.

La fin du tout-électronique ?

En acceptant, via une prééminence du chant (portée par les voix des prodiges passé·es par son label), une sensibilité plus frontale, mais aussi en arrivant à délaisser le tout-électronique sans se dénaturer pour autant, le producteur parvient à insuffler à sa musique une sincérité tristement rare dans les musiques de synthèse.

The Road to Hell Is Paved with Good Intentions (PLZ Make It Ruins/Kuroneko). Sortie le 5 avril. En concert à la Gaîté Lyrique, Paris, le 12 avril.

Cola Boyy, brillant musicien californien, est mort

19 mars 2024 à 09:38

Dans le parcours de Cola Boyy, tout ou presque faisait figure de singularité. Quand on le rencontrait à Paris en 2021 à l’occasion de la sortie de son premier album, le rayonnant Prosthetic Boombox, on se demandait ce que venait faire un disque de pop funk sur le label Record Makers, qui édite entre autres Sébastien Tellier et Kavinsky.

Avec Nicolas Godin (Air), Pierre Rousseau (ex-Paradis), Myd, Andrew VanWyngarden (MGMT) et Infinite Bisous à son générique, l’enregistrement avait de solides arguments autant qu’il séduisait à l’écoute. À l’image de l’indispensable single Don’t Forget Your Neighborhood (où s’invite The Avalanches pour en rajouter une couche), la musique de Cola Boyy sonnait comme une radieuse ode à l’émancipation en même temps qu’elle appelait à la résistance.

Still Matthew from the block

Car Matthew Urango n’était pas un idéaliste qui a oublié d’où il venait une fois le succès arrivé. Né en 1990 à Oxnard en Californie dans une famille modeste (d’un père afro-américain et d’une mère aux origines écossaise et portugaise), il était amputé d’une jambe et privé d’une partie de ses capacités pulmonaires à cause d’une malformation de sa colonne vertébrale. Discriminé à l’embauche et après avoir contracté une pneumonie, fatale de peu, dans le cadre d’un emploi précaire à Walmart, il avait finalement décroché une pension liée à son handicap lui permettant de se concentrer sur la musique.

Musicien depuis ses 10 ans, Matthew avait fait ses armes dans des petits groupes de punk au lycée : car Oxnard, en plus d’être la ville qui a vu grandir Madlib et Anderson .Paak, est surtout un vivier à scènes punk hardcore depuis les années 1970. Une décennie qui a beaucoup inspiré Cola Boyy, alors décidé à se tourner vers le disco en postant sur SoundCloud les démos qu’il bricolait depuis la chambre de chez ses parents.

Un modèle de politisation musicienne

En parallèle de son engagement dans des organisations antiracistes et populaires de sa ville, il s’est donc fait repérer par Record Makers, qui a édité, en 2018, son premier single, Penny Girl. Un petit succès à son échelle où la recette feel good-space age de Cola Boyy faisait déjà son effet, et qui a débouché sur un saillant EP la même année. Après deux autres singles (All Power to the People et une reprise de To Be Rich Should Be a Crime de Jeb Loy Nichols), où il partageait ses positions communistes-internationalistes, Cola Boyy était découvert par Andrew VanWyngarden, qui lui a offert d’assurer les premières parties de MGMT lors de la tournée pour l’album Little Dark Age. Un tremplin suffisant pour que Matthew se retrouve sur la scène du Pitchfork Festival de Paris en 2019.

En France – qu’il considérait comme sa maison secondaire –, il a eu l’occasion d’élaborer son premier disque, en même temps que sa curiosité l’a poussé à découvrir le sang neuf de la scène hexagonale. Mais surtout, ce premier disque a été l’occasion de cristalliser son engagement en un album : lui qui, comme il le disait à The Fader, voyait la musique comme son hobby et le militantisme comme son activité principale.

Prosthetic Boombox demeure toujours une leçon d’engagement artistique et Cola Boyy aurait mérité d’être perçu comme un modèle de politisation musicienne. En refusant de ne prêcher que des convaincu·es sans pour autant noyer son propos dans une trop grande abstraction, mais surtout en incorporant son discours à des productions méticuleuses et un songwriting enchanteur. Sa créativité et la finesse de son approche manqueront autant que l’inspiration qu’il suscitait.

Les causes de sa disparition, annoncée par Record Makers hier, n’ont pas été partagées. Depuis, des artistes rendent hommage à Cola Boyy via des posts sur leurs réseaux sociaux, de The Avalanches à Nicolas Godin ou Chromeo. Matthew Urango venait de terminer son deuxième album, qui viendra mettre un point final tristement prématuré à sa discographie.

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