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Cannes 2024 : un court métrage de Judith Godrèche rejoint la Sélection officielle

Par : Arnaud Combe
7 mai 2024 à 16:00

Intitulé Moi aussi, le court métrage de Judith Godrèche sera présenté lors de la cérémonie d’ouverture d’Un certain regard, en salle Debussy du Palais des festivals et au Cinéma de la plage, en accès libre, le 15 mai.

La force du collectif

Devenue fer de lance de la lutte contre les abus sexuels dans le cinéma français, Judith Godrèche poursuit son sillon militant avec son nouveau court métrage, inspiré de témoignages de victimes. Moi aussi est décrit par le festival comme un film “en forme d’œuvre chorale composé de récits personnels énoncés par fragments et met en scène ce chemin âpre, mais salvateur, de la douleur sans mots au début d’une libération par la parole”

Moi aussi, un court métrage inédit de Judith Godrèche présenté à #Cannes2024 !

L'actrice signe une œuvre chorale qui met en lumière les récits de victimes de violences sexuelles.

Le Festival de Cannes fera résonner ces témoignages le 15 mai, lors de la cérémonie d’Ouverture du… pic.twitter.com/KTr7ZDIzoc

— Festival de Cannes (@Festival_Cannes) May 7, 2024

L’Assemblée nationale crée une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma français

2 mai 2024 à 10:38

“Il est temps d’arrêter de dérouler le tapis rouge aux agresseurs”, réagit l’écologiste Francesca Pasquini, après que sa proposition de résolution pour une commission d’enquête sur les violences sexuelles a été acceptée à l’unanimité ce jeudi 2 mai. Les 52 votant·es présent·es à l’Assemblée nationale ont ainsi adopté une nouvelle commission chargée d’“évaluer la situation des mineurs évoluant au sein des secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de publicité”. Son champ d’investigation a, par ailleurs, été étendu aux majeur·es par la commission des affaires culturelles.

Pour ce faire, la commission devra “identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces éventuels abus et violences”, “établir les responsabilités de chaque acteur en la matière”, et “émettre des recommandations sur les réponses à apporter”.

“Je compte sur vous pour protéger les enfants”

Présente dans l’hémicycle, Judith Godrèche a réagi avec émotion à la décision de l’Assemblée nationale. L’actrice avait ainsi demandé la création de cette commission lors de ses auditions auprès des deux chambres parlementaires déclarant “je compte sur vous pour protéger les enfants, ne plus les livrer au cinéma sans protection”. Une seconde victoire donc, après la mise en place par le CNC d’un accompagnement systématique des mineur·es sur les tournages.

Le lancement de cette nouvelle commission d’enquête survient alors que la parole des victimes continue de se libérer, Isild Le Besco ayant publié, ce mercredi, Dire vrai, un livre dans lequel elle accuse Benoît Jacquot de l’avoir violée.

Jacques Audiard, Reda Kateb, Emmanuel Mouret : 100 hommes signent une tribune en soutien à #MeToo

30 avril 2024 à 12:19

Dans une tribune publiée ce mardi 30 avril sur le site Elle.fr, près de 100 hommes, principalement issus du milieu culturel, manifestent leur soutien au mouvement #MeToo. Parmi les signataires, on relève les réalisateurs Jacques Audiard et Emmanuel Mouret, les acteurs Swann Arlaud ou Reda Kateb, mais aussi le couturier Christian Lacroix, des journalistes tels qu’Edwy Plenel, des mathématiciens, dont l’initiateur de la démarche, Michel Broué.

Soutien contre les violences sexistes et sexuelles

“Nous avons compris combien des comportements masculins parfois jugés anodins étaient vécus par les femmes pour ce qu’ils étaient : des abus” peut-on lire dès les premières lignes. Ces hommes disent ne pas “se reconnaître dans cette masculinité hégémonique” avant de rappeler que “la pratique de l’égalité est désirable, elle n’enlève ni la liberté ni le plaisir, mais les accroît”.

Aux personnes cherchant des excuses aux agresseurs, ils répondent : “Entendre ‘c’était une autre époque, on ne se rendait pas compte’ est irrecevable.” Un texte soutenu par une vingtaine de femmes dont Christine Angot (Une famille), Annie Ernaux et Charlotte Arnould et qui survient un mois après la prise de parole de six acteurs (dont Reda Kated) sur le mouvement #MeToo dans le cinéma français suite aux déclarations de Judith Godrèche

Ce milieu n’est d’ailleurs pas épargné, puisque selon les signataires, “il est révoltant que le théâtre et le cinéma servent de couverture à des abus qui n’ont rien à voir avec l’art […] Il est révoltant de se servir de son prestige, quel qu’il soit, pour abuser de l’admiration qu’il éveille”. “Il s’agit d’épargner à plus de la moitié de l’humanité des agressions graves. De construire un monde meilleur, plus intelligent, plus respectueux, plus égalitaire. Nous en serions honorés et enrichis.”, concluent-ils. Un discours fort à propos, alors que Gérard Depardieu vient d’être convoqué devant le tribunal correctionnel afin d’être jugé en octobre prochain.

Les mineurs devront bientôt être accompagnés sur les tournages  

Par : Arnaud Combe
15 avril 2024 à 17:17

En février dernier, lors de son audition au Sénat, Judith Godrèche réclamait la nécessité d’une réforme dans le suivi des jeunes acteur·ices dans le cinéma français en proposant différentes mesures. Parmi elles, l’actrice intimait notamment la mise en place d’un accompagnement indépendant de la production pour les mineur·es afin qu’ils ou elles ne se retrouvent pas seul·es avec de potentielles dérives.

Sa voix a été entendue. Alors que près de 4 000 enfants sont autorisés chaque année dans des productions, RTL a révélé que des négociations entre des professionnel·les du secteur du cinéma étaient en cours pour rendre obligatoire la présence de coachs ou des parents sur les plateaux de tournage. 

Garantir la protection des mineur·es

Ce poste va devenir obligatoire pour tous les enfants de moins 16 ans qui tournent sur un film. L’obligation résultera du fait que le CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, ne délivrera pas d’aides aux films qui ne respecteraient pas cette règle”, a fait savoir Valérie Lépine, déléguée générale de l’union des producteurs de cinéma. Pour garantir la protection des mineur·es les accompagnant·es devront présenter des extraits de casiers judiciaires ou disposer d’une preuve d’expérience éducative suffisamment significative. 

Ce sera aux producteur·rices, responsables aux yeux de la loi des conditions de travail sur les plateaux, de faire appliquer ces garanties. Pour l’heure, aucune date d’entrée en vigueur n’a encore été programmée.  

Anna Mouglalis : “Beaucoup d’actrices sont des survivantes”

7 avril 2024 à 17:00
l'actrice Anna Mouglaiis, à la manifestation féministe du 8 mars 2024, journée internationale des droits des femmes. Women demonstrate for women's rights during International Women's Day.

Pensez-vous que la France vit, avec un retard de six ans, l’équivalent du MeToo américain dans le cinéma ?
Anna Mouglalis — Je ne pense pas que le mouvement qui prend forme en France produise les mêmes effets de cohésion qu’aux États-Unis. Le cinéma américain a produit de grands signes qui marquaient une prise de conscience très forte, comme cette cérémonie des Golden Globes [en 2018] où tous les participants étaient vêtus en noir à l’initiative de Time’s Up. Le mouvement a levé 20 millions pour un fonds d’assistance juridique et mobilisé 200 avocats bénévoles. À la suite des accusations de Dylan Farrow, certains acteurs et actrices qui ont joué dans des films de Woody Allen ont reversé leur cachet à Time’s Up. Dans le même moment, le mouvement Ask More of Him, à l’initiative de David Schwimmer, fédérait des acteurs dénonçant le sexisme dans le cinéma. Aux États-Unis, quelque chose d’une responsabilité collective a été entendu et rayonne dans le monde.

En revanche, Woody Allen est venu tourner en France, où Roman Polanski avait déjà trouvé refuge. Johnny Depp a monté les marches du Festival de Cannes pour la cérémonie d’ouverture, tandis qu’on entendait en fond la chanson Douce France de Charles Trenet, ce qui est loin d’être insignifiant… Et Dominique Boutonnat [accusé d’agression sexuelle sur son filleul et en attente de son procès en juin] est non seulement maintenu à son poste de président du CNC, mais en plus promu au conseil d’administration de France Télévisions par Emmanuel Macron.

Le cinéma français ne connait-il pas néanmoins un tournant, du point de vue de la mise en cause des pratiques d’abus et de violence ?
En effet, au niveau de l’expression et de l’échange d’expériences, de la mise en place de paroles préventives, quelque chose évolue. C’est aussi très bien qu’avec MeTooGarçons, les hommes puissent prendre la parole sur les abus qu’ils ont subis. Mais il faut commencer par acter que les agresseurs sont presque exclusivement des hommes et les victimes, très majoritairement des femmes.

Étiez-vous dans la salle durant la dernière cérémonie des César ?
Non, j’étais à l’extérieur avec divers collectifs féministes et la CGT. Cela me paraissait extrêmement important d’être là et de soutenir la prise de parole de Judith Godrèche face aux professionnels et au public, et qu’elle sache qu’elle n’était pas seule.

“Il y a des facteurs spécifiques au cinéma qui favorisent les scénarios d’emprise”

Pensez-vous que si le cinéma est l’espace le plus visible de la dénonciation des violences sexuelles et sexistes, c’est parce qu’il est un lieu où ces pratiques sont exacerbées ?
Il y a des facteurs spécifiques au cinéma qui favorisent les scénarios d’emprise. Je pense que ce que recherchent les metteurs en scène chez une actrice, c’est souvent une sorte de vulnérabilité charismatique. Cette vulnérabilité est particulièrement palpable quand on a été agressée. Beaucoup d’actrices sont des survivantes. Ce qui est spécifique au cinéma, c’est aussi le spectacle de l’impunité des agresseurs. De ce point de vue, les déclarations d’Emmanuel Macron sur Gérard Depardieu sont ahurissantes.

Malgré tout, les signaux viennent d’un peu partout. Des acteurs et des actrices du dernier film de Jacques Doillon déclarent ne pas souhaiter soutenir la sortie du film [à ce jour reportée sine die]. La Cinémathèque française annule la projection d’une copie restaurée d’un film de Benoît Jacquot. Je ne suis évidemment pas pour qu’on cesse de montrer à jamais les œuvres de cinéastes accusés d’agression, d’autant plus que souvent les œuvres parlent d’elles-mêmes. Mais il faut accompagner leur projection, les circonstancier, ne pas faire comme s’il ne se passait rien et retomber dans le déni.

Une dynamique de prise de parole qui ne peut que s’amplifier ne s’est-elle pas mise en place ?
Un autre signe du changement, c’est qu’on peut désormais montrer du doigt les personnalités du cinéma qui ne sont pas directement accusées, mais qui choisissent de rester dans le silence. On attend une parole de tous et toutes. Chacun se doit de s’exprimer face aux médias, car l’opinion bouge et les gens ont besoin de se situer. Comme l’a formulé Denis Mukwege [Prix Nobel de la paix 2018], “si vous ne travaillez pas à une solution, vous faites partie du problème”. Par ailleurs, les affaires s’enchaînent dans tous les milieux. Une tribune signée par 455 femmes met en cause le milieu littéraire. Le Prix Goncourt de poésie 2022, Jean-Michel Maulpoix, vient d’être reconnu coupable de violences conjugales. Il ne se passe pas une semaine sans qu’une nouvelle affaire ne sorte.

“Le viol est un crime. Pour un meurtre, on ne se demande pas si la victime était consentante.”

Les prises de parole de Judith Godrèche n’ont-elles pas joué un rôle de catalyseur dans cette implication de chacune et chacun ?
C’est incontestable. Le récit de Judith Godrèche suscite une émotion très forte, a accéléré une prise de conscience et provoqué d’autres témoignages. Cette parole a été rendue possible, comme elle l’a dit elle-même, par d’autres récits préalables : le livre de Vanessa Springora, Le Consentement ; celui de Neige Sinno, Triste Tigre. Il y a eu la prise de parole d’Adèle Haenel, puis celle d’Emmanuelle Béart. L’impact est très fort parce qu’il s’agit de violences sur mineures. Quand la victime est mineure, c’est évident qu’il ne s’agit pas de sexe mais de violence. Pour une partie de l’opinion, c’est plus complexe quand il s’agit d’une femme adulte. Plane toujours le soupçon qu’il y aurait “un peu” de consentement. Alors que dans tous les cas, on ne parle pas de sexualité mais de violence, de domination et d’humiliation. Le viol est un crime. Pour un meurtre, on ne se demande pas si la victime était consentante.

Quels sont les principaux objectifs à atteindre ?
C’est un problème de santé publique, qui demande une réponse politique. 94 000 femmes et 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année ; on compte 900 féminicides depuis le début de la présidence Macron ; 250 000 femmes sont victimes de violence conjugale chaque année. Derrière chacun de ces chiffres, il y a une personne réelle. Je pense qu’il est primordial aussi que la Ciivise, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, créée il y a trois ans, soit remise en place avec son équipe originale. Le juge Édouard Durand en a été écarté après la production d’un rapport comportant 82 préconisations réalistes et réalisables. Plutôt que de mettre en œuvre ce rapport, le gouvernement a démis le juge Durand et a choisi d’élargir la mission. Onze membres ont démissionné à la suite du changement de présidence.

Parmi elles et eux, il y avait la psychiatre Muriel Salmona, dont le travail sur la mémoire traumatique est très important dans la reconnaissance des violences sexuelles et constitue un outil crucial pour légitimer leur imprescriptibilité. Mais aussi la psychologue Ernestine Ronai, spécialisée dans la violence faite aux femmes et aux enfants, et qui a créé à l’université Paris 8 un diplôme en politique de prévention et lutte contre ces violences. Ou encore la médecin Emmanuelle Piet, qui préside le Collectif féministe contre le viol et a reçu 77 000 témoignages depuis 1986. Toutes les compétences ne sont pas remplaçables. La Ciivise a mis en place une doctrine nationale qui ne peut être poursuivie qu’avec ces personnes.

“Tant qu’il n’y aura pas de volonté politique forte, il y aura toujours autant de violences sexistes et sexuelles en France.”

La France est-elle en retard sur d’autres pays européens dans la mise en place d’une politique préventive et répressive sur ces questions ?
Huit plaintes ont été déposées devant la Cour européenne des droits de l’homme parce qu’elles avaient été classées sans suite en France, pour “faits insuffisamment caractérisés”. Tant qu’il n’y aura pas de volonté politique forte, il y aura toujours autant de violences sexistes et sexuelles en France. L’Espagne a par exemple réussi à infléchir de façon vraiment sensible la courbe des féminicides. Les militantes espagnoles ont obtenu des actions fortes, telles que soit montrée au journal télévisé la photo de chaque victime de féminicide. Le mot “macho” vient d’Espagne. Mais il y a aussi une réflexion et un travail de déconstruction menés sur la culture du machisme.

La France a un complexe de supériorité. Elle ne se confronte pas à son sexisme. Il n’existe pas de formation suffisante dans les commissariats sur ces questions. Ni auprès des magistrats. Il n’y a pas de budget alloué à ça. Il va falloir arrêter l’hypocrisie. “Dans quel état de guerre vivons-nous?”, comme l’écrivait Annie Cohen. La Fondation des femmes estime à plus de deux milliards d’euros le budget annuel que l’État devrait consacrer à la protection des victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS). Lorsque Emmanuel Macron a décidé de créer la Ciivise, il s’est adressé aux victimes d’inceste en disant “on vous croit et vous ne serez plus jamais seuls”. Cette promesse, il faut la tenir auprès de toutes les victimes. Il faut agir, faire le choix d’une société vraiment égalitaire et moins violente.

Judith Godrèche : “Faire face m’a pris toute une vie”

3 avril 2024 à 17:00

Il est rare d’entendre des textes aussi puissants, d’autant plus à la cérémonie des César. Si, au départ, l’Académie avait invité Judith Godrèche à remettre un prix, c’est finalement une tribune qui lui sera proposée, et qu’elle acceptera. Pendant des jours, elle peaufine une intervention de six minutes. Dit comme ça, ça paraît court ; dans le contexte télévisuel, c’est très long. 

La force de ses phrases nous frappe encore : “N’incarnons pas des héroïnes à l’écran pour nous retrouver cachées dans les bois dans la vraie vie” ; “Pour se croire, encore faut-il être crue” ; “Ayons le courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas” ; “Il faut se méfier des petites filles. Elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent. Les petites filles sont des punks qui reviennent déguisées en hamster. Et, pour rêver à une possible révolution, elles aiment se repasser ce dialogue de Céline et Julie vont en bateau. Céline : ‘Il était une fois.’ Julie : ‘Il était deux fois. Il était trois fois.’ Céline : ‘Il était que cette fois, ça ne se passera pas comme ça, pas comme les autres fois.’”


Il est ici question d’un film de Jacques Rivette sorti en 1974. Quant au hamster, il s’agit d’un clin d’œil à l’excellente série que Judith Godrèche vient de sortir sur Arte, Icon of French Cinema. Standing ovation dans la salle. Derrière ses lunettes, Judith Godrèche est émue, elle sourit de son large sourire.

Pour les répétitions de la soirée, Judith se rend à l’Olympia en début d’après-midi. Eh oui, une soirée comme ça, ça se répète, minutieusement. Mais elle refuse de donner son discours, refuse le prompteur. Personne n’y aura accès avant qu’elle ne l’énonce, dans le plus grand calme. Pour se préparer mentalement à tenir le choc, elle écoute en boucle Masterpiece de Big Thief. Elle se forme un cocon méditatif. Après le discours, retour en coulisses. Elle y retrouve Tess Barthélemy, sa fille, Florence Narozny, l’attachée de presse de sa série, devenue un pilier. Sur sa loge est inscrit : Judith Godrèche, Juliette Binoche. Une loge commune avec l’actrice dont elle a fait de la confusion entre leurs noms un comique de répétition hilarant dans sa série (des passant·es la confondent avec Binoche, des producteurs lui préfèrent Binoche). Elle regarde à peine la suite de la cérémonie, n’est pas dans un état festif, ni même social. Elle refuse les photos, le tapis rouge, tout le tralala.

Le feu aux poudres

“J’ai eu le sentiment d’être dans Festen. J’étais celle qui venait cracher au dîner de famille”, nous dit-elle. Nous sommes le mercredi 6 mars, il est 15 heures et nous avons enfin trouvé un créneau pour rencontrer Judith Godrèche. Car Judith n’a plus une minute, entre ses enfants, les interviews, les répétitions pour un spectacle qu’elle présentait le 8 mars à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes au Théâtre de la Concorde (texte de sa plume, musique de Faux Amis, chorégraphie d’Eva Galmel et, sur scène, sa fille Tess Barthélemy), les relectures d’articles, les entretiens avec son avocate ou son attachée de presse. Dans son appartement, deux chiens et trois chats nous accueillent, et Judith, qui mange une assiette de quinoa arrosé de ketchup. “Désolée, je n’ai plus le temps de faire à manger”, lâche-t-elle en riant de son rire si communicatif, le regard vibrant. “Ce qui m’a décidée à parler aux César ? J’ai beaucoup hésité. Je ne voulais pas m’abriter derrière Instagram, l’idée de ce face-à-face me semblait importante. Faire entendre ma parole dans ce contexte-là. Ça a été douloureux à préparer. Mais j’étais dans un endroit de vérité, en contact avec moi-même.”

Pour dialoguer avec Judith Godrèche, il faut se préparer à passer d’une volubilité enthousiaste à des instants suspendus, des silences douloureux. L’actrice frappe par sa sincérité, sa douceur, son envie de partager son combat, ses idées. On lui demande si elle a été déçue par le manque de réactions et de soutiens à son discours pendant le reste de la cérémonie : “Je n’avais aucune ‘expectation’, comme on dit en anglais. Ce n’est pas du cynisme, mais j’ai vécu toute ma vie dans le milieu du cinéma et je sais que les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain. D’autres ont parlé avant moi. Je suppose que beaucoup se posent la question, aussi, de leur propre vécu. Dès lors, comment rebondir immédiatement, en pleine cérémonie ? Les mots sont importants, il faut leur laisser une chance.”

Judith Godrèche a embrasé le cinéma, mais aussi la société française. Sans le conscientiser, insiste-t-elle, sans y avoir réfléchi. Tout est parti de sa série, Icon of French Cinema, diffusée fin décembre 2023. Mais remontons un peu en arrière. Judith Godrèche revient de dix années passées à Los Angeles où elle a joué dans des films indépendants. Le 5 octobre 2017, les journalistes Jodi Kantor et Megan Twohey publient dans le New York Times leur première enquête sur Harvey Weinstein, accusé de nombreux viols.

Pour un second papier, Jodi Kantor a recueilli d’autres témoignages d’actrices et contacte Judith Godrèche qui, dans un premier temps, ne souhaite pas parler par peur de perdre sa carte verte et de s’attaquer à l’un des producteurs les plus puissants d’Hollywood. “Vous savez, aux États-Unis, dans un contexte aussi délicat et dangereux, les journalistes ne vous disent rien. Vous ne savez pas combien de témoignages ont été ou vont être recueillis. Rien.” L’actrice et cinéaste Lena Dunham et l’écrivain Jonathan Safran Foer s’en mêlent et la persuadent de raconter. “C’était un saut dans le vide, mais ils m’ont assuré que je ne serais pas seule.”

L’agression a eu lieu en 1996 au Festival de Cannes, où elle était venue avec l’équipe présenter le film Ridicule de Patrice Leconte. Weinstein voulait en acheter les droits pour l’étranger. Après un premier rendez-vous au petit-déjeuner à l’hôtel du Cap-Eden-Roc, il l’a invitée dans sa chambre d’hôtel pour discuter du marketing autour du film et d’une possible campagne pour les Oscars. Mais bien vite, Weinstein lui a demandé un massage, qu’elle a refusé, puis l’a agressée. Judith s’est débattue et enfuie. Une cadre de la société de production Miramax, auprès de qui elle cherche conseils et soutien, lui demande de ne rien dire pour protéger le contrat. Le deuxième article sort dans le New York Times le 10 octobre 2017. Y témoignent aussi Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie ou encore Rosanna Arquette.

Icon of French cinema

À Los Angeles, après le développement d’une série pour HBO, puis des films dont The Climb, Judith s’accroche à une nouvelle idée. Une série d’autofiction entre le burlesque, la screwball comedy (comédie loufoque) et le drame, qui retrace le retour d’une actrice en France après des années passées aux États-Unis. Elle joue son propre rôle et sa fille Tess Barthélemy celui de sa fille Zoé – “un personnage de fiction”, précise-t-elle. “Afin d’ancrer mon personnage dans une sincérité, je devais raconter son passé.”

Un passé où cette actrice, adolescente, a été la proie de réalisateurs ayant l’âge d’être son père. Quel fut le déclic pour écrire le scénario ? “Je voulais raconter l’histoire d’une Française qui part à la reconquête de son pays et doit faire face à son passé, mais certainement pas un règlement de comptes ou un réquisitoire. Il y a eu l’affaire Weinstein, la sortie du livre Le Consentement de Vanessa Springora qu’une amie m’avait envoyé avec un petit mot, ‘Les lignes bougent’, les propositions de maisons d’édition d’écrire mon enfance que j’ai refusées. Un jour, ma fille, qui est danseuse et actrice, rentre de l’école dans son justaucorps rose. Ce jour-là, ce fut comme une révélation. Un choc. Je me suis revue petite, quand je faisais du ballet.”

Arte décide de la suivre dans la production de ces six épisodes de trente minutes chacun. De retour à Paris pour le tournage, Judith Godrèche cherche un appartement dans lequel tourner, finit par trouver. Celle qui lui ouvre la porte s’appelle Hélène Devynck, journaliste et autrice d’Impunité, dans lequel elle raconte son viol par Patrick Poivre d’Arvor contre qui elle a porté plainte. Hélène ne sait pas de quoi parle la série de Judith, et Judith se souvient à peine de l’histoire d’Hélène. Drôle de coïncidence.

Bourrée d’autodérision, de dialogues mordants – à l’image de son titre –, Icon of French Cinema se démarque dans le paysage sériel et télévisuel français et reçoit un très bon accueil critique et public. Mais plusieurs journalistes lui demandent : vous parlez de Benoît Jacquot, non ? Et de Jacques Doillon ? Judith Godrèche répond qu’elle ne veut pas en parler, que les noms ne sont pas ce qui est important. “J’avais peur que ma série passe à la trappe, ou qu’elle soit écrasée par les noms de Benoît Jacquot ou de Jacques Doillon, que les journalistes ne parlent plus que de ça, alors que j’ai enfin réussi à réaliser un projet qui me ressemble, qui vole de ses propres ailes. C’était un moment particulier et compliqué pour moi.

L’insistance d’Alice Augustin [grand reporter chez Elle], entre autres, m’a bouleversée – en bien, je pense, d’une certaine manière. Au début, je me suis braquée, la peur était paralysante. Mais son féminisme, son soutien étaient troublants. J’ai senti qu’il y avait peut-être, dans cette société de critiques de cinéma qui ont toujours soutenu ces auteurs-là, un point de vue différent. Je n’étais peut-être pas isolée. Ça m’a renvoyé une image de moi-même où j’aurais potentiellement le droit d’être protégée, de me poser des questions sur ce que j’ai vécu. Sur Instagram, je recevais des messages de femmes qui me racontaient m’avoir admirée dans La Désenchantée et être sorties, ados, avec des hommes plus âgés. Je sentais une forme de responsabilité.”

Parmi le flot de messages reçus sur Instagram à la sortie de sa série, Judith obtient un lien vers un vieil article du Monde qui commente un documentaire de Gérard Miller, Les Ruses du désir, datant de 2011. Le psychanalyste y questionne, entre autres, le cinéaste Benoît Jacquot sur ses relations avec des mineures. L’entretien est tout simplement atroce. Un documentaire que Judith Godrèche n’avait jamais vu. “Je lis le papier, puis je regarde le documentaire dont il parle. C’est un énorme choc. Le sujet Judith n’existe plus. Mon visage d’enfant dans ce documentaire, avec les mots de Benoît Jacquot dessus… Il parle de moi comme d’un pantin qu’il anime et désanime. Je ne sais pas ce qui se passe. Mon inconscient décide de me mettre une claque. Je me mets à trembler, à vomir.” Alors, Judith écrit le nom de Benoît Jacquot sur Instagram, ainsi que cette phrase : “La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom.”

Question de timing

Pour les besoins d’une enquête, Judith reçoit Le Monde chez elle. Ce jour-là, elle se décide à ouvrir une valise dans laquelle elle a conservé des souvenirs d’enfance. Parmi eux, une lettre signée de Jacques Doillon. La lettre d’un homme jaloux d’un autre. “La vérité m’a prise par la main. C’était un moment très douloureux.” Elle décide de porter plainte contre les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon. “Je parle avec une avocate qui m’explique que quelque chose en moi a besoin de faire entrer la loi dans cette histoire, que j’ai un besoin de justice. J’ai cherché une avocate pour enfants, pour la petite Judith. Je souhaitais aller à la brigade des mineurs. J’y suis parvenue.” Neuf heures durant, elle retrace une partie de sa vie qu’elle a refoulée pendant des années, “pour continuer de fonctionner”, dit-elle.

Comment résumer cette violence en un paragraphe d’article ? La tâche est quasiment impossible. Nous parlons de cette enfance dans le cinéma français. “La particularité des auteurs est de rencontrer des jeunes filles ayant souvent des rêves d’écriture. Elles ne rêvent pas forcément d’être au firmament, ou à l’affiche d’un blockbuster.” Sur le tournage de La Fille de 15 ans, au printemps 1987, Doillon décide d’une scène de sexe entre elle et lui. Jane Birkin est présente, et racontera dans son autobiographie Munkey Diaries (2018) : “Il embrassait vingt fois de suite Judith Godrèche en me demandant qu’elle était la meilleure prise. Une vraie agonie !” Avec Jacquot, Judith n’a que 14 ans.

“C’est compliqué de penser à soi à cette époque, nous dit-elle. De revoir des photos de soi. Pour me protéger, je ne regardais jamais de photos de tournage de cette époque. Ou ces films. Quand je parlais de mon enfance, de ce versant de ma vie, c’était toujours avec légèreté, dans l’évitement. Faire face, s’ancrer dans son passé, c’est quelque chose qui m’a pris toute une vie. Et je pense que si je n’ai pas pu le faire avant, c’est tout simplement que je n’étais pas prête. L’enfant se sent coupable de ce qu’on lui fait. Il inverse les rôles.”

Elle sort son téléphone et fait défiler de vieilles photographies prises à l’argentique. On y voit une enfant, à côté d’un adulte. “On dirait qu’on forme une famille alors que c’était mon mari, en quelque sorte.” “J’ai toujours compris la violence. Le refoulement est une façon de se protéger. Si un homme me fouette et que j’ai 15 ans, je sais que ce n’est pas normal. Quand on me donne un coup, je sais que c’est de la violence. Quand un homme m’enferme dans son bureau et me force… Je sais que c’est de la violence. Mais je refoule. Il n’y a pas d’autre possibilité en moi que d’être soumise à ce traitement. Je n’ai pas de lieu, de personne pour m’aider… La preuve, regardez comment on est reçues aujourd’hui. Comment j’aurais été reçue à l’époque… Si, à 15 ans, j’avais dit que Jacques Doillon m’avait violée. Mais c’est impensable.”

Cette scène se passe chez Merci, un concept-store/café situé boulevard Beaumarchais à Paris. C’est notre second rendez-vous, le premier s’étant terminé trop rapidement. Un samedi matin, chez Merci, il y a du monde, pas mal de monde. Et tout le monde reconnaît Judith Godrèche. Les femmes s’arrêtent, lui disent “merci”, une passante toque à la vitre et mime un cœur avec ses doigts. La veille, elle s’est rendue à la marche pour la Journée internationale des droits des femmes, aux côtés du collectif Nous toutes, où des militantes manifestaient avec, sur leurs pancartes, des extraits de son discours des César. Elle en est encore chamboulée.

“Certaines femmes m’arrêtaient pour me remercier, mais je n’ai rien fait à part donner la solution d’un Cluedo que n’importe quel journaliste aurait dû résoudre. Je comprends la peur d’un tribunal médiatique, populaire, comme la volonté de laisser la justice faire son travail. La société ne veut pas remettre en question un système patriarcal qui protège les pères. Si on prend toutes les interviews de Doillon et Jacquot, on a la réponse. Tout était là. C’est comme si j’étais une petite graine dans l’engrenage qui le fait se coincer. C’est intéressant, le culte de l’auteur en France. Une divinisation. Ces réalisateurs ont une cour, des gens qui seraient prêts à tout pour eux.”

Elle poursuit : “Les femmes, elles, sont si peu représentées. J’espère que ma prise de parole a donné de l’espoir à d’autres. La France reste très patriarcale. Nous sommes dans un système dont l’instinct premier est de considérer l’enfant et la femme comme des menteurs et le père comme la raison, la sagesse. Si j’ai réussi à surmonter mon angoisse et à faire face à mon milieu, peut-être que ce pied dans la porte donnera l’occasion à d’autres de libérer leur parole.” Avant elle, en même temps, ou à sa suite, des dizaines de femmes ont dénoncé tour à tour Depardieu, Doillon, Jacquot, Miller…

Judith Godrèche est le nouveau visage du MeToo français. Avant elle, il y a eu Christine Angot, Vanessa Springora, Camille Kouchner, Neige Sinno, entre autres. Et, bien sûr, Adèle Haenel qui, en 2020, quittait les César en pleine remise du prix du meilleur réalisateur à Roman Polanski. Adèle Haenel qui a accusé le cinéaste Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel lorsqu’elle avait entre 12 et 15 ans. Judith ne l’a pas contactée. Pas envie de s’imposer, de forcer des amitiés.

“Je ne vais pas imposer aux autres mon besoin de parler. Tout le monde n’a pas forcément envie d’être ramené à ça en permanence. La colère de la vérité, c’est un drôle de truc, qui renvoie à un sentiment d’injustice que l’on peut éprouver très fortement enfant. Chacune l’exprime comme elle le peut. Le problème étant que la société juge les victimes. Il y a les bonnes et les mauvaises victimes, ce qui me choque au plus haut point. Moi, j’ai prononcé un discours, une forme jugée bienséante je suppose, contrairement au fait de se lever et de se casser. On en revient toujours au fait qu’une femme n’est jamais assez bien. Adèle était en colère, et elle avait raison. Sa colère était une excuse pour la société qui ne voulait pas l’entendre. Ils se sont abrités derrière sa colère, comme si  elle leur avait donné, involontairement évidemment, la possibilité de justifier leur indifférence.”

Ici et maintenant

À travers nos conversations avec Judith Godrèche, c’est l’histoire du patriarcat qui nous explose au visage. Enfant puis adolescente, Judith grandit avec l’impression persistante qu’une femme doit être validée par un homme.

“Le désir des Français va aux hommes. Là s’ancre leur amour : vers les acteurs, les hommes populaires. Les femmes sont attendues au tournant et doivent s’excuser d’avoir une opinion, d’exister. Un homme peut souvent dire des bêtises, faire des erreurs, sans qu’on lui tombe dessus. C’est comme si les femmes devaient correspondre à des standards. Lorsque j’ai quitté Benoît Jacquot, je me suis demandé si j’avais le droit d’exister sans lui. Comment oserais-je faire du cinéma sans que lui valide mes choix ? C’est une longue histoire d’emprise qui perdure bien au-delà de mon départ. Cette impunité, celle de réalisateurs qui évoluent dans une société permissive et féodale, crée ce sentiment de peur. J’ai eu peur – je me suis sentie à la merci des agresseurs – car les adultes de ce milieu fermaient les yeux. Aujourd’hui, les choses doivent changer. Il est impossible pour moi, justement parce que j’en sais trop, de passer mon chemin sans vouloir faire changer les choses.”

Lorsqu’on lui demande si elle recherche toujours l’aval d’un réalisateur, Judith Godrèche évoque le chemin qui lui reste à parcourir : “Je vous le dirai la prochaine fois, mais j’espère avoir évolué. La route est longue. J’ai vécu toute ma vie ainsi. C’est un pli qui s’est recréé à l’infini. Je me souviens de parler de mon travail en disant par exemple : ‘Alexander Payne a adoré le scénario.’ Adolescente, je ne me suis jamais sentie légitime de parler dans les dîners d’adultes que je fréquentais. Je me suis toujours tournée vers l’homme pour savoir si j’avais raison. Aujourd’hui, je crois que j’arrive à m’exprimer de manière posée. Car c’est ma vérité. Je n’ai plus besoin qu’un adulte valide quoi que ce soit. C’est ma vérité.”

Judith Godrèche tient des propos passionnants sur son rapport au féminisme et aux artistes féminines. Elle évoque notamment la rappeuse américaine Cardi B, qui parle de sexe de façon cash, se réappropriant ainsi son statut de sujet désirant. Judith Godrèche parle franchement, sincèrement. On embraye sur les questionnements autour du couple et de la relation amoureuse hétérosexuelle qui secouent la société à l’heure actuelle. “Cela ne me déstabilise pas du tout. Le gender neutral [l’idée selon laquelle il faudrait éviter de distinguer les individus selon leur identité de genre] devrait être beaucoup plus accepté en France. Aimer un être, c’est aimer un être.”

Depuis qu’elle a parlé et porté plainte, Judith Godrèche a reçu tellement de messages sur Instagram qu’elle a créé une adresse email. Des milliers de témoignages ont suivi. Elle a donc mis en place une réponse automatique qui redirige celles et ceux qui la contactent vers des associations. “Je ne peux me substituer à leur travail”, explique-t-elle. Mais Judith continue de donner son numéro de portable, d’avoir des victimes tous les jours au téléphone, d’absorber la douleur des autres, de se documenter sur le combat contre les agressions et le harcèlement sexuels.

“Les personnes qui m’écrivent ont souvent une horrible image d’elles-mêmes. Il y a peut-être une clef, dans notre dialogue, qui leur permet de se voir autrement, de leur montrer qu’il est possible de ne pas se sentir coupable. C’est un vrai thème, la culpabilité de la victime. Les victimes se sentent toutes coupables et méchantes, mauvaises. Trahir l’agresseur… Personne ne m’a écrit ‘Je me suis fait violer hier’ par exemple. Les gens gardent des secrets pendant des décennies. Une dame de 70 ans m’a écrit pour me raconter. Soixante ans avec un secret. Et selon certains, on parlerait pour avoir de l’attention ?”

Récemment, elle s’est rapprochée de la militante écologiste Camille Étienne, 25 ans, autrice de Pour un soulèvement écologique (Seuil, 2023), qu’elle a justement rencontrée via Instagram. “Nous avons parlé d’emprise, de militantisme, de la société française, de l’écrasement de la parole.” Elle cite aussi Camille Kouchner, Andréa Bescond, le juge Édouard Durand, qu’elle aime beaucoup et avec qui elle est souvent en contact. “Vous n’avez jamais rencontré le juge Durand ? C’est une personne rare.” Pour rappel, Édouard Durand a été débarqué de la tête de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) en décembre 2023, entraînant la démission de onze de ses membres, effarés de voir ce magistrat très investi mis sur la touche. Il s’est vu remplacer par un binôme qui a fait long feu : Sébastien Boueilh a démissionné après la mise en retrait de Caroline Rey-Salmon, visée par une plainte pour agression sexuelle dans ses activités passées de médecin.

Judith Godrèche, elle, est bien décidée à ne pas lâcher le combat. Après avoir pris la parole au Sénat, elle s’apprête à prononcer un discours à l’Assemblée nationale, une semaine après notre entrevue. Aucun signe d’Emmanuel Macron pour le moment. “J’ai vu Rachida Dati aux César qui m’a dit que Macron voulait me rencontrer.” Nous lui demandons ce que contient son discours à l’Assemblée nationale, elle nous répond en une phrase-clef : “Quand j’étais enfant, je me disais ‘je ferai ça dans ma deuxième vie’. Il n’y a pas de deuxième vie. C’est ici et maintenant.”

Une onde d’espoir ? L’édito de Carole Boinet

27 mars 2024 à 18:00

Une onde de choc. C’est l’effet qu’ont produit les révélations puis les plaintes déposées par Judith Godrèche à l’encontre des cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Comme, récemment, les prises de parole et/ou plaintes de dizaines d’autres femmes contre ces deux cinéastes, contre Gérard Depardieu, contre Gérard Miller… Une onde d’espoir aussi, car ces révélations, ces plaintes, suivies du puissant discours de Judith Godrèche aux César le 23 février, ont bouleversé le cinéma français, le milieu médiatique, la société. On ne peut désormais plus dire qu’on ne savait pas.

On ne peut plus fermer les yeux sur des agissements au nom de l’Art, de la transgression, alors qu’il ne s’agit que de violences patriarcales, que de domination d’un corps sur un autre, d’un esprit sur un autre. Là où nous est donnée l’occasion, certainement la dernière, d’ouvrir les yeux, les oreilles, et de nous mettre en mouvement. De participer à une révolution qui ne se fait que trop attendre en France, alors que les premiers papiers sur Weinstein remontent à 2017 aux États-Unis.

Que fait-on ? Qu’est-ce qui justifie un tel immobilisme ? Une telle frilosité ? Pourquoi fait-on semblant d’écouter pour aussitôt oublier, taire, passer à autre chose ? Ce qui advient aujourd’hui dans le cinéma est bouleversant. C’est le mythe de l’auteur divin qui s’écroule, au nom duquel tous les agissements, même les plus abjects, semblaient permis par une société qui se gaussait ainsi d’être libre alors qu’elle n’était qu’arriérée. Mais tout ceci, on l’a déjà dit, à maintes reprises.

On l’a dit avec Adèle Haenel, on l’a dit hors cinéma avec Vanessa Springora, Camille Kouchner, Christine Angot et, plus récemment, Neige Sinno, à qui nous avons remis le prix des Inrockuptibles du meilleur récit pour Triste Tigre, l’an dernier. On a déjà dit tout ça. Alors comment transformer l’onde de choc en onde d’espoir ? Cela doit commencer à nos endroits, à toutes et à tous. Le nôtre, c’est ce magazine. Il lui fallait se faire l’écho de cette révolution en cours, mais aussi des questionnements et des engagements dessinant un monde nouveau.

C’est pourquoi nous avons monté ce dossier de 40 pages, qui retrace en sa compagnie les derniers mois de Judith Godrèche, qui questionne l’omerta du cinéma français, qui donne la parole à des acteurs que l’on a peu entendus jusqu’à présent sur ces sujets, qui fait se rencontrer l’écrivaine Hélène Frappat et l’actrice, metteuse en scène et chanteuse Judith Chemla, mais aussi la militante Camille Étienne et la journaliste Salomé Saqué, qui raconte la poésie comme lieu contre-culturel, et bien d’autres choses. C’est un numéro qui incarne le visage actuel des Inrockuptibles. Si vous cherchez la révolution qui secoue le système, l’insolence punk et le courage des mots et des actes, ils se trouvent là, juste sous vos yeux. 

Judith Godrèche à l’Assemblée : “Les hommes n’ont pas tous les droits sur nous”

Par : Jolan Maffi
14 mars 2024 à 15:14
Judith Godrèche à l'Assemblée Nationale © Capture d'écran BFMTV

Après sa prise de parole puissante, il y a deux semaines, au Sénat, Judith Godrèche franchit un nouveau pas. Ce jeudi 14 mars, c’est à l’Assemblée nationale que l’actrice-réalisatrice est auditionnée par les délégations aux droits des enfants et aux droits des femmes. L’occasion pour elle de revenir sur l’environnement délétère que peut être le cinéma français et sur les mesures à prendre pour y mettre un terme. L’ouverture d’une commission d’enquête d’abord, pour s’intéresser de plus près “au droit du travail dans le monde du cinéma, et en particulier ses risques pour les femmes et les enfants” : “Il faut qu’il y ait tout un système de protection mis en place et qu’on arrête de faire semblant de ne pas savoir.”

Empêcher de pérenniser un schéma sordide

“Allons-nous garder le silence ?”, assène-t-elle. “Moi, je compte sur vous pour protéger les jeunes, ne plus les livrer au cinéma sans aucune protection. Vous savez ce que le pouvoir fait aux femmes. Il les viole.” Une charge frontale contre l’industrie du cinéma français, qu’elle décrit comme une “société incestueuse”, un “reflet de notre sociét锓les même mécanismes sont à l’œuvre”.

Loin de vouloir s’arrêter là, celle qui accuse Benoît Jacquot et Jacques Doillon, “des réalisateurs adorés par l’intelligentsia française”, martèle : “L’univers du cinéma n’a fait justement qu’abuser de [ma confiance].”

Judith Godrèche: "L'univers du cinéma n'a fait justement qu'abuser de [ma confiance]" affirme la comédienne durant son audition à l'Assemblée nationale pic.twitter.com/7AVAxYYbGC

— BFMTV (@BFMTV) March 14, 2024

Godrèche soutenue

Des propos qui ont trouvés un écho particulier dans l’Assemblée, où les soutiens ont abondés. La présidente de la Délégation aux droits des femmes, Véronique Riotton, a ainsi déclaré : “Donner la parole aux concernées me paraît essentiel pour poser des mots sur les stratégies des auteurs et alimenter les réflexions des parlementaires. Il est de notre responsabilité collective de les écouter et d’agir.”

Même son de cloche pour Perrine Goulet, présidente de la Délégation aux droits des enfants, qui a tenu a rappeler la responsabilité de l’Assemblée nationale : “Il apparaît nécessaire que l’Assemblée nationale puisse appréhender le sujet porté par Mme Godrèche : la protection des enfants qui peuvent évoluer dans les milieux artistiques ne doit pas échapper à la loi.”

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