La pandémie est passée, sa fille est née, et Kamasi Washington célèbre le bonheur d’être en vie. Ainsi, le disque s’ouvre sur Lesanu, foisonnante prière tirée de la Bible éthiopienne où s’allient claps et piano dingo. S’ensuit une démonstration chorale mêlant jazz, soul et rap à la vitalité contagieuse, Asha the First.
Les ombres de Pharoah Sanders et Sun Ra planent toujours et le cercle d’amis du jazzman venu d’Inglewood ne lui fait pas défaut : Thundercat, le frère batteur de celui-ci Ronald Bruner Jr., le saxophoniste Terrace Martin, Brandon Coleman aux claviers, le contrebassiste Miles Mosley…
Une musique viscéralement affranchie
S’y ajoutent André 3000 (à la flûte sur l’instrumental Dream State) et des valeurs sûres du hip-hop indie américain tels BJ the Chicago Kid (au micro de Together) et les jumeaux Taj et Ras Austin. Cerise pailletée sur le gâteau, on retrouve aussi une star du Black Power dans ce qu’elle a de plus funky, à la fois métaphorique et radicale : George Clinton, sur le frétillant Get Lit.
Plus ramassé que Heaven and Earth (2018), le bien nommé Fearless Movement cultive un groove panafricain, intrépide et propice à la danse. Et c’est sur une réinvention du Prologue du bandonéoniste argentin Ástor Piazzolla que Kamasi Washington prend congé, nous laissant presque essouflé·es par cette musique viscéralement affranchie, autant sur terre que dans le cosmos.
Ça commence fort avec les foudres synthétiques du single Danse pour moi qui, très vite, laissent place à une basse groovy et à des “oh oh oh” joliment pop. “Un morceau évident dès la première maquette, très représentatif du disque, conquérant et nostalgique à la fois”, commente Calypso Valois. Parce que la sexualité peut être aussi exaltante que belliqueuse… Si ce biais avait déjà été abordé sur son premier disque, l’excellent Cannibale (2017), la chanteuse et musicienne française à l’épatant pedigree (mère : Elli Medeiros, père : Jacno) a pris plusieurs années pour façonner Apocalypso.
“J’avais conscience que mes textes devaient être plus impactants, mes compositions plus poussées, mes arrangements plus soignés encore. Il fallait que je me dépasse.” Tâche maintes fois empêchée par les confinements liés à la pandémie et des remous personnels : “La genèse, la construction et la fabrication de l’album se sont déroulées durant une période apocalyptique, à tous points de vue. Avec le titre Apocalypse Now, qui associe l’amour à un terrain miné, s’est imposé le terme ‘apocalypso’.”
Avec Yan Wagner et Yuksek en renforts classieux
Après avoir imaginé ces dix nouveaux morceaux au piano, Calypso Valois les a façonnés aux côtés de Yan Wagner, déjà arrangeur et producteur de Cannibale, et en a confié le mixage à Yuksek : “C’était comme s’il comprenait ma musique instantanément, qu’il savait où l’emmener sans qu’on lui formule quoi que ce soit.”
Résolument synthétique, Apocalypso s’accompagne de guitares en version live. Rien d’étonnant : se niche en lui, prête à rugir au moindre instant, une énergie punk revendiquée par des groupes écoutés par Calypso Valois, tel Idles. On retrouve néanmoins ses obsessions littéraires, Huysmans en tête, et cinématographiques, de Kubrick à Claire Denis.
Juste avant l’effrontée conclusion À la française, une ballade incarne les ruptures rythmiques comme sentimentales : La Brèche. “J’ai l’impression de m’être entièrement dévoilée. C’est la chanson la plus intime que j’ai écrite, car elle est dénuée de tous fards, avoue-t-elle. Face à l’amour et à la pulsion de vie, manifestés dans l’uptempo et la danse, il y a la destruction et la pulsion de mort.” La plume de Calypso Valois s’avère acérée, mordant par endroits cet·te autre qu’on séduit, qu’on désire, qu’on repousse… et qu’on aime malgré tout.
Apocalypso (Kwaidan Records/Kuroneko). Sortie le 26 avril. En concert à La Boule Noire, Paris, le 15 mai.
“All my mornings are Mondays / Stuck in an endless February / I took the miracle move-on-drug / The effects were temporary / And I love you / It’s ruining my life” (“Tous les matins sont des lundis / Coincés dans un février sans fin / J’ai pris des pilules miraculeuses pour remonter la pente / Les effets sont éphémères / Et je t’aime / Ça gâche ma vie”). Belle ouverture de pop vaporeuse pour Fortnight, que Taylor Swift partage avec Post Malone, portée par des synthés kavynskiesques. Efficace, et à l’image de l’album.
Concernant le casting, rien de neuf sous le soleil swiftien. Enregistré entre Los Angeles, Nashville et New York (aux studios Electric Lady, chic), The Tortured Poets Department a été confectionné avec deux de ses fidèles complices, Jack Antonoff et Aaron Dessner, de The National. Deux duos au compteur, Fortnight où l’on entend (un peu) Post Malone, donc, et Florida !!! avec Florence Welch, qui enrobe de dentelle victorienne le mastodonte pop. Et si l’on analyse la structure sonore, la pop imparable de 1989 (son cinquième album sorti en 2015) n’est pas très loin, portée par les beats lo-fi de Guilty as Sin, la guitare slide témoignant des origines country de Swift sur I Can Fix Him (No Really I Can) ou les superbes cordes du London Contemporary Orchestra sur Clara Bow. Côté narration, pas de surprise non plus : Tay-Tay nous raconte comment on lui a brisé le cœur et comment elle s’en est remise, avec quelques plumes en moins mais le panache renouvelé.
Une jolie blonde ruminant ses chagrins ?
Le morceau-titre, franchement savoureux en termes de songwriting, en témoigne : “Who’s gonna know you, if not me ? I laughed in your face and said, ‘You’re not Dylan Thomas. I’m not Patti Smith. This ain’t the Chelsea Hotel. We’re modern idiots’. And who’s gonna hold you like me? Nobody. Nofuckinbody” (Qui te connaît, sinon moi ? Je t’ai ri au nez et j’ai dit : ‘Tu n’es pas Dylan Thomas. Je ne suis pas Patti Smith. Ce n’est pas le Chelsea hôtel. Nous sommes juste des idiots d’aujourd’hui.’ Et qui va te tenir comme moi ? Personne”).
Plus que la plupart des pop stars américaines, Taylor Swift sait qu’elle a une belle plume et s’en sert comme d’un outil multi-fonctionnel. Lequel est parfois noyé dans des arrangements poussifs, ce qu’on constate sur un But Daddy I Love Him plus acide qu’il n’y paraît… Mais Swift est également consciente qu’on peut la réduire facilement à une jolie blonde ruminant ses chagrins d’amour dévastateurs – d’autant qu’elle en a fait son fonds de commerce. Surtout face à des musiciens au passé sous substances comme son ex Matty Healy, du groupe The 1975, auquel elle fait plusieurs fois référence ici, dézinguant sa respectabilité de bad boy qui se prend pour un poète maudit.
Une artiste ambitieuse, en quête d’amour
Avec My Boy Only Breaks His Favourite Toys, elle souligne par ailleurs la capacité masculine à faire de leur compagne un jouet-trophée pour mieux le disloquer. Quand il fait référence à un groupe WhatsApp, créé par son ancien grand amour Joe Alwyn avec (les irrésistibles) Paul Mescal et Andrew Scott, The Tortured Poets Department n’explore pas seulement son aventure avec Healy : l’album retrace, plutôt avec bienveillance mais aussi parfois avec colère, sa rupture avec l’acteur britannique. En témoigne l’un plus beaux titres du disque, écrit avec Dessner, So Long London : “I’m pissed off you let me give you all that youth for free.” Les rythmiques electro se pressent autour de son angoisse, sans jamais connaître d’explosion salvatrice. “Ça me rend dingue que tu m’aies laissé te donner toute ma jeunesse gratuitement” : qui ne se l’est jamais marmonné à soi-même après l’agonie d’une relation longue durée ?
Surtout lorsqu’on est une femme soumise aux diktats de péremption imposés par la société patriarcale. Pas le droit d’être amoureuse, malheureuse et de le montrer, sinon on est niaise. Ou croqueuse d’hommes – même Joni Mitchell y a jadis eu droit. Pas le droit d’être une femme d’affaires avertie, sinon on est vénale. Pas le droit de faire de la pop calibrée aux refrains à reprendre en chœur, sinon on n’est bonne qu’à touiller la soupe. Le rap à succès actuel n’étant pas moins formaté, on peut s’interroger sur ces démonstrations de snobisme face à une chanteuse pop qui n’a pourtant jamais cherché à se faire passer pour autre qu’elle-même : une artiste ambitieuse, en quête d’amour de la part du monde entier.
31 titres
Mais puisqu’il s’agit de pop, Swift s’amuse avec des punchlines immédiatement inscrites dans nos rétines : “Now I’m down bad crying at the gym / Everything comes out teenage petulance / ‘Fuck it if I can’t have him’” (“Maintenant, je suis déprimée, je pleure à la salle de sport / Tout ressort avec une pétulance adolescente / ‘Je m’en fous si je ne peux pas l’avoir’”), confesse-t-elle dans Down Bad. Cette aptitude à rendre son écriture immédiatement visuelle, voire cinématographique, ou du moins clipesque, Taylor Swift la cultive toujours avec dextérité.
N’alignant pas les tubes, rusé et produit au millimètre, The Tortured Poets Department est plutôt réussi, mais ne surprend guère. Hormis par sa longueur : aux 16 pistes originelles se sont ajoutées last minute une version Anthology de 15 autres titres, qu’on pourrait d’emblée croire dispensables. À tort. Le rythme s’y ralentit, les ballades sont moins dissimulées derrière une rutilante armure pop. Place à l’organique du piano sur How Did it End? ou de la guitare avec The Prophecy : “Don’t want money / Just someone who wants my company” (“Je ne veux pas d’argent / Juste quelqu’un qui cherche ma compagnie”). Entre toutes ces complaintes, et une baisse de régime prompte à l’ennui, se glisse le slacker rock de So High School, afin de remonter le moral des foules. Et celui de Taylor Swift, par la même occasion. C’est là que réside l’un des enjeux narratifs de The Tortured Poets Department : la manière dont elle se livre à ses fans dans ses morceaux a autant participé à la gloire de son autrice qu’à ses failles affectives.
Une écriture cathartique
Sur la conclusion du premier volet de The Tortured Poets Department,Clara Bow, elle souligne le gouffre que peut représenter la célébrité. Pour rappel, Bow, à qui Swift a souvent été comparée, avait été réduite au rang de it-girl enchaînant les relations amoureuses. Elle avait choisi de se retirer d’un show-business maltraitant. On a beau lui rappeler ses similitudes avec la chanteuse Stevie Nicks (“In ’75, the hair and lips / Crowd goes wild at her fingertips Half moonshine, a full eclipse”), Swift n’est pas dupe : un jour, on dira à une autre qu’elle ressemble à Taylor Swift. La conclusion de la version Anthology, The Manuscript, en dit long sur ce que signifie livrer un album : aussi intime soit-il, il ne nous appartient plus dès lors qu’on le partage : “The only thing that’s left is the manuscript / One last souvenir from my trip to your shores / Now and then I reread the manuscript / But the story isn’t mine anymore” (“Il ne reste plus que le manuscript / Un dernier souvenir de mon voyage sur tes rivages / De temps en temps je relis le manuscript / Mais l’histoire n’est plus la mienne”). Et si l’on souffre, ne jamais oublier de sourire au public. Côté cœur ou sur scène, the show must go on – un thème récurent de son corpus, qu’elle exprime plus directement dans I Can Do It With a Broken Heart : “He said he’d love me all his life / But that life was too short / Breaking down I hit the floor / All the pieces of me shattered / As the crowd was chanting ‘MORE!’.”
Paradoxalement, Swift garde le pouvoir sur ce qu’elle a de plus précieux : son écriture cathartique. “I was tame, I was gentle / Til the circus life made me mean / Don’t you worry folks, / We took out all her teeth / Who’s afraid of little old me ?! / Well you should be.” (“J’étais apprivoisée, j’étais douce / Jusqu’à ce que tout ce cirque me rende méchante / Ne vous inquiétez pas les amis / Nous lui avons arraché toutes les dents / Qui a peur de mon petit vieux moi ?! / Eh bien, tu devrais l’être”), chante-t-elle dans Who’s Afraid of Little Old Me.
Si, après l’écoute de The Tortured Poets Department, Taylor Swift ne parvient toujours pas à nous effrayer, elle nous aura un peu plus attaché à ce qu’elle est : une artiste mainstream chargée de symboles (affectifs, politiques, économiques) s’agitant comme des breloques, mais qui puise inlassablement dans l’intimité d’une chambre à coucher. Elle continue d’en fixer obstinément le plafond, habitée par ses rêves d’amour, de gloire et de beauté. Devenus réalités, combien de temps encore pourront-ils lui fournir sa substance musicale ?
Taylor Swift, The Tortured Poets Department, Polydor/Universal.
C’est son ultime album. Du moins, sa dernière proposition musicale sous ce format qu’il ne juge plus adapté à la manière dont il a envie de s’exprimer désormais. Qu’on se rassure : à 75 ans, Alain Chamfort n’a pas de panne d’inspiration, seulement envie d’une Apocalypse heureuse, du nom de la superbe ouverture façonnée par Benjamin Lebeau (The Shoes).
C’est l’une des nombreuses rencontres fructueuses pour L’Impermanence, qui cultive le même terrain stylistique que Le Désordre des choses. Lequel, en 2018, évoquait le temps passé et les rides – envisagées comme des Microsillons –, invitant déjà le claviériste Johan Dalgaard et Julien Delfaud, dont le sens du mixage a également été remarqué chez Lou Doillon ou Keren Ann.
Un morceau découvert sur un EP collaboratif avec Sébastien Tellier
Si la deuxième piste, Dans mes yeux, témoigne de la dextérité electro de Benjamin Lebeau, Alain Chamfort conjure l’âge incompressible grâce à son timbre en mêlant, dans Vanité vanité, le spoken word à un refrain suave et malin…
La ballade acoustique Par inadvertance confirme le lien noué par Chamfort, compositeur émérite, et Pierre-Dominique Burgaud, son complice en écriture depuis des années. Un morceau autofictionnel traitant de l’amour et du hasard, “au bonheur la chance, au malheur aussi”, de ce qu’est d’écouter son instinct, l’humeur vagabonde depuis l’enfance. Fidèle à un Chamfort perfectionniste, mais jamais carriériste.
“Après la vague reste l’écume/Après le naufrage la brume/Après la boucherie la coutume/Nous ne fîmes que ce que nous pûmes”, chante-t-il sur le mélancolique À l’aune, habité par le saxophone d’Adrien Daoud. Le constat, encore et toujours.
Du Whisky glace“en attendant que tout s’efface”
Capable de convoquer l’ensemble à cordes de l’Archipel sur une grande partie de l’album, dirigé avec sensibilité par Clément Ducol, Chamfort sait aussi se montrer plus badin, comédien de studio, notamment aux côtés de Sébastien Tellier sur le Whisky glace – “en attendant que tout s’efface” – découvert dans un EP collaboratif avec le chanteur barbu paru en début d’année, à la fois glamour et ludique.
Ou sur la pop Motown de Tout s’arrange à la fin, aux cuivres enlevés et à l’optimisme mordant sur lequel Alain Chamfort retrouve son parolier allié de jadis, Jacques Duvall. “Saurais-je partir en beauté ?”, demande-t-il ici. “Aurais-je su toucher la grâce ?”, s’interroge-t-il là, dans une bouleversante confession qui nous est autant destinée qu’à lui-même.
Une forme
Dans cette “vie qui tabasse”, Alain Chamfort a su prendre une place singulière, à la fois populaire et élitiste, qu’on ne voit guère être remplacée. Car avec L’Impermanence, il synthétise autant qu’il sublime ses désirs mainstream, son art ourlé de la chanson, ses calmes avant la tempête, ses victoires humbles et sa fragilité assumée, “le mal et les fleurs”.
L’éphémère gravé dans le marbre, le piano chic, le bonjour à la tristesse. Les larmes aux yeux, mais avec le sourire, et la pop anglo-saxonne toujours en ligne de mire pour le plus élégant des chanteurs français postmodernes.
L’Impermanence (Tessland/BMG). Sortie le 22 mars. En concert au Point Éphémère, Paris, le 6 juin et en tournée française.
Dès l’ouverture de l’album, Venal Joy, Jim Reid (se) répète “I’m all right, I’m OK”, tel un mantra. Une manière de se convaincre que tout va bien ? Il nous répond que non, ça va… Même si on ne le rajeunit pas en remontant aux sources d’un disque rappelant à chaque sillon d’où vient The Jesus and Mary Chain et ce qu’il a pu apporter de précieux au shoegaze.
“Quarante ans depuis notre premier concert, c’est fou. Rien n’avait semblé réel jusqu’à ce jour de juin 1984. Le groupe avait véritablement pris forme et il n’y avait plus aucun moyen de l’arrêter. Qui aurait cru que ça durerait jusqu’à aujourd’hui ?” Surtout pas son frère William et lui, alors âgés de 26 et 23 ans : “À cet âge-là, impossible de se projeter au-delà de la semaine suivante, et l’idée même d’atteindre la soixantaine était inenvisageable. Mais nous y sommes, nous faisons toujours de la musique, et ça fait toujours du bien. Alors, pourquoi diable s’en priver ?”
Le sens de la lancinance toxique
En effet, pourquoi, à l’écoute de ce Glasgow Eyes remonté comme un coucou mécanique ? Sont déroulés une réflexion ironique sur la fascination exercée par les États-Unis, American Born, un bizarrement nommé Mediterranean X-Film trituré de cordes anxieuses, le single Jamcod, exercice de style marychainien manipulant synthétique et organique avec une fierté toute postpunk, un Discotheque rappelant qu’il faut danser jusqu’à en vomir s’il le faut, suivi d’un Pure Poor brillant d’une nonchalante mélancolie (shoegaze forever).
Plus loin, The Eagles and the Beatles contrefait les riffs d’I Love Rock ’n’ roll pour évoquer les groupes sus-cités, donc, mais également Brian Jones ou Sex Pistols. C’est drolatique et ça aurait pu faire les belles heures de MTV à ses débuts. Quand les Silver Strings assènent un immuable tempo appuyé de synthés pop, la conclusion de Hey Lou Reid (sic) évoque ouvertement le Velvet Underground. Sans oublier l’influence de Kraftwerk, de Suicide, des Beach Boys. Et ces guitares des frères Reid, à la fois si dissonantes et si justes.
“S’il fallait pisser sur ma guitare pour en tirer un son intéressant, je le ferais.” Jim Reid
“À la naissance du groupe, nous avions envisagé de ne pas utiliser d’instruments. Certains groupes jouaient avec des perceuses et des meuleuses d’angle… C’était le punk rock ultime. La guitare n’est pas un objet de culte pour moi, seulement un outil très utile pour donner vie à nos chansons. Mais s’il fallait pisser dessus pour en tirer un son intéressant, je le ferais.” Doux Jésus !
Une relation fraternelle enfin apaisée
Si la rythmique hyper visuelle de Second of June offre une preuve sonore de la vitalité intacte du Mary Chain, Chemical Animal est lancinant, toxique donc, et assume ses angoisses, à l’image des douze pistes de Glasgow Eyes :“Entrer en studio, c’est très stressant. Rien n’est jamais simple. On peut assurer un jour, foirer le lendemain, le disque peut sembler devenir incontrôlable. Puis on arrive au stade du mixage. Enfin, comme ces dernières semaines, le fil semble se dérouler comme par magie. On réécoute les morceaux et on se dit qu’une sorte de magie noire a fait son effet.” Inutile, donc, de le faire discourir sur le sens des chansons : “En fait, je crois que c’est juste parce que nous ne réalisons pas vraiment ce que nous faisons que nous y parvenons.”
Enregistré dans le studio de Mogwai, le beau Castle of Doom, en plein cœur de la capitale écossaise, le disque n’a pas connu de bagarres sous substances ni de disputes irréconciliables, en tout cas rien qui ne vaille la peine d’être mentionné par Jim Reid, lui qui n’a jamais caché sa relation tumultueuse, “rocky” en VO, avec William : “Beaucoup de hauts et de bas. Il y a aussi de l’amour, mais teinté d’un peu de haine… Nous avons appris à nous faire confiance. Dans les années 1990, on n’avait aucun plaisir à être ensemble. Alors qu’aujourd’hui, le désir de faire un album prend le dessus, et il est donc préférable que nous nous entendions bien plutôt que de nous crier dessus ou de nous entretuer.”
Le retour au bercail offre donc à Glasgow Eyes une cohérence et une texture immédiatement aimables : “Nous en avons souvent marre de ce que propose la musique actuelle. La meilleure chose à faire est alors de la fabriquer nous-mêmes. Même s’ils sont destinés à être aimés par d’autres que nous, nos disques sont ceux qu’on a envie d’entendre.” Et nous donc.
Glasgow Eyes (Fuzz Club Records/Wagram). Sortie le 22 mars. Concert le 13 avril à l’Élysée Montmartre, Paris.