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Google face à la menace d’OpenAI : un duel risqué

Google est encore très prudent concernant l'utilisation de l'intelligence artificielle générative dans ses produits. Mais cette prudence pourrait-elle finalement causer sa chute ? OpenAI, l'éditeur de ChatGPT, pourrait bientôt lancer un moteur de recherche basé sur sa technologie ChatGPT, qui pourrait concurrencer directement Google.

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La musique se gentrifie, les artistes se précarisent

La semaine dernière, le quotidien britannique The Guardian publiait un papier sur le business du live outre-Manche intitulé : The working class can’t afford it”: the shocking truth about the money bands make on tour. Soit, en français : “La classe ouvrière ne peut plus se le permettre” : la terrible vérité sur l’argent que gagnent les artistes en tournée. Interviennent dans ce sujet plusieurs groupes (English Teacher, Nubiyan Twist), un manager d’artistes, le représentant de l’association de défense des intérêts des musicien·nes (Featured Artists Coalition) : tous sont d’accord sur un point : les artistes ne peuvent pas vivre des concerts. Pire, ils perdent de l’argent.

Ils et elles ont testé pour vous

Une enquête qui fait écho à la parole de Lias Saoudi de Fat White Family, recueillie par nos soins à l’occasion de la sortie du dernier album du groupe : “Le rock (…) a été gentrifié, comme n’importe quoi d’autre. Qui peut aujourd’hui s’acheter des amplis de basse et de guitare, si ce n’est la jeunesse issue des classes moyennes ?” Sur X, la musicienne claire rousay (qui vient de sortir son génial nouvel album sentiment) cite l’article en allant dans le sens du constat qu’il établit : “J-2 avant l’échéance du loyer, je confirme.”

De son côté, l’immense Ryley Walker, héros héroïque de l’indie made in US, jamais le dernier pour la déconne, ironise, toujours en rebondissant sur le papier du Guardian : “J’ai accepté l’idée que si je devais mourir sur l’autoroute à péage de l’État de l’Ohio, le crédit poursuivra toute ma famille, même éloignée, jusqu’à ce que la dette soit payée.

Qui les paie ?

The Guardian souligne par ailleurs que cet état de fait concerne aussi bien les artistes indépendant·es que celles et ceux signé·es en major, qu’ils ou elles jouent pour 200 ou 2 000 personnes. Une artiste américaine nous confiait récemment qu’aux États-Unis, dès qu’un·e musicien·ne arrête de tourner, même en ayant joué sur scène à l’international, il ou elle retourne dès le lendemain servir des cafés dans les diners des quartiers gentrifiés pour maintenir un niveau de revenus décent.

Dans le Guardian, Dan Potts, de Red Light Management, pointe du doigt un problème endémique à l’industrie de la musique, qui méconnaîtrait elle-même son propre système de répartition d’une richesse qui ne ruisselle pas jusque dans les poches des artistes : “Les gens des labels pensent que les artistes se font de l’argent avec les tournées, pendant que les producteurs de spectacle s’imaginent qu’ils gagnent leur vie grâce aux revenus générés par les éditions (…) tout le monde pense que les artistes se font de l’argent via un autre secteur de l’industrie” et de conclure : “Les artistes sont les plus gros employeurs de l’industrie en réalité.

Chapeau et admiration éternelle pour tous les réseaux suburbains, salles, tourneurs DIY, artistes qui, envers et contre tout, continuent de faire communauté en se saignant pour que vive une certaine idée de la pluralité et de la lutte des classes.

Édito initialement paru dans la newsletter musique du 3 mai 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Que nous disent les films de prof sur l’école aujourd’hui ?

Quatre films sortis récemment mettent au cœur de leur récit un individu dont le métier est professeur·e : l’allemand La Salle des profs de İlker Çatak avec Leonie Benesch, le français Pas de vagues de Teddy Lussi-modeste, avec François Civil, et le belge Amal – esprit libre de Jawad Rhalib (avec Lubna Azabal), et dans une moindre mesure (puisque le personnage principal quitte l’enseignement, dégoûté, au début du film), Comme un fils de Nicolas Bkhief, avec Vincent Lindon.

Deux femmes, deux hommes, confronté·es à des problèmes similaires. Que voit-on ? Des gens seul·es, dont l’autorité est contestée par les élèves, qui sont plus ou moins agressé·es ou menacé·es par les parents dès qu’ils ou elles sanctionnent un·e élève, accusé de harcèlement ou encore abandonné·es par une administration qui ne veut effectivement “pas de vagues”. Et ils et elles de surcroît subissent les critiques de leurs propres collègues, qui leur reprochent leurs méthodes, leur trop grande gentillesse ou leur intransigeance, leur refus de lâcher prise et d’attendre la retraite sans faire d’efforts. Bref, une société éducative divisée, donc affaiblie. Sur fond, sans qu’ils soient jamais cités, des assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, fantômes omniprésents dans ces films – en tout cas pour les spectateur·rices français·es. La coïncidence ne saurait être fortuite, mais nous n’essaierons pas ici de proposer des solutions à des problèmes réels.

Entre les murs, l’espoir se restreint

La disparition, la semaine dernière, du cinéaste Laurent Cantet, vient nous rappeler que le film pour lequel il reçut la Palme d’or, en 2008, Entre les murs, se déroulait entièrement ou presque, en cours de français, dans une salle de classe de 4e. Cette adaptation singulière (puisque l’auteur du roman dont le film était tiré, François Bégaudeau, lui-même ancien enseignant, jouait le rôle du professeur) décrivait déjà les difficultés d’enseigner, la violence physique de certain·es élèves, les désaccords entre enseignant·es, la solitude du prof, etc. Mais il y avait aussi quelques scènes où ce personnage, François, voyait pointer l’intelligence de ces élèves au détour d’un flot de propos immatures et provocateurs. C’est cette bienveillance, ces lueurs d’espoir, qui semblent absentes des films dorénavant, qui faisait tout le prix du film de Cantet. Loin de nous l’idée de dire que “c’était mieux” avant, mais force est de constater que les films aujourd’hui nous livrent une image totalement désespérée et désespérante de l’école.

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 1er mai. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Justice : un come-back au retentissement planétaire

Sauf à avoir vécu dans un caisson insonorisé depuis trois mois, la sortie du quatrième album de Justice ne vous aura guère échappé. Depuis l’annonce officielle, le 24 janvier dernier, de la parution printanière d’Hyperdrama – un disque attendu depuis huit ans, mine de rien –, pas un jour ou presque ne sera passé sans une nouvelle Hyperdramatique de Gaspard Augé et Xavier de Rosnay – des premiers singles extraits à la liste des featurings jusqu’à leur retour événementiel sur la scène de Coachella il y a dix jours – il faut voir l’enchaînement One Night/All Night avec D.A.N.C.E. pour mieux comprendre la déflagration visuelle et sonore attendue samedi 1er juin à We Love Green. Un come-back au retentissement planétaire pour un album déjà triomphal, à l’instar d’un casting XXL à faire pâlir de jalousie n’importe quel producteur electro (Tame Impala, Miguel, Rimon, Thundercat, Connan Mockasin, The Flints).

C’est qui est beau, c’est d’avoir tenu vingt ans avec Justice sans hit, s’amuse pourtant à nous confier l’autre duo de la French Touch dans une interview réalisée bien avant le tunnel des répétitions pour leur show à Coachella. “Bien sûr, le single D.A.N.C.E. a été un peu matraqué, mais pas au niveau d’un tube international. Notre place actuelle et notre liberté totale nous conviennent parfaitement.” Et c’est précisément cette double singularité qui permet à Gaspard Augé et Xavier de Rosnay d’avoir transformé, depuis plus de deux décennies, leur amitié en aventure artistique. Paradoxalement, Hyperdrama est sans doute l’album de Justice qui compte le plus de hits potentiels – le single One Night/All Night avec Kevin Parker de Tame Impala comptant déjà près de 20 millions de streams sur Spotify depuis sa sortie fin janvier. Et si l’imparable Afterimage avec Rimon est déjà notre tube de l’été, le printemps 2024 rime déjà avec Justice partout.

Édito initialement paru dans la newsletter Musique  du 26 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Dubaï sous l’eau, le nouvel album de Marie Klock… C’est l’édito bizarre de François Moreau

Dubaï sous la flotte, des chameaux emportés par le courant dans le désert, le tarmac de l’aéroport international de l’émirat transformé en piscine houleuse. Les images qui nous sont parvenues cette semaine des Émirats arabes unis, en proie à des pluies torrentielles, ont quelque chose d’onirique, voire de carrément bizarre et omineux. Momentanément victime de perturbations cognitives à la vue de ces scènes que l’on aurait dites extraites d’un roman d’anticipation, je me suis souvenu de cette phrase d’Alain Damasio, auteur de science-fiction sous les feux de la rampe, prononcée sur France Inter le 11 avril : “Pendant très longtemps, on nous a vus comme des gens qui font de la prospective, c’est allé tellement vite qu’on est devenus des écrivains réalistes”.

À peu près au même moment, dans mon courrier, je tombe sur ce bouquin de Mark Fisher, éminent critique culturel britannique décédé en 2017, publié ces jours-ci pour la première fois en France par les éditions Sans soleil et traduit par Julien Guazzini : Par-delà étranger et familier – Le bizarre et l’omineux. Dans cet ouvrage, le critique “cartographie les variétés de l’étrange” qui hantent les œuvres des artistes que l’on connaît tous·tes – de The Fall, à David Lynch, Stanley Kubrick ou encore l’autrice australienne Joan Lindsay. Au sujet du bizarre, il écrit que son surgissement “vient signaler que les concepts et les référentiels utilisés jusqu’à présent sont dorénavant obsolètes”. À propos de l’omineux, il poursuit en disant qu’il “peut nous donner accès aux forces qui gouvernent la réalité ordinaire mais qui sont généralement dissimulées, tout comme il peut nous donner accès à des espaces situés complètement au-delà de la réalité banale”. Comme la vision des chameaux de Dubaï entraînés par les eaux, deux disques sortis récemment ont détraqué nos sens. Bizarres et omineux, eux aussi, dans le sens où ils nous sortent momentanément de notre quotidien trop réaliste pour être vrai.

Conspirations ?

Il y a d’abord Un autre monde///dans notre monde, objet de collages sonores halluciné, piloté par Jean-François Sanz et mettant à l’honneur le réalisme fantastique, dans la lignée du travail de curation du commissaire d’expo affilié à agnès b. On y retrouve, entrecoupés de propos radiophoniques de Louis Pauwels et Jacques Bergier (papes de ce courant de pensée contre-culturel des sixties en quête de civilisations perdues), des pépites musicales vintage (de Tuxedomoon à Guy Skornik ou Brigitte Fontaine) et des inédits contemporains (des Limiñanas à Exotourisme ou Zombie Zombie).

L’autre, c’est l’album de Marie Klock, intitulé Damien est vivant, en hommage à son ami poète décédé Damien Schultz. Jouant des faux raccords, on reconnaît dans les textes et dissonances sonores de la musicienne, ce regard à côté, sur ces choses et sentiments qui n’ont rien à foutre là, situés à la lisière du ridicule et du pathétique, mais qu’on ne prend pas la peine de souligner par crainte de devenir zinzin. Tout se recoupe, finalement. À croire que les conspirations existent.

Édito initialement paru dans la newsletter Musique du 19 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Cannes 2024 : smells like teen spirit ?

Nous ne nous sommes pas lancé·es dans une analyse statistique poussée mais il se dégage du casting global de cette édition 2024 une impression de jouvence. Elle est en premier lieu incarnée par la présidente du jury, Greta Gerwig, plus jeune personne à occuper la fonction après Sophia Loren en 1966. Mais on pourrait aussi citer la présence de Xavier Dolan à la présidence du jury d’un Certain Regard ou de Lukas Dhont à celle de la Queer Palm.

La compétition officielle est constituée d’un équilibre assez réussi entre de jeunes cinéastes et/ou de première fois en compète (Payal Kapadia, Agathe Riedinger, Magnus Von Horn, Miguel Gomes, Coralie Fargeat, Gilles Lellouche), des habitué·es (Andrea Arnold, Jia Zhangke, Jacques Audiard, Christophe Honoré, Paolo Sorentino, Kirill Serebrennikov, Yorgos Lanthimos) et des légendes, dont la simple présence constitue un évènement (Francis Ford Coppola, Paul Schrader, David Cronenberg).

Les moins de 40

Mais c’est quand on regarde les castings des films qui défileront sur le tapis rouge que ce sentiment de renouvellement est le plus fort. Les acteurs et actrices princaux·ales de nombreux longs métrages de cette cuvée 2024 – les déjà stars internationales Barry Keoghan, Franz Rogowski, Léa Seydoux, Anya Taylor-Joy, Alicia Vikander, Margaret Qualley, Jacob Elordi, Selena Gomez, Adam Driver, Emma Stone, Hunter Schafer, les étoiles nationales Noémie Merlant, Raphaël Quenard, François Civil et Adèle Exarchopoulos, tout comme les potentielles révélations : Victoria Carmen Sonne, Céleste Dalla Porta, Félix Kysyl, Mikey Madison ou Nathalie Emmanuel – n’ont pas dépassé les 40 ans. Évidemment tout cela n’augure rien de la qualité des films, ou de celle du palmarès, mais ce vent de fraîcheur dit quelque chose de la vitalité du cinéma et de la capacité du festival de Cannes à l’incarner.

Pour ce qui est de la tectonique des plaques qui régit les rapports entre les différentes sélections, Un Certain Regard confirme son repositionnement sur les premiers films, et donc sa mise en concurrence avec La Semaine de la critique, qui aura sans doute plus de mal à attirer des films anglophones à l’avenir. Mais qui a réalisé un gros coup en sélectionnant l’un des films que nous attendions le plus, Les Reines du drame du prometteur Alexis Langlois.

Et la parité ?

Si la Quinzaine des cinéastes a vu un de ses auteurs habitués (Miguel Gomes) et une de ses autrices révélées (Payal Kapadia) filer en compétition officielle, la sélection par Thierry Frémaux de la jeune cinéaste indienne valide le travail de défricheur entamé par Julien Rejl depuis sa prise de fonctions à la tête de la Quinzaine et qui se confirme d’ailleurs encore cette année avec un choix de films pointus.

Reste un gros point noir : le nombre de femmes en compétition officielle, seulement quatre contre sept l’an dernier, et surtout contre quinze hommes. Il reste encore quelques jours aux équipes de l’officielle pour y ajouter au moins une cinquième cinéaste.

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 17 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Édito du 15 avril

Bonjour à tous, J’espère que vous allez bien. Pour ma part, je vais très bien puisque je suis actuellement en vacances ! J’avais vraiment besoin de ce temps de repos. Je me suis rendu compte qu’à part un ou deux jours de congé par-ci par-là, je n’avais pas pris une semaine complète de vacances depuis août l’an dernier. Au moment où vous lirez ces mots, je serai très certainement à Busan en Corée du Sud. Je vous confirme que j’ai pris le train 😉 La semaine dernière vous avez pu lire le premier article d’un nouveau rédacteur : Neo974. Si […]
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Billie Eilish et son futur album : le retour du slow listening ?

© William Drumm

Billie Eilish a annoncé le 8 avril dernier la sortie de son troisième album, Hit Me Hard and Soft. Il sera disponible le 17 mai et, comme d’habitude, il a été mis en boîte avec son frangin, Finneas. Dans un communiqué, Billie déclare : “Cet album est à écouter idéalement dans son intégralité du début à la fin.”

Pour creuser davantage le sillon de cette injonction d’esthète, la musicienne ajoute qu’elle ne sortira pas de single et ne dévoilera rien du disque – à part le tracklisting qui a fuité – jusqu’au jour de sa sortie officielle. Une injonction, une fois encore, qui nous rappelle ce concept branlant ayant fait surface sur Internet il y a une dizaine d’années : le slow listening.

C’était quoi, le slow listening ?

Pour faire court, il s’agit de se dédier à l’écoute d’un album dans son intégralité, si possible sur du bon matos et en ne faisant rien d’autre que cela. À l’époque, la génération ayant grandi avec le support physique comme seul et unique format d’écoute s’était bien marrée en découvrant cette épiphanie émanant des milieux gentrifiés.

Écouter un album en entier, quelle révolution ! Cette “tendance”, qui n’a pas résisté à la réalité des flux incessants, du morcellement des œuvres et de l’interconnexion généralisée, avait néanmoins le mérite de proposer une alternative à nos vies TGV et à la vision dystopique d’un futur (notre présent) dans lequel les œuvres musicales ne s’inscriraient plus dans le temps long.

Sous l’océan

Billie Eilish a par ailleurs dévoilé la pochette de l’album. Sur celle-ci, on la voit sous l’eau, le regard tourné vers une porte ouverte à la surface. Un teaser vidéo accompagne l’image : elle sombre, et un bras vient l’attraper à la dernière minute, la sauvant de l’appel des abysses. Évidemment, Billie n’a pas inventé l’imagerie de l’engloutissement du monde en tant qu’il peut d’abord être un engloutissement de soi.

Du mythe de l’Atlantide à celui de la submersion du Japon, de l’esthétique steampunk de Waterworld (1995) au bébé de Nirvana, des accès dépressionnaires du rappeur Hamza sur Paradise (2019) au Titanic Rising (2019) de Weyes Blood : les visions sous-marines, tour à tour vectrices d’un message apocalyptique, écologique, fantastique, politique, ou de prévention pour la santé mentale, hantent la culture populaire.

En ce qui concerne Hit Me Hard and Soft, on a repensé au bouquin du musicien, journaliste et écrivain David Toop, Ocean of Sound : Ambient music, mondes imaginaires et voix de l’éther (1995). Toop y documente le passage de l’état mathématique à l’état gazeux de la musique, depuis les pérégrinations aquatiques des musiciens balinais jusqu’à “l’invention” de l’ambient par Brian Eno, obsédé par la coloration pastel de ses atmosphères sonores. “Un nombre croissant de musiciens créent des œuvres qui saisissent la transparence de l’eau”, écrivait-il déjà.

Billie Eilish a grandi à Los Angeles, immense citée évaporée, biberonnée à toutes les hybridités musicales offertes par l’hyper-accès à Internet. Dans cet océan, sa volonté de reconnecter le monde à un album ancré dans une démarche artistique qu’elle s’imagine être cohérente, ressemble à une tentative ultime de regagner la terre ferme.

Kurt Cobain, 30 ans déjà

Les quelques égaré·es né·es un 5 avril doivent vivre depuis 1994 avec l’idée que leur anniversaire sera toujours éclipsé par celui de la mort de Kurt Cobain. Cette année sera plus que jamais le cas, la cartouche du fusil Remington M11 ayant traversé la tête du natif d’Aberdeen, Washington, fêtant ses 30 ans. C’est qu’on les aime, les chiffres ronds. Ils disent quelque chose de la manière dont la mémoire est affectée par le temps.

La relève

Comme avec toutes les icônes de la culture populaire disparues trop tôt, on a longtemps cherché qui était l’héritier de Kurt Cobain chez les emo kids du rap (de Lil Uzi Vert au démoniaque XXXTentacion), jusqu’à l’apparition de Billie Eilish, en qui un type comme Butch Vig, producteur de l’album Nevermind, a vu les reflets de Kurt. En 2021, il nous confiait : “Elle exprime son anxiété de l’époque dans laquelle elle vit et se situe à un niveau émotionnel qui parle directement aux gens qui la suivent, parce qu’ils sont précisément comme elle. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Nevermind. Preuve que le dispositif en power trio de Nirvana n’était qu’un support dynamique pour exalter un dégoût, et non une doctrine rock formelle.

Néanmoins, il peut se passer plus en trois ans qu’en trente. C’est ainsi qu’en 2024, la question de la réincarnation de Kurt Cobain dans la peau d’un individu cristallisant tous les reflux de l’époque nous semble soudainement nulle et non avenue. Tout est plus diffus, mouvant, asymétrique. Un disque paru ces jours-ci documente ce glissement de paradigme : CD Wallet, de Homeshake. Mon disque préféré de l’année so far. La pochette – une piaule bordélique d’ado tardif jonchée de fringues, de CD et de bouquins – est grunge. La photo aurait pu être prise en 1994, mais il y a aussi des chances pour qu’elle ait été shootée hier.

Éternelle adolescence

La musique, quant à elle, tranche avec les albums précédents du Canadien, plus axés sur les synthés. Ici, Peter Sagar (son vrai nom), sort les guitares slowcore de son adolescence 90’s passée dans les environs de sa bourgade d’Edmonton, capitale de la province de l’Alberta. Mac DeMarco vient de là-bas, lui aussi. Le geste est donc nostalgique, comme le coup d’œil dans un rétro dévoilant un paysage familier, mais étrange. Dans un entretien accordé au magazine culturel Range, il raconte que CD Wallet a été “réalisé dans un style indie rock heavy et simple, pour impressionner l’ado qu[‘il] étai[t]” : “Quelques chansons évoquent des événements spécifiques, mais la plupart sont la réminiscence de l’époque de mon enfance, quand je me saoulais derrière une benne à ordure. Rien de très profond là-dedans.

Trente ans après sa mort, Cobain n’est plus le Christ qu’on a bien voulu faire de lui et qu’il vomissait, mais une tronche de plus sur un poster dans la chambre de Peter Sagar et de tous·tes les gosses se souvenant d’abord du quotidien plombé d’une enfance passée dans la décennie 1990.

Édito initialement paru dans la newsletter musique du 5 avril 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

46e édition du Cinéma du réel : la radicalité esthétique comme arme politique

Ce dimanche 31 mars s’est achevée la 46e édition du Cinéma du réel, un festival qui s’est donné la vertueuse mission de projeter les formes les plus innovantes du cinéma documentaire contemporain.

La radicalité de ces films, souvent expérimentaux, devient la condition nécessaire pour faire advenir une appréhension nouvelle du monde, comme en opposition à toutes ces images que l’on voit sans les regarder, qui se laissent appréhender avec les mêmes grilles de lecture préétablies.

À ce titre, Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell (récompensé par le Grand Prix) fut l’un des films les plus puissants de la compétition. Tourné pendant deux ans dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le film présente une contre-image de la couverture médiatique sensationnaliste, qui s’est largement limitée à montrer les affrontements violents des écologistes contre les répressions policières. Composé de plans longs, souvent fixes, concentrés sur les actions quotidiennes de la ZAD, ces 3 h 30 de film nous invitent à habiter ses images, en créant un rythme méditatif et accueillant. L’action directe ne s’y réduit pas aux altercations, mais consiste aussi à inventer un nouveau partage du temps, obéissant à une unité de mesure alternative, loin de toute logique productive. En creux, Direct Action offre ainsi un démenti vigoureux des entreprises de falsification du réel, portées notamment par le discours du gouvernement qui qualifiait l’action des Soulèvements de la Terre d’“écoterrorisme”.

Un regard inédit

D’une tout autre manière, Soundtrack to a Coup d’État de Johan Grimonprez a lui aussi proposé une fabuleuse entreprise de démystification en investissant toute la richesse formelle offerte par le montage. Ce grand maelström d’images d’archives s’intéresse à l’instrumentalisation politique du jazz par les États-Unis lors de la guerre froide, en revenant plus précisément sur l’indépendance du Congo. Le jazz n’est pas uniquement le sujet et la bande originale du film, mais sert aussi de principe rythmique et critique à un montage virtuose. Syncopes et contretemps deviennent les outils du cinéma, par lesquels les images viennent se contredire les unes les autres ou créer des associations originales entre un concert de Louis Armstrong et un discours de Khrouchtchev. En empruntant aussi bien aux clips qu’à Godard, cet art du détournement désinvolte fait émerger un récit historique nouveau et exaltant.

Opposer aux discours, images et narrations consensuelles, un regard inédit sur le monde et son histoire en sollicitant notre esprit critique – c’est sans doute là, l’une des perspectives politiques les plus fertiles offertes par le cinéma.

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 3 avril. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

La véritable histoire derrière “The Sweet East” ou la tragédie de la nymphette

Du premier film foutraque de Sean Price Williams, on a beaucoup dit à quel point il fait la satire d’une Amérique post-Trump hallucinée et tiraillée entre les extrêmes (néo-fascistes, néo-punk et autres radicaux religieux). C’est vrai. Mais de la même façon que le générique de début du film se conclut par la traversée d’un miroir, on pourrait dire que ce portrait des États-Unis est la surface de The Sweet East. Derrière cette apparence, il y a un second film plus complexe, un film obsédé par le fantasme de la nymphette et conscient de l’être.

Avec son visage poupon, sa mine boudeuse, ses lèvres pulpeuses et ses grands yeux bleus, Lillian, le personnage incarné par Talia Ryder, est belle et le sait. Pendant tout le film, on a peur pour elle, peur qu’à force de se retrouver malgré elle dans des situations où elle est à la merci des hommes, elle finisse par être sexuellement agressée. L’adolescente a l’air à la fois consciente du danger auquel elle s’expose (elle prend par exemple soin de bloquer la porte de sa chambre avec une chaise) mais étrangement confiante. De fait, même si elle subit une forme de violence (un garçon lui exhibe son sexe, un autre tente de la séquestrer pour l’épouser), elle n’est jamais la cible de l’ultra-violence que déploie le film.

Entre réussite et limite

Non, la violence à laquelle est soumise Lillian est celle d’être un fantasme sur pattes, une projection (on revient à la question du miroir). À force, elle finit par elle-même se projeter chez les autres. À plusieurs reprises, elle s’approprie la vie d’autres personnages lorsqu’on lui demande de parler d’elle, comme si elle était condamnée à n’être qu’une page blanche, une enveloppe vide, une matière à fiction. Dès lors, rien d’étonnant à ce qu’une cinéaste déclare à Lillian (prénom qui n’est d’ailleurs pas anodin, puisqu’il renvoie à Lillian Gish, surnommée the First Lady of American Cinema) “You’ve stepped out of my brain, […] you’re a vision” avant de tenter de la pousser à accepter de jouer dans son film : “The best actress is just a woman who says yes.” Plus loin, la réalisatrice vient frapper à sa porte et malaxe ses lèvres, comme si elle façonnait une figure de glaise.

À l’instar de cette cinéaste, on sent que Sean Price Williams est lui-même sous l’emprise du fantasme qu’il érige, à tel point que lorsqu’il filme avec insistance les hanches ou la poitrine de sa nymphette, on peine à dire s’il s’agit de méta ou de cochon. D’une certaine façon, être un fantasme protège Lillian du risque d’être agressée, mais la réduit à une matière libidinale et lui nie aussi la possibilité d’avoir une personnalité et une sexualité lorsqu’elle en a envie. La réussite et la limite de The Sweet East est d’être parvenu à représenter la tragédie d’un tel sortilège, tout en y succombant tout de même.

Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 27 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

“L’Enfer sur Terre : Une décennie de rap-fiction” : De quel rap est faite l’Amérique ?

De quoi est faite l’Amérique ? De petites âmes égarées sur un territoire hanté, où la violence, quand elle n’est pas contenue dans le déni des banlieues blanches qui s’étendent à perte de vue, explose de toute part dans un déluge de feu et de souffrances. Tandis que les projecteurs sont braqués sur la conquête hollywoodienne de Sydney Sweeney et la puissance de frappe économique de Taylor Swift, Audimat éditions, par l’entremise des auteurs Mohamed Magassa et Nicolas Pellion, propose un ouvrage en forme de Guide du routard des marges où prospèrent ces êtres abîmés, brisés, grotesques, grandioses, veules, épiques, sans pitié, immondes, merveilleux, christiques et éphémères que sont les rappeurs.

L’ouvrage L’Enfer sur Terre : Une décennie de rap-fiction (2024) pose ainsi l’hypothèse que “le rap des années 2010, aux États-Unis, s’est placé sous le signe de la fiction et du récit”, qu’il s’emploie à démontrer en marchant sur les traces d’artistes (de Mach-Hommy à Drakeo the Ruler, en passant par Kodak Black, Chief Keef ou encore Kevin Gates et Icewear Vezzo) et dont la musique ne serait pas la traduction psychédélique et effarée de la mauvaise conscience de l’Amérique, mais plutôt son inconscient marécageux.

La carte et le territoire

La démarche est maline : au lieu de tomber dans le trombinoscope hagiographique, Magassa et Pellion partent du territoire (les zones enclavées de Rochester, le southside ultra-violent chicagoen, Flint et ses eaux polluées, la Louisiane submergée de Lil Wayne, la Floride maudite de la Santeria…) pour mieux décrypter le parcours et les élucubrations visionnaires, sonores et textuelles, de ces Homère contemporains, devenus eux-mêmes des mythologies instantanées. En reliant de cette manière divers points sur la carte, les auteurs dressent un état des lieux du carnage capitaliste en cours outre-Atlantique et des récits qui en découlent – récits qui, au-delà de s’ancrer dans le local, s’inscrivent dans un héritage que l’on doit faire remonter jusqu’à l’époque de l’esclavage. Dans une certaine mesure, le bouquin nous rappelle les BD de Robert Crumb sur la vie (chaotique) et la mort (jeune) des bluesmen du Delta.

En filigrane, L’Enfer sur Terre : Une décennie de rap-fiction pose la question des frontières de plus en plus troubles entre la fiction et la réalité, dans un pays où le pire des dystopies documentées dans les romans de science-fiction des années 1950 est perçu, par Donald Trump et les néo-réactionnaires de la Silicon Valley, comme des programmes à exécuter.

L’Enfer sur Terre : Une décennie de rap-fiction, de Mohamed Magassa et Nicolas Pellion (Audimat éditions), 320 p., 20 €. En librairie

Édito initialement paru dans la newsletter Musiques du 22 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Truman Capote vs Gus Van Sant

Il y a de nombreuses façons de disparaître. L’une d’elles, la plus retorse, consiste à le faire en étant omniprésent. Nul doute que Feud : Truman Capote vs the Swans, l’extraordinaire deuxième saison de la série produite par Ryan Murphy, parle essentiellement de disparition(s). La disparition d’un écrivain au profit de son persona public. La disparition d’une œuvre, qui brusquement s’interrompt (après la publication de De sang froid en 1965). La disparition d’une femme (emportée par la maladie et le chagrin), puis d’un homme (emporté par ses addictions et la haine de soi).

L’homme qui filme ce ballet de disparitions est lui-même devenu, depuis pas mal de temps, assez fantomatique : Gus Van Sant, réalisateur de six de ces huit épisodes. Révélation foudroyante du cinéma américain à l’aube des années 1990 (Drugstore Cowboy, My Own Private Idaho), cinéaste révéré successivement par les Oscars (Will Hunting) et Cannes (Palme d’or pour Elephant), celui que la plupart des cinéphiles citaient parmi les plus grands cinéastes du monde pendant toutes les années 2000 s’est comme évaporé.

Pourtant, il n’a jamais cessé de produire : depuis Milk (son dernier grand succès en 2009), il a réalisé quatre longs métrages (l’un assez beau – Promised Land, l’un consternant – Nos souvenirs, deux entre les deux). Il a mis en scène un spectacle musical (sur Andy Warhol – Trouble). Il s’est investi dans trois séries (Boss, When We Rise et maintenant Feud). Et lorsqu’il ne filme pas, il peint.

Paralysie des egos

Gus Van Sant est d’une certaine façon le contraire de Truman Capote. L’un (Truman) voulait occuper tout l’espace (public, mondain, médiatique) comme pour cacher par son omniprésence que son œuvre avait disparu. L’autre (Gus) est au contraire extrêmement productif, mais paraît avoir disparu de son œuvre, enchaînant les projets, parfois les commandes, sans ne plus du tout sembler se soucier que cela constitue une figure générale cohérente, articulée, de bout en bout maîtrisée (en un mot faire œuvre). L’un était paralysé par son désir de chef-d’œuvre, par la peur de ne plus être à la hauteur de l’idée qu’il se faisait d’un roman de Truman Capote après De sang-froid (au point de ne plus pouvoir écrire).

L’autre au contraire semble totalement détaché de lui-même, de ce que fut sa légende de très grand artiste de cinéma, et paraît ne plus viser qu’à devenir un petit artisan sans surmoi. Les symptômes varient, paraissent même contraires, mais GVS a probablement trouvé un écho assez fort à sa propre trajectoire dans cet itinéraire mixte de présence aux autres et d’absence à soi. Probablement pour cela, Feud S2 est ce qu’il a filmé de plus fort depuis presque vingt ans.

Si la série est si bouleversante, c’est qu’elle nous fait retrouver l’un et l’autre. De façon beaucoup plus incarnée que dans les diverses adaptations cinématographiques des années 2000 (celle avec Philip Seymour Hoffman, celle avec Toby Jones…), la série restitue la drôlerie et le tragique de Capote, sa flamboyance et sa génance, sa vulnérabilité et sa cruauté. Mais, elle nous rend aussi Gus Van Sant, dont on retrouve toute la flamme : son éblouissante élégance formelle culminant dans des plans-séquences mobiles ouatés, son goût des gageures formelles et conceptuelles (l’épisode 3 comme un found footage d’un documentaire des frères Miles), son inégalable délicatesse empathique qui rend chaque sujet filmé si aimable et si proche.

Feud : Truman Capote vs the Swans : dernier épisode diffusé sur Canal + le 14 octobre.

Édito initialement paru dans la newsletter cinéma du 13 mars 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !

Edito du 13 mars

Bonjour à tous, J’espère que vous allez bien. J’ai été assez occupé ces derniers temps et je n’ai même pas pris le temps de rédiger un édito en février. Plusieurs changements professionnels (liés à mon véritable métier) ne m’ont pas permis de libérer suffisamment de temps (soir et week-end) pour rédiger tous les articles que j’avais prévus. Résultat, pour la première fois, j’ai dû renvoyer un produit en prêt sans même l’avoir déballé… et j’avoue être très déçu. J’espère que la marque ne m’en tiendra pas rigueur et que je pourrai toujours tester leurs produits à l’avenir. Je ne sais […]
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